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Musée historique : une collection fruit de 800 ans d’échanges

Propos recueillis par Olivia Jeanjean
27 décembre 2023
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En coulisse, les Eglises de Jérusalem s’entraident pour documenter leurs trésors. Ici le frère Stéphane de la Custodie avec le père Aristarchos du patriarcat grec-orthodoxe.

En haut de la rue Saint-François de la Vieille ville, au niveau des arches, se trouve la future entrée de la section historique du Terra Sancta Museum. Derrière les murs épais du couvent Saint-Sauveur, frère Stéphane Milovitch, responsable des biens culturels de la Custodie, explique que les franciscains n’ont pas amassé un trésor mais tissé des liens.


Frère Stéphane, vous êtes le gardien de l’âme du musée historique de la Custodie, expliquez-nous en quoi cette section du Terra Sancta Museum se démarque des sections archéologique et multimédia ouvertes au couvent de la Flagellation ?

La partie archéologique du Terra Sancta Museum s’arrête à la fin du premier millénaire, avant l’arrivée des franciscains. Elle ne permet donc pas de montrer le lien que les frères ont entretenu avec la population locale, depuis leur arrivée en 1217. Le musée historique est plus proche de nous dans l’Histoire, il comporte des éléments où chacun, Israéliens et Palestiniens, vont se retrouver plus naturellement et spontanément. Les franciscains sont arrivés il y a huit siècles mais c’est à partir du XIVe qu’ils vont asseoir leur présence. Les frères vont dès lors avoir des relations plus ouvertes avec la population, tout en continuant d’accueillir les pèlerins du monde entier. Ils étaient – et nous sommes toujours – autant en contact avec l’Église universelle qu’avec le monde local. Le musée va mettre en valeur ces deux dimensions.

Ce musée est-il alors un moyen pour les franciscains de montrer le lien qu’ils entretiennent depuis des siècles avec la population locale ?

À partir du XVIe siècle, les frères vont encourager les arabes à perfectionner et diversifier leur travail de la nacre. Et les Palestiniens vont acquérir une technique artisanale de haut niveau. On pourra voir dans le musée parmi les plus belles pièces de cet artisanat. En travaillant de concert nous avons permis aux artisans de vivre du travail de leurs mains.

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Vos liens avec la population sont-ils seulement orientés vers l’accueil des pèlerins ?

Non, au XIVe siècle les frères ont ouvert une apothicairerie, au XVIe siècle des écoles qui accueillent d’abord des chrétiens puis des élèves d’autres communautés. Notre musée veut être ouvert sur le monde, il n’est pas autocentré sur un monde chrétien. L’Église ici est un pont entre les communautés.

De quoi est constitué ce fameux “trésor du Saint-Sépulcre” ?

Les frères s’occupaient de faire revivre la vie chrétienne sur place en rachetant les chrétiens vendus en esclavage et en organisant la liturgie dans les sanctuaires. La célébration de Noël à Bethléem va susciter l’intérêt des mécènes européens, qui à défaut de pouvoir s’y rendre envoient des dons (calice, chasuble…) ; c’était une manière d’être présent à travers la liturgie.

C’est ainsi que le trésor latin du Saint-Sépulcre va se constituer. Composé de pièces d’orfèvrerie, de textiles et de tableaux, cette collection est à la fois liée à l’histoire de l’art, de la liturgie et de l’Église. Elle est donc très riche. Et tandis que ce type d’objets tend à disparaître d’Occident, les frères eux vont les conserver. Prenez les dons de Louis XIV, qui a beaucoup contribué au trésor : en France il fait fondre son orfèvrerie pour financer la guerre contre l’Autriche. Les objets envoyés à Jérusalem sont donc uniques. Ainsi Jérusalem conserve une typologie d’objets qui, en Europe, ne sont plus visibles.

Dans un pays qui n’est pas stable, la Custodie incarne une forme de stabilité.

Parmi les pièces du musée sera exposé un registre qui recense les naissances à Bethléem et Jérusalem de 1555 à 1671. Jusqu’au XIXe siècle les franciscains représentaient le centre administratif de la vie locale ?

Tout l’état-civil est dans nos archives. Jérusalem n’a plus jamais été capitale depuis le roi David. Donc quand quelqu’un écrivait à Jérusalem, il écrivait aux franciscains. Nos archives permettent de comprendre l’histoire de la ville, car nous avons eu des rapports avec le monde et les gens d’ici. Quand les Turcs sont arrivés en 1517, ils ont brûlé tout le patrimoine mamelouk. Mais ils ne sont pas venus chez nous. Ainsi les rares documents de cette époque qui subsistent sont dans les archives des Églises dont les nôtres. Dans un pays qui n’est pas stable, la Custodie incarne une forme de stabilité.

En valorisant l’art chrétien, ce musée est-il aussi une manière de soutenir
la présence chrétienne en Terre Sainte ?

Les chrétiens sont désormais 1,5 % en Terre Sainte, mais ils rayonnent dans tous les domaines. Nombreuses sont les institutions chrétiennes qui font se rencontrer pacifiquement juifs, musulmans et chrétiens. En visitant le musée, les mêmes prendront conscience que nous sommes partie prenante de la société depuis longtemps. L’Église a ce rôle transversal. Nous avons plus de mille livres de pharmacie, des photos des gens qui venaient se faire soigner au XIXe siècle. Nous montrons qu’hier comme aujourd’hui l’Église s’intéresse aux autres.

Dernière mise à jour: 27/05/2024 09:57

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