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Noam Morgensztern, sa grande traversée de la Bible

Cécile Lemoine
23 décembre 2023
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© Photos Bayard

Pensionnaire de la Comédie Française, Noam Morgensztern s’est prêté à un exercice hors-norme : l’interprétation immersive et musicale de la Bible des écrivains, soit l’équivalent de 100 h d’enregistrement. Le pétillant comédien nous livre les coulisses d’une épopée aussi artistique que personnelle, disponible sur les plateformes d’écoute depuis le 4 octobre.


À votre avis, combien de temps faut-il pour lire la Bible, Ancien et Nouveau Testaments compris, dans son intégralité ?

Noam Morgensztern a mis un an. Nous sommes au printemps 2020. La France se confine et ce pensionnaire de la Comédie-Française se retrouve avec un temps dont il n’avait jamais disposé.

Un temps propice aux projets un peu fous : il n’a pas seulement lu la Bible, il l’a interprétée et enregistrée. 4 ou 5 heures par jour, quasiment tous les soirs pendant 12 mois. “Cela faisait longtemps que je voulais me lancer dans une œuvre colossale. J’ai toujours eu le désir d’apprendre des livres par cœur. De les contenir. Mais là, c’est le livre qui me contient”, sourit le comédien, heureux de voir trois ans de travail aboutir : depuis le 4 octobre, ses 103 h d’enregistrement sont disponibles à l’écoute, en ligne.

Tout a commencé lorsque Noam s’est renseigné sur le travail d’Olivier Cadiot, un romancier et dramaturge, traducteur de La Nuit des rois, pièce de Shakespeare qu’il a jouée en 2018. “J’ai vu qu’il avait traduit les Psaumes dans La Bible des écrivains. Ça m’a surpris : “Une traduction de Bible ? Je pensais que c’était fini !” J’ai creusé. J’ai lu la Genèse, traduite par le directeur de l’ouvrage, Frédéric Boyer (voir encadré). Ça m’a soufflé.”

© Photos Bayard

Né dans une famille juive qui a fui la Pologne pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale, Noam parle hébreu et cultive un lien très fort avec la Terre Sainte, où il a habité plusieurs années. Un peu moins avec la Bible. “C’est un livre que je connaissais de loin. Elle fait partie de mon identité, de ma culture juive. Petit, j’allais à la synagogue et on lisait la Bible de Zadoc Kahn, une traduction ampoulée et incompréhensible de la fin du XIXe siècle. Je n’ai jamais réussi à trouver la bonne porte pour entrer dans le texte. Avec la Bible des écrivains, mon rapport lointain à ce livre disparaissait. J’avais accès aux auteurs, aux traducteurs : tout le monde était vivant ! J’ai appelé Frédéric Boyer. Le courant est passé tout de suite. Je lui ai dit : “Je veux la jouer en entier et l’enregistrer, tout seul.” Il a accepté et c’était parti.

Un film audio

Noam Morgensztern avance livre par livre, dans l’ordre, de la Genèse à l’Apocalypse. Il s’enregistre quelques heures par jour. Ne garde que les premières prises : “On m’entend découvrir le texte en direct, sans que je l’aie lu à voix haute avant.” Cela ne signifie pas que l’interprète improvise, bien au contraire : “Il y a énormément de travail en amont. Je sais ce que je vais lire. J’ai tout décortiqué avec Frédéric Boyer, pour comprendre ce qu’il se passe dans chaque livre, chaque chapitre : les intentions des personnages, les enjeux, le sens de la traduction… Cette lecture, c’est comme un rendez-vous avec le texte : on se prépare, et on vient avec ce qu’on est.”

BIO EXPRESS

Des films et du son

Pensionnaire de la Comédie Française depuis 2013, Noam Morgensztern est né à Toulouse en 1980, d’une famille juive immigrée de Pologne après la guerre. Connu pour son rôle dans la série Louis la Brocante, diffusée sur France 3, il a également joué pour le grand écran (Que d’amour de Valérie Donzelli, entre autres).

Comédien et musicien, Noam est aussi attiré par le travail du son : doublage de film, acteur de fiction radiophonique… Avec l’interprétation de cette Bible audio, “tout s’aligne”, sourit le comédien.

Tout est interprété. S’il y a un discours, il l’adresse ; s’il y a un cantique, il le chante ; s’il y a un poème, il y plonge ; s’il y a une prière, il la récite ; s’il y a un éloge, une prophétie, un oracle, une lettre… il s’adapte. Dans le Deutéronome, la voix du comédien se brise, se fatigue. Les textes sont longs, exigeants. “La Bible a été ma metteuse en scène. La manière dont elle agit sur moi et me transforme est enregistrée “en direct”. L’idée était d’embarquer l’auditeur dans cette traversée, de vivre ensemble l’imprévu du texte.”

Je ne suis pas devenu croyant. Je n’ai pas abordé le texte comme une parole qu’il faut suivre, mais plutôt comme une parole qui vaut la peine d’être écoutée.

Passionné par le son autant que par le jeu, Noam imagine sa création comme un “film audio”. Tout est scénarisé. Les livres sont reliés entre eux par un univers sonore commun : celui du caverneux. Du souterrain. “J’ai voulu faire une bible d’en bas. Une bible de grottes. J’ai plus un rapport au caillou qu’un rapport au ciel. Je suis très sensible à la valeur d’un caillou, d’un tesson. Pour moi, la Bible, c’est un monde brisé, et c’est ce que j’ai voulu donner à entendre.”

Dans ce monde d’en-bas, chaque grand livre a son propre décor : l’Ancien Testament est joué comme isolé dans un désert de cailloux et de silences, seulement accompagné d’une tente. “Je porte littéralement le décor : j’enregistre en portant un k-way dans une tente queshua.” Les bruitages ponctuent tout le récit, ils deviennent des titres de livre et permettent d’éviter un chapitrage qui brise la continuité de la lecture. Pour lier l’Ancienne et la Nouvelle alliance, il scénarise ainsi la construction d’une barque, qui emmène les disciples sur le cours d’une eau souterraine. La traversée se termine avec Paul, dans une cavité humide, jusqu’à l’Apocalypse.

Passeur de texte

L’intégralité des “Grands chants” a été composée et chantée : Psaumes, Cantiques des cantiques, Sagesses… chaque texte a droit à son habillage techno, et tout s’écoute sur les plateformes telles que Spotify, Deezer. “C’est absolument génial, s’enthousiasme Noam Morgensztern. “Le livre littéraire sort comme un album de musique. Et les curieux ne seront pas déçus.”

FOCUS

La Bible des écrivains

Publiée en 2001 par Bayard, cette traduction française de la Bible regroupe le travail de 20 auteurs contemporains et 27 exégètes français et canadiens, sous la direction de l’écrivain Frédéric Boyer, du théologien Jean-Pierre Prévost et de l’exégète Marc Sevin. Le parti pris de cette traduction est d’actualiser la langue, d’inscrire la Bible dans la littérature française contemporaine. Chaque auteur a eu la liberté de choisir son style d’écriture tout en respectant la contrainte de fidélité au texte.

“Il est indispensable d’écouter cette Bible avec un casque audio”, estime le pétillant comédien qui est aussi technicien du son. L’expérience créée est volontairement immersive. “Dans le Nouveau Testament, tous les disciples sont présents dans la barque. Chacun a sa place, sa personnalité. La parole tourne dans l’espace et cela s’entend car nous avons tout enregistré avec un micro binaural.” En forme de tête et doté de deux oreilles, ce système d’enregistrement permet de recréer la sensation d’être au cœur du son.

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À l’écoute, celui-ci vient de toutes les directions et pas juste à droite et à gauche comme avec le son stéréo. “On a appelé cette tête Joël, s’amuse l’artiste. Du nom du livre de Joël, celui de nos premiers essais. Elle était posée sur un buste, face à moi. Parfois je l’habillais. C’était le point d’écoute, une manière de me rappeler que je ne lisais pas le texte pour moi-même, mais pour un auditeur.”

L’artiste ne s’en cache pas : cette “traversée” l’a travaillé. “Ça m’a précisé. Je ne suis pas devenu croyant. Je n’ai pas abordé le texte comme une parole qu’il faut suivre, mais plutôt comme une parole qui vaut la peine d’être écoutée. Je suis un passeur de texte : je ne défends pas la Bible. Je ne la représente pas. Mais j’ai développé une certaine affection pour elle : elle est devenue mon amie.”

Après 3 ans d’un travail (1 an d’enregistrement, 1 an de montage et 1 an de mixage) dans lequel il a mis autant son corps que son âme, Noam est impatient d’avoir les retours des premiers auditeurs. “On peut se sentir démuni face à 103 h d’écoute, dans notre monde qui a du mal à prendre le temps. Je conseillerai aux auditeurs de commencer par écouter le début et de terminer par la fin. Ça peut paraître banal, mais si vous faites attention, le dernier texte n’est pas l’Apocalypse mais le livre de Qohélet, le sage qui s’interroge : “Tout ce qu’on vient de vivre, d’apprendre, qu’est-ce qu’on en fait ?” Ce texte m’a bouleversé. C’est une invitation à douter, à se laisser travailler par la Bible.” Et en bon comédien, il s’imagine déjà jouer la jouer en public.

CONSEIL D’ÉCOUTE

Prendre le temps

“Vous devez absolument mettre un casque audio pour profiter de l’immersion. Pour chaque texte, il ne faut pas regarder le chapitrage, mais la durée, conseille Noam Morgensztern. “Est-ce que j’ai 30 minutes devant moi ? 3 heures ? Et de le tenter. De la même manière que moi, je l’ai tenté, en lisant 3 heures d’affilée.”

Dernière mise à jour: 12/07/2024 10:49

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