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Noël annulé à Bethléem: « L’espoir, lui, ne peut pas être annulé »

Cécile Lemoine
18 décembre 2023
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"L'Enfant dans les décombres" : c'est la mise en scène que la paroisse luthérienne de Bethléem a choisi pour sa crèche, alors que les bombardements israéliens font rage sur Gaza ©Cécile Lemoine

Dans la ville de naissance de Jésus, les autorités locales ont décidé d’annuler les festivités qui entourent Noël “par solidarité avec ceux qui souffrent de la guerre”. Les Eglises encouragent leurs fidèles à se concentrer sur le sens profond de Noël et ont annoncé que les célébrations religieuses seraient ouvertes à tous.


Une statue de l’enfant Jésus repose au milieu des gravats, emmailloté dans un petit bout de keffieh. À Bethléem, la crèche installée par le pasteur de l’église luthérienne donne le ton de ce que sera Noël dans la ville de naissance de Jésus. “Si le Christ devait naître aujourd’hui, ce serait sous les décombres de Gaza, en solidarité avec les opprimés, explique le révérend Munther Isaac, encore stupéfait par le succès de sa crèche sur les réseaux sociaux. C’est un message adressé au monde : cette année alors que les autres pays fêtent Noël en décorant des sapins, ici, sur la terre de Jésus, c’est à ça que ressemble Noël.”

Gaza, Gaza… Les visages sont graves à la sortie de messe à la paroisse syriaque catholique de Bethléem en ce doux dimanche 17 décembre. La veille, deux femmes “ont été abattues de sang froid” par l’armée israélienne lors d’une attaque de la paroisse latine de la Sainte-Famille qui a aussi fait sept blessés et détruit une partie des infrastructures. Les discussions sont inquiètes et les cœurs serrés : à quelques jours de Noël, vont-ils devoir évacuer ?

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Aucun cœur n’est à la fête. Mi-novembre, les autorités locales, en concertation avec les Églises de Jérusalem ont décidé d’annuler les animations et traditions populaires qui entourent les célébrations religieuses de Noël. Une manière, “en tant que chrétiens, d’être solidaires de tous ceux qui souffrent de la guerre”, justifient les Églises dans un communiqué.

“Noël dans le noir et la peur” 

La place de la Mangeoire, large esplanade qui grouille habituellement de visiteurs et de pèlerins, garde cette année son fade visage de parking : pas de sapin, pas de décoration, ni de marché de Noël. Le 24 décembre, le traditionnel défilé des scouts, qui précède l’arrivée du Patriarche latin de Jérusalem à Bethléem, se fera en silence, tandis que des artistes palestiniens de Bethléem et de Nazareth travailleront ensemble sur une œuvre baptisée « La Nativité dans les décombres ».

Sortie de messe à la paroisse syriaque catholique Saint Joseph de Bethléem le 17 décembre 2023 ©Cécile Lemoine

Dans les foyers des familles chrétiennes, on exerce la même sobriété solidaire que les espaces publics. Anouar, une des paroissiennes de l’église syriaque catholique, n’a pas installé de sapin. Elle a prévenu ses trois garçons : “Il n’y aura pas de cadeaux cette année.” Ce n’est pas une punition, dit-elle, mais un enseignement : “On ne peut pas faire la fête alors que les chrétiens de Gaza vont passer Noël dans le noir et la peur.” 

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Dans les rues qui entourent la place de la Mangeoire, les boutiques de souvenirs sont ouvertes, mais seulement par principe : depuis le 7 octobre, visiteurs, touristes et pèlerins ont déserté le pays, faisant s’effondrer de 60% l’activité commerciale d’une ville qui dépend largement des revenus du tourisme, selon les chiffres du ministère palestinien de l’Economie. « C’est le pire Noël, soupire Jack Giacaman.

La boutique de ce chrétien, fier de faire remonter ses ancêtres aux croisés, est spécialisée dans l’artisanat du bois d’olivier depuis trois générations. “Même pendant les Intifada ce n’était pas comme ça”, insiste le commerçant en faisant référence aux soulèvements palestiniens des années 1990 et 2000 qui n’avaient pas signé l’arrêt du tourisme comme cette guerre le fait avec la suspension des vols de toutes les compagnies aériennes (sauf El Al, la compagnie israélienne).

Près de 1,5 million de personnes étaient entrées en Israël en 1987, date du début de la Première Intifada, pour croître jusqu'à 2,4 millions en 2000, puis redescendre à 860 000 au début de la Deuxième Intifada en 2002. Le Covid marquera un record, avec seulement 396 000 entrées en 2021. L'année 2023 avait quant à elle commencé à rattraper les niveaux pré-pandémies avec 3,15 millions de visiteurs en 10 mois, selon le Bureau central des statistiques.

Messe de minuit ouverte à tous

En 20 ans, l’occupation israélienne s’est durcie. L’armée contrôle les territoires palestiniens et les a mis sous cloche dès le 7 octobre. Routes barrées, entrées des villes bloquées, raids quotidiens… “C’est comme une prison ici”, souffle Jalal, chauffeur de taxi qui limite ses courses à Bethléem, et aux deux communes voisines, Beit Jala et Beit Sahour. Son poste de radio fait grésiller les chiffres du jour : 301 morts en Cisjordanie depuis le 7 octobre, plus de 19 000 à Gaza. La fermeture des territoires a fait perdre leur emploi à de nombreuses personnes et certains foyers peinent à joindre les deux bouts.

La plupart des boutiques gardent porte close, faute de pèlerins ©Cécile Lemoine

“Les familles de nos élèves sont nombreuses à travailler dans le tourisme, ou bien à Jérusalem. Depuis le 7 octobre, ils ont perdu une partie de leurs revenus, et ne peuvent plus payer la scolarité de leurs enfants”, explique Sawsan Istephen, directrice de l’école primaire grecque-catholique de Beit Sahour, qui accueille 700 élèves, quasiment tous chrétiens. Un temps, elle a pensé fermer son établissement, faute de pouvoir assurer le salaire de ses 70 employés. La patriarcat grec-catholique a compensé comme il a pu, convaincu que l’éducation est un investissement vital pour l’avenir de la petite communauté chrétienne de Terre Sainte.

C’est aussi pour ces personnes, touchées différemment par la guerre, que les festivités de Noël ont été annulées, expliquent les Églises, qui encouragent les fidèles à “se concentrer sur le sens profond de Noël”. La messe de minuit, dans la basilique de la Nativité, sera ouverte à tous. Une première quand un système de tickets, largement distribués aux pèlerins, régit habituellement les entrées. 

S’il n’y a pas la joie, il y a au moins la vie

Une manière de permettre à la communauté locale de s’unir pour célébrer la naissance de Jésus, la venue du “Prince de la Paix et de la lumière du monde”, selon les Evangiles. Tout un symbole dans le contexte actuel, et un terreau fertile pour les prêtres qui se doivent de maintenir leur communauté dans l'espérance. "Qu’est ce que ça signifie, concrètement ?", interroge rhétoriquement le père Frédéric Masson, à la tête de la petite communauté syriaque orthodoxe de Bethléem, avant de se lancer : "Saint Paul nous dit : 'Lorsque le péché, abonde la grâce surbabonde'. Même dans les ténèbres, il y a des moments de grâce. Garder l'espérance, c'est rester ouvert à ces moments."

Messe selon le rite syriaque catholique ©Cécile Lemoine

"Et on arrive dans une notion de théologie subtile, poursuit le curé. On oppose souvent la souffrance à la joie. En Terre Sainte, on ne peut pas opposer les deux, car la lumière et la vie nous aident à vivre la souffrance. S’il n’y a pas la joie, il y a au moins la vie. Dans le "soumoud", la résilience palestinienne, il y a des moments de vie et ils sont avant tout le témoin de la profondeur de la foi dans cette partie du monde."

Devant sa crèche de gravats, le révérend Munther Isaac explique quant à lui : “Noël c’est la présence de Jésus avec ceux qui souffrent. Noël, c’est la solidarité de Dieu avec les opprimés. Noël, c’est un rayon de lumière et d’espoir au cœur de la douleur et de la souffrance. Noël, c’est le feu de la vie au cœur de la destruction. Les festivités de Noël sont annulées cette année, mais Noël en tant que tel, n’est et ne sera pas annulé, parce que l’espoir ne peut pas être annulé.”

 

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