En entrant à Gaza dans un dépôt d’antiquités sous la responsabilité de la France, les soldats israéliens ont ouvert la voie à une crise diplomatique. Le résultat de 28 années de fouilles conduites par l’Ecole biblique et archéologique française échappera-t-il au désastre de la guerre en cours dans la bande côtière à l’illustre passé ?
La vidéo a fait le tour du monde quand bien même son auteur a supprimé la version qui déclencha le buzz. On y voyait des soldats dans un entrepôt plein d’antiquités. Incrustée sur les images, une bulle de surprise et d’émerveillement s’exclamant « Wow ». Un wow de connaisseur puisque la vidéo a été postée par Eli Eskozido, directeur de l’Autorité des antiquités d’Israël (IAA).
Eli Escusido, the director of the Israeli Antiquities Authority shares a video documenting the theft of archaeological artifacts from Gaza. pic.twitter.com/BcQQQDVXt9
— Quds News Network (@QudsNen) January 21, 2024
La version supprimée finissait sur une photo avec ce commentaire « Une petite vitrine a été installée à la Knesset. » L’information, selon laquelle des antiquités seraient sorties de Gaza pour être installées au parlement israélien, a depuis été démentie. La vidéo, elle, circule toujours et les commentaires vont bon train sur le « pillage israélien » de ce patrimoine gaziote quand par ailleurs plus d’une centaine de sites historiques ont été fortement endommagés ou détruits par les bombardements depuis le début de l’offensive israélienne.
Le sentiment unanime est qu’à l’horreur du nombre de morts et à l’épouvante du désastre humanitaire enduré par les survivants, Israël ajoute l’infamie de l’effacement de l’histoire Gaza.
Lieu de passage vers l’Egypte, la ville a été fondée 3000 ans avant Jésus-Christ et ses sols regorgent des traces de son illustre passé.
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Un passé que la France s’est proposé d’exhumer quand le Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères français (MEAE) décida en 1994 d’une collaboration archéologique avec la Palestine dans la bande côtière.
Ce fut naturellement à l’Ecole biblique et archéologique française (Ebaf) des Dominicains de Jérusalem que fut confié le soin de mettre en place un plan quinquennal de fouilles et d’organiser un chantier-école. Le religieux et archéologue Jean-Baptiste Humbert op se vit confier la direction du projet.
S’en suivirent 28 années de fouilles, de publications, de mise en valeur, de conservation et protection d’un patrimoine extraordinaire. Blakhiya-Anthédon, l’exploration de la ville-basse (quartier hellénistique) et la première restauration de Mukheitim (Jabaliya), Abassan el-Kebir, Abu Barake, Umm el-‘Amr-Nuseirat (monastère d’Hilarion).
Ce n’est pas faute d’avoir connu des aléas, surtout depuis 2006 après la victoire du Hamas aux élections législatives, entraînant le blocus israélien depuis 2007 mais aussi le gel des relations diplomatiques de la France avec l’autorité en place, la France ayant inscrit le Hamas sur la liste des organisations terroristes depuis 2003.
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Le travail se poursuivit néanmoins sous la tutelle de l’Autorité palestinienne avec l’accord tacite du Hamas. Il obtint de belles réussites et de belles trouvailles qu’il fallut entreposer. Pour ne pas éveiller les soupçons, le dépôt des objets trouvés et inventoriés se fit dans un simple magasin, au rez-de-chaussée d’un immeuble. La porte de fer en devanture ne payait pas de mine par mesure de discrétion.
A dire vrai, depuis quelques semaines, on n’avait plus d’assurance que l’immeuble soit encore sur pied tant les destructions sont nombreuses dans cette partie nord de la bande de Gaza depuis octobre et alors que les équipes palestiniennes, formées à l’archéologie au long des années et qui veillaient à prendre des nouvelles, ont dû évacuer la ville.
Bien que plusieurs étages aient fait l’objet d’un bombardement individualisé, l’immeuble est debout et les soldats en ont visité le rez-de-chaussée dans la semaine du 14 au 20 janvier 2024, entrainant la visite d’Eli Eskozido.
« Au début, rapporte Jean-Baptiste Humbert, les soldats ont cru qu’ils avaient trouvé un local de recèle d’antiquités ou de fabrication de faux, jusqu’à ce que l’un d’entre eux note que tout était écrit en français. » Père Jean-Michel de Tarragon, photographe de toutes les missions, fait remarquer qu’ils n’étaient pas les premiers à visiter les lieux. « Nous avions su que la porte avait récemment été fracturée et qu’avait été volé tout ce qui pouvait servir à la vie quotidienne ».
Alors que tout aurait disparu dans le bombardement de l’immeuble, la découverte est une épine dans le pied de la diplomatie israélienne et française par contrecoup. Difficile pour cette dernière de crier au scandale pour des antiquités quand la population est déplacée et qu’un million de personnes est en état de famine quotidienne.
Mais la France responsable de ces objets est signataire de la Convention internationale de la Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, qui stipule que la réquisition de ce type d’artefacts est interdite mais qu’on doit en assurer leur sauvegarde et leur conservation sur place. Comment faire dans une Gaza en ruine et inacessible ? Le problème est devenu celui d’Israël qui n’a que des coups à y prendre.
La position et le contenu de l’immeuble étant connus, il ne peut plus être bombardé comme l’ont été les musées de la ville selon une déclaration d’Atef Abou Seif, ministre palestinien de la Culture, au journal égyptien Al-Ahram. Impossible aussi de déménager les artefacts sans contrevenir à la convention de la Haye. Le Consulat général de France, sous la juridiction duquel est l’Ebaf, s’est saisi du dossier. Mais c’est un casse-tête pour les deux parties.
L’ONG israélienne Emek Shaveh, soucieuse que l’archéologie ne soit pas exploitée politiquement dans le conflit israélo-palestinien, assure de son côté suivre le dossier d’autant plus attentivement qu’elle a déjà noté des contradictions dans les messages de l’Autorité israélienne des Antiquités qui a tantôt affirmé vouloir protéger les objets in situ tantôt envisagé de les déplacer dans l’enceinte du musée Rockfeller de Jérusalem-Est.
La même ONG défend d’autant plus la mise en sécurité à Gaza qu’elle estime que l’IAA a déjà créé des précédents dans la captation d’objets provenant des territoires occupés comme on peut le voir au musée d’Israël ou dans celui du Bon Samaritain, près de Ma’aleh Adumim qui présente une magnifique mosaïque en provenance… de Gaza. Affaire à suivre donc.