Standing Together: “La guerre ne peut pas garantir notre sécurité. Il faut une alternative”
« Ensemble”. Lettres arabes et hébraïques blanches sur fond violet, les 400 affichettes brandies par une foule bigarrée dans un bar de Jérusalem font briller autant de lueurs d’espoir dans la noirceur d’un conflit qui paraît parfois sans issue. Ils sont juifs, arabes, Israéliens, Palestiniens, étudiants, retraités, salariés…
Alors que la société israélienne n’a jamais été aussi fracturée, eux continuent à faire vivre l’idée d’une société partagée : “Nous sommes les gens qui nous battons vraiment pour cet endroit, nous qui comprenons que la guerre ne peut pas garantir notre sécurité”, lance devant la foule rassemblée à Jérusalem Rula Daoud, palestinienne de citoyenneté israélienne qui codirige Debout ensemble.
Une critique à peine voilée à la politique va-t’en guerre de Benyamin Netanyahou, qui a fait de l’éradication du Hamas une mission quasi personnelle. “Il faut une alternative, poursuit-elle avec charisme. Ma libération en tant que Palestinienne ne peut se faire par le sang de bébés juifs. Mais je reconnais que le sentiment palestinien selon lequel ‘enfin quelqu’un a riposté’ est la réaction normale d’un peuple occupé et dominé. Dans ce pays il y a deux nations, et aucune d’elles ne va nulle part : la sécurité des deux peuples ne peut passer que par un accord de paix israélo-palestinien, pas par une nouvelle escalade.” Les applaudissements sont nourris.
Depuis le début de la guerre, Debout ensemble, organisation qui mobilise des citoyens juifs et palestiniens d’Israël en faveur de la paix, de l’égalité et de la justice, se déplace dans tout le pays et convie qui le souhaite à partager son chagrin, ses douleurs, ses idées… Objectif : montrer qu’il y a des gens derrière le slogan “juifs et arabes ensemble”, explique Shir Yerushalmi, pétillante brune à lunettes qui travaille depuis septembre pour le mouvement. 400 personnes à Jérusalem, 700 à Haïfa, 200 à Tamra, plusieurs autres centaines à Abu Gosh, Tel Aviv, Lod… partout où elle passe, la conférence fait salle comble.
Reconnaître la douleur de l’autre
“Même si le premier réflexe en temps de guerre, c’est la radicalisation, on voit que beaucoup veulent vivre une vie calme et en sécurité. Alors que le dialogue est quasi impossible dans la société israélienne aujourd’hui, Debout ensemble offre une alternative, un cadre pour agir activement ensemble”, analyse Shir, qui s’étonne encore que l’organisation compte désormais 6 800 activistes, soit 2 000 de plus qu’avant la guerre : “Beaucoup de gens se sont portés volontaires dans nos réseaux de solidarité à Jaffa, Haïfa, Beer Sheva, Nazareth, tandis que d’autres ont vu le jour dans des villes comme Karmiel en Galilée”, illustre la jeune femme, étudiante en économie et en sciences politiques à Jérusalem.
14 groupes sont désormais actifs et à l’initiative d’une centaine de petites actions de solidarité, allant du nettoyage d’abris anti-roquettes, à la collecte de nourriture pour les bédouins, en passant par la pose d’affiches dans les rues avec le slogan bilingue “Nous nous en sortirons ensemble”. “Deux fois, des activistes se sont fait arrêter par la police à Jérusalem : ils ont dû voir l’arabe comme quelque chose de menaçant”, relate Shir Yerushalmi.
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Si son engagement auprès du mouvement canalise ses pensées et sa tristesse, la jeune femme se dit profondément touchée par les évènements du 7 octobre. “J’ai réalisé que j’étais plus proche du narratif israélien que ce que je pensais. Mais ça ne m’empêche pas de reconnaître la douleur de l’autre côté. J’ai rencontré des Gaziotes pendant mes études à l’Institut Arava, et toutes leurs familles sont là-bas. Je ne blâme pas les personnes. Seulement les politiques des gens au pouvoir de part et d’autre.”
Comment construire une société partagée ? Le défi, pour les organisations comme Debout ensemble, c’est d’étendre leur base, de sortir des cercles traditionnels de la gauche israélienne pour toucher des personnes qui ne sont pas déjà convaincues par ces idées. “Pour rapprocher les gens, il faut parler des intérêts qu’ils ont en commun : la sécurité, la liberté, un coût de la vie moins élevé, estime Rula Daoud lors de sa conférence à Jérusalem. Mais il est encore trop tôt pour cela. Le vrai travail va commencer après la guerre.”
Dernière mise à jour: 17/01/2024 14:26