La rumeur courrait depuis une semaine, Mgr Jamal Khader Daibes était nommé évêque à Djibouti. L’annonce a été publiée samedi 13 janvier par le bureau de presse du Saint-Siège. Les articles publiés sur le site internet du patriarcat latin ne feront peut-être pas taire la révolte de certains chrétiens arabes qui y voient une volonté d’éloignement de la cause palestinienne dans les heures sombres qu’elle traverse. Et si le Vatican voyait plus loin ?
« Après avoir reçu de Sa Sainteté le pape François la demande de diriger le diocèse de l’État de Djibouti et d’être l’administrateur apostolique de l’Église de Mogadiscio en Somalie, j’ai librement accepté cette requête, dans l’esprit d’obéissance au successeur de saint Pierre et en tant que fils de la Sainte Église catholique, au service de laquelle j’ai consacré ma vie. » C’est ainsi que s’exprime Mgr Khader Daibes dans un message rendu public à Jérusalem simultanément à la publication par le bureau de Presse du Saint-Siège de sa nomination.
Sur le site internet du Patriarcat latin de Jérusalem, cette annonce était déclinée en trois articles. La mesure de contrefeu était évidente tandis qu’un vent de révolte a commencé à souffler, il y a une semaine, dans certains milieux palestiniens et qu’une pétition contre cette décision a été signée par quelque 1000 personnes.
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Reconnaissance romaine des qualités de Mgr Daibes
Interviewé vendredi, alors qu’il venait de célébrer aux côtés de Mgr Daibes la fête du baptême du Seigneur sur la rive jordanienne du Jourdain, le Cardinal Pizzaballa n’a pas démenti l’information – quand bien même elle n’était pas publiée par Rome – mais il commentait : « Mgr Jamal s’est montré un excellent évêque en Jordanie, il a très bien fait, peut-être trop puisqu’il a été jugé digne d’aller servir de nouvelles responsabilités pour l’Église universelle. » Il était déjà dans la teneur de son message officiel publié par les médias du patriarcat samedi.
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Le second article publié était rien moins qu’une lettre de la Secrétairerie d’État adressée au patriarche et « à toute la communauté chrétienne latine du diocèse de Jérusalem ». On peut y lire que Mgr Daibes « a désormais accepté de mettre ses talents au service d’une Église certes numériquement petite, mais précisément pour cette raison appelée à être un levain important dans une zone stratégique de la planète, entre les pays arabes – mondes islamique et africain. La solide formation théologique de Mgr Jamal et l’expérience acquise ces dernières années sont la garantie d’un service qualifié au service de l’Église à Djibouti. »
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A Djibouti, dont les deux langues officielles sont l’arabe et le français – toutes deux maitrisées par le nouvel évêque – 96 % de la population d’un million d’habitants est musulmane. La communauté chrétienne compte quelque 10000 membres dont la plupart sont éthiopiens orthodoxes ou protestants. Les catholiques sont environ 4000. En Somalie, on parle d’une centaine de chrétiens en danger permanent au milieu de 17 millions d’habitants musulmans.
Le Secrétaire d’État, le Cardinal Pietro Parolin, n’oublie pas de mentionner les temps difficiles vécus sur le territoire du patriarcat latin de Jérusalem et les efforts déployés pour la « protection de la communauté chrétienne de Terre Sainte, qui contribue également de manière significative au bien de toute la région ».
Nationalisme palestinien en temps de guerre
La révolte qui gronde chez certains Palestiniens voit les choses d’un autre versant. La nomination d’un patriarche italien en 2016 après un Palestinien, Mgr Sabbah (de 1987 à 2008) et un Jordanien, Mgr Twal (de 2008 à 2016), a été vécue comme un recul voire une forme de retour au « colonialisme occidental ».
Si, depuis sa nomination, le travail sur le terrain du patriarche Pizzaballa a conquis de nombreux fidèles, la guerre ouverte déclenchée par les attentats du Hamas le 7 octobre en Israël et les représailles israéliennes (à Gaza et dans toute la Cisjordanie occupée où les opérations militaires succèdent aux exactions) soutenues par la plupart des pays occidentaux ont renvoyé les Palestiniens – chrétiens compris – à l’expression d’un nationalisme exacerbé.
En dépit des déclarations sans équivoque du Cardinal Pizzaballa, affirmant le droit des Palestiniens à la résistance, à la création d’un Etat et appelant à un cessez le feu immédiat, L’Assemblée nationale des organisations chrétiennes en Palestine, à l’initiative de la pétition, estime que « Mgr Khader fils de la Palestine et de la Jordanie » est le seul à connaître « les préoccupations et les problèmes des chrétiens en Terre Sainte ». « Il est celui, poursuit le texte de la pétition, « qui connaît les causes de la tragédie que vit notre peuple et connaît les solutions. Il est qualifié pour adopter la cause de notre peuple en Terre Sainte, la porter, l’accompagner et lui apporter de la sécurité. »
Défiance envers un patriarche non-palestinien
« À la lumière des dangers que traverse la Terre Sainte et des conditions sécuritaires et politiques qui nécessitent la solidarité et la cohésion de tous les chrétiens sous une direction spirituelle responsable, la décision d’envoyer Son Excellence Mgr Jamal Khader Daibes à Djibouti en Afrique vient remettre en cause cette solidarité » estime le texte.
La défiance manifeste marquée envers le patriarche italien tient aussi au fait qu’avant Noël, les chefs des Eglises se sont rendus à la résidence du président israélien, Isaac Herzog, et ont été pris en photos à ses côtés. Alors que tous les chefs des Eglises étaient présents ou représentés – y compris les Palestiniens – ce sont les patriarches latin et grec-orthodoxe qui ont été accusés par le Hamas et une partie des chrétiens de faire le jeu des Israéliens au point que le bureau des Chefs des Eglises devait publier un communiqué indiquant la teneur des propos lors de la rencontre visant « à transmettre la position commune des Eglises, exigeant, au nom des chrétiens du monde entier, la cessation immédiate de l’effusion de sang à Gaza et abordant le sort des civils, les restrictions de mouvement imposées en Cisjordanie ».
Las, le texte de la pétition daté du 7 janvier estime que la décision d’éloigner Mgr Daibes « dans ces circonstances est une décision précipitée et injuste, qu’elle ne répond pas aux aspirations des chrétiens de Palestine et de Jordanie, qu’elle augmente leurs souffrances et crée des complications pour leur vie. »
S’éloigner pour mieux revenir ?
Et si le Saint-Siège, auquel les pétitionnaires demandent l’annulation de la décision, pensaient plus aux Palestiniens et à la destinée de Mgr Jamal que les Palestiniens eux-mêmes ?
Une source proche du patriarcat latin interrogée par Terre Sainte Magazine sur l’impression que les seuls chiffres peuvent laisser voyant l’évêque passer d’une communauté de 120 000 latins en Jordanie à celle de 4000 catholiques à Djibouti, rappelle que Mgr Daibes passe de vicaire patriarcal en Jordanie à pasteur et chef des diocèses de Djibouti et de Somalie. La même source poursuit en s’interrogeant sur la possibilité « d’une mesure d’apprentissage graduel » sous-entendant que Mgr Jamal pourrait être appelé dans le futur à des responsabilités plus grande.
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Ce pourrait-il alors que Rome prépare la succession du Cardinal Pizzaballa au patriarcat latin ? Nommé administrateur apostolique en 2016, Mgr Pizzaballa avait alors pour mission de résoudre les difficultés financières du patriarcat et de chercher un successeur au patriarche Twal. Quatre ans plus tard et faute de candidat, c’est à son corps défendant qu’il devait accepter lui-même la charge.
Depuis son élévation au rang de cardinal, en septembre 2023, les rumeurs sur le futur du patriarche latin Pizzaballa vont bon train. Le champ de ses compétences pouvant légitimement l’amener à exercer des charges à la Curie romaine, sans compter que les vaticanistes l’ont récemment placé dans leur liste des papabile. Jamal Daibes, 60 ans cette année, part-il pour Djibouti avant de revenir un jour patriarche de Jérusalem ? L’avenir nous dira si le Vatican prend ses décisions comme on joue au billard, par bande.