Tal Mitnick est un jeune homme de 18 ans qui possède la double nationalité américaine et israélienne. Fin décembre, il a refusé de s’enrôler dans l’armée de l'État hébreu et purge aujourd'hui plusieurs peines de prison. Une décision plus difficile que jamais dans le climat de l’après 7 octobre 2023.
Hitpakrout est un mot devenu très populaire en Israël. « Il signifie désillusion. De nombreux israéliens marqués à gauche qui soutenaient le processus de paix approuvent désormais la destruction de Gaza. Ils disent qu’ils se sont enivrés du fantasme de la paix ; maintenant ils sont de nouveau sobres et disent que nous devons tuer les Palestiniens. » Ce sont les propos de Tal Mitnick, rapportés il y a quelques jours dans une interview accordée au journal britannique The Guardian.
Tal Mitnick est un jeune homme de 18 ans et binational américano-israélien. Fin décembre, il a refusé de s’enrôler dans l’armée de l’État hébreu et, après quelques jours de liberté, il est à nouveau emprisonné afin de purger sa deuxième peine de 30 jours. La pratique est en fait la suivante : pour le premier refus, l’armée inflige sept à dix jours de prison, une sanction classique. Après un nouveau refus, Tal s’est vu condamné à 30 jours supplémentaires qu’il doit passer dans une prison située juste à l’extérieur de la ville de Kfar Yona. Il ignore combien de fois les mesures de détention seront répétées. Finalement, après quelques mois ou quelques années passées ainsi, on est généralement déclaré « inapte au service militaire ».
Lire aussi >> Les objecteurs de conscience en Israël : « Notre non à une société militarisée »
À un moment historique alors même que plusieurs centaines de Juifs ultra-orthodoxes, exemptés de la conscription et opposés au service militaire pour des raisons à la fois religieuses et sociales, ont choisi de s’enrôler comme volontaires, le refus de Tal a soulevé de nombreuses controverses et alimenté les opinions les plus disparates.
Lâche, traître, défaitiste, partisan du Hamas ? Le garçon, fils d’un célèbre reporter de guerre israélo-américain, dit avoir pris en compte toutes ces critiques. Le choix de l’objection de conscience a été fait bien avant le 7 octobre, jour de l’attaque terroriste du Hamas en Israël, avec le massacre de 1 200 personnes et l’enlèvement de 240 otages. La guerre déclenchée par Israël en réponse au « Samedi noir » n’a fait que confirmer sa décision. « Israël a déjà perdu cette guerre – dit Tal –. Davantage de meurtres et davantage de violence ne ramèneront pas les vies perdues le 7 octobre. Je sais que les gens sont blessés. Je suis moi-même traumatisé. Mais ça, ça n’arrange rien. Pour éradiquer les idées extrémistes de la société palestinienne, nous devons les éradiquer en Israël. »
Pas si seul
Pour soutenir le choix de Tal Mitnick, une mobilisation de protestation a été organisée par Mesarvot – un réseau qui soutient les objecteurs, les refuseniks – aux abords de la base militaire de Tel HaShomer, lieu où devait être enrôlé. C’est ici que le garçon, après avoir présenté sa carte d’identité au recruteur, a annoncé sa décision de refuser la conscription. « J’ai été renvoyé d’un officier à un autre. J’ai dit à chacun la même chose : je crois qu’il n’y a pas de solution militaire à ce conflit. Je suis pacifiste. »
« Je ne me considère pas comme un héros – a-t-il encore confié au Guardian – alors que des gens sont massacrés chaque jour à Gaza. Et je tiens à souligner que je ne suis en aucun cas le seul. Il y a d’autres militants contre l’occupation. Des gens qui choisissent de ne pas rejoindre l’armée, des militants pour la paix, jeunes et moins jeunes. Même si je crois qu’un geste comme celui-ci demande du courage. »
Refuser le service militaire en Israël a de graves conséquences sociales. En fait, de nombreuses carrières dépendent du fait d’avoir fait ou non son service militaire et à quel niveau. Lors des entretiens d’embauche, la première question porte souvent sur l’endroit où vous avez servi et dans quelle unité. Ceux qui n’ont pas fait le service connaissent une véritable stigmatisation sociale.
Lire aussi >> Quand les réservistes de l’armée israélienne s’opposent au gouvernement
Après l’attaque du Hamas, presque toutes les controverses sur le service militaire en Israël se sont évanouies et les réservistes se sont rendus en masse à la plus grande conscription de l’histoire du pays. Un sondage mené par l’Institut israélien pour la démocratie en novembre dernier a révélé que 90 % des Israéliens juifs soutenaient la stratégie militaire de l’armée dans la bande de Gaza.
Les événements du 7 octobre ont en effet provoqué un changement profond au sein d’Israël. Il y a quelques mois à peine, des milliers de personnes protestaient contre la réforme de la justice promue par le gouvernement de droite dirigé par Benjamin Netanyahu. Tal a également pris une part active aux manifestations. « Le mouvement contre le gouvernement actuel gagnait du terrain – explique-t-il – mais maintenant les soi-disant progressistes qui protestaient contre la réforme judiciaire sont des pilotes d’avions et de chars qui massacrent les gens à Gaza. Les gens qui ont ouvertement parlé de la corruption du gouvernement soutiennent désormais les dirigeants d’extrême droite , affirmant qu’« il n’y a pas de civils à Gaza ».
Même parmi ses pairs, Tal est désormais une exception. Comme chez les adultes, le 7 octobre a poussé la polarisation même parmi les plus jeunes : « Les jeunes ? Ils sont plus à droite que leurs parents. Mais je reste confiant. Nous ne pouvons pas avoir le privilège de perdre espoir ! J’espère que de plus en plus de jeunes de mon âge comprendront qu’il n’est pas normal de vivre dans la peur constante des attentats terroristes. Ce n’est pas normal et nous avons le pouvoir de changer la situation. »
—-
Le quotidien Libération a publié en clair la traduction en langue française d’une lettre écrite par Tal Mitnick pour expliquer son choix.