Bien que l’idée de faire naître un centre d’enseignement et de recherche de la Custodie soit née en 1901 et au-delà de quelques années d’enseignement au couvent Saint-Sauveur, on peut dire du Studium Biblicum Franciscanum qu’il est contemporain de la revue La Terre Sainte. C’est en effet en 1924 que le même custode, le père Ferdinando Diotallevi qui avait voulu la revue trois années plus tôt, inaugura le 7 janvier 1924 le SBF au sanctuaire de la Flagellation, dans la Via Dolorosa.
Ce fut le creuset par lequel passèrent la plupart des archéologues de la Custodie de Terre Sainte. Encore que quelques-uns aient commencé à se former en dehors pour faire par la suite bénéficier de leur science le SBF.
Primus inter pares
Au-dessus de tous se situe la figure du père Bellarmino Bagatti (1905-1997), véritable patriarche d’une heureuse descendance de chercheurs, qui ont contribué à accroître la renommée et le prestige du SBF. Le père Bagatti s’était formé en 1934 à la recherche archéologique près l’Institut pontifical d’Archéologie chrétienne de Rome, s’occupant initialement des catacombes romaines de Commodilla. L’année suivante il enseignait la topographie de Jérusalem et l’archéologie chrétienne près le SBF. Scientifique complet, il savait étudier les sources – telles que les “Itinéraires” des pèlerins de Terre Sainte, mener des fouilles sur les antiques sanctuaires chrétiens et procéder à des recherches concernant la communauté judéo-chrétienne des premiers siècles du christianisme.
Ces figures d’illustres archéologues du SBF ne sont qu’une partie d’un collectif dédié à la recherche, de savants qui, avec un grand engagement et une grande foi, s’occupèrent – et s’occupent encore aujourd’hui – des monuments qui leur sont confiés.
Clairvoyant, il contribua au développement de l’activité éditoriale du Studium Biblicum au moyen de la collection phare intitulée Collectio Maior, fondée en 1941 en compagnie du père Sylvester Saller et suivie, une décennie plus tard, par la création du périodique Liber Annuus en compagnie du père Donato Baldi. Au cours de la 2e Guerre mondiale, le père Bagatti fut interné – de 1941 à 1943 – par les Autorités britanniques ainsi que d’autres franciscains de nationalité italienne au camp d’Emmaüs-Qoubeibeh.
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Même dans cette situation dramatique, il s’employa à offrir son soutien à ceux qui en avaient besoin. Et c’est là qu’il put feuilleter en 1942 le premier volume portant sur le monastère du mont Nébo écrit avec le père Saller. Ses terrains de fouilles, avant la 2e Guerre mondiale, comprenaient déjà le mont Nébo (1935), les sanctuaires des Béatitudes (1936), de la Visitation d’Aïn Karem (1938) et d’Emmaüs-Qoubeibeh (1940-44). Il reprit ses activités de chercheur en 1948 à Bethléem, au Dominus Flevit sur le mont des Oliviers (1953-55), à Nazareth (1954-1971), sur le mont Carmel (1960-61) et dans la localité de Khirbet el-Mukhayyat en Jordanie à divers moments jusqu’en 1973.
Une fructueuse association
Parmi les figures clefs des origines, grande fut la contribution apportée par le père Sylvester John Saller (1895-1976). Ce dernier fut nommé en 1932 professeur d’archéologie, de grec et de théologie de l’Ancien Testament au Studium Biblicum. Sa recherche, conduite avec le père Bagatti au mont Nébo (1933, 1935 et 1937) permit de découvrir le complexe monastique et le sanctuaire byzantins dédiés à Moïse. Menant des prospections régulières, les deux franciscains effectuèrent les premiers pas vers le recensement et la connaissance des sites d’époque byzantine en Jordanie. En Palestine le père Saller suivit directement les fouilles d’Aïn-Karem (1941-1942), de Béthanie entre 1949 et 1953, et de la tombe jébuséenne dans l’enceinte du Dominus Flevit en 1964. Durant le Mandat britannique il avait été élu membre du Conseil archéologique palestinien et devint directeur du SBF.
Prestigieux Italiens… et Espagnols
Un apport méthodologique significatif à l’étude de la culture matérielle fut fourni par le père Stanislao Loffreda (1932-), formé en théologie biblique au SBF, et qui couronna son parcours d’études par un doctorat en archéologie obtenu près l’Oriental Institute de l’Université de Chicago, aux États-Unis. Le père Loffreda introduisit une méthode innovante basée sur l’analyse chrono-typologique des matériaux ; il l’utilisa dans les rapports finaux sur la céramique des fouilles franciscaines de Capharnaüm, Tabgha, Machéronte, Magdala et l’Hérodium, à proximité de Bethléem.
Un autre représentant éminent du SBF est sûrement le père Virgilio Corbo (1918-1991) qui arriva au Studium en qualité d’élève en 1928, après avoir obtenu une maîtrise en Études orientales à Rome. Sa fructueuse activité comprit les fouilles de Bethléem (1946-1954), du mont des Oliviers (1959), du site de l’Hérodium (1962-1967), de la forteresse hérodienne de Machéronte (1967-1981) puis du Nébo et de Magdala. Les plus célèbres concernent “la maison” de Capharnaüm, datée du Ier siècle de l’ère chrétienne et attribuée à l’Apôtre Pierre. Cependant son étude la plus significative, fameuse pour son équilibre et sa compétence, fut bien le Saint-Sépulcre de Jérusalem et toutes les phases antérieures à la réfection par les Croisés.
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Éminente et singulière fut la figure du père Emanuele Testa (1923-2011), formé en théologie et études bibliques, qui enseigna au Studium de 1957 à 1993. Le père Testa s’adonna particulièrement au culte marial en Terre Sainte du Ier au IXe siècle, et contribua largement à l’édition critique des graffitis de la maison de Pierre à Capharnaüm. L’étude réalisée par le père Testa en compagnie du père Bagatti sur les communautés judéo-chrétiennes, bien que sujette à controverses, pourrait fournir une reconstruction plausible des modalités de transition entre la période apostolique et les périodes constantinienne d’abord puis byzantine.
Le père Pasquale Castellana (1921-2012) fut un archéologue non moins illustre. Il a dédié sa vie active à la fouille des églises et monastères du nord de la Syrie. Le père Castellana arriva très jeune en Terre Sainte, à l’âge de 11 ans, avant d’y être ordonné prêtre en 1945. Il se voua largement à l’étude du monachisme syrien, enregistrant scrupuleusement les vestiges, le contexte topographique et la décoration sculptée d’un nombre impressionnant de monuments : environ 150 églises, 170 monastères et ermitages, 61 tours de moines reclus, des vasques baptismales, des inscriptions grecques, des nécropoles, de petits temples, des colonnes de stylites etc. Il partagea cette recherche passionnée avec deux autres célèbres confrères : le père Romualdo Fernandez (1937-2015), à qui l’on doit en outre la restructuration du mémorial de saint Paul à Damas, et le père Ignacio Peña (1933-2010), grand spécialiste des formes extrêmes d’ascèse monastique.
Les livres qu’ils ont publiés, largement fournis en dessins, photographies et descriptions des monuments et structures, donnent à voir la richesse de ce patrimoine chrétien. Leur travail, et en particulier l’immense masse d’archives photographiques, fruit d’une longue activité sur le terrain, est sans aucun doute d’une valeur inestimable pour reconstruire ce qui se trouve détruit par la fureur des événements dramatiques qui dévastent actuellement la Syrie.
Le SBF, école reconnue
Parmi les élèves les plus célèbres du père Bagatti se trouve le père Michele Piccirillo (1941-2008). Ce dernier est surtout connu pour ses études sur la géographie biblique, les fouilles et recherches en Jordanie, les découvertes sensationnelles de mosaïques byzantines, les expositions, les restaurations et la valorisation du patrimoine archéologique au Proche-Orient.
Ses activités sur le terrain débutèrent à l’été 1973 lors d’une campagne conduite avec le père Bagatti sur le site de Khirbet al-Mukhayyat. En 1976, nommé au poste de responsable de la Mission archéologique de la Custodie de Terre Sainte en Jordanie, le père Piccirillo porta au jour la splendide mosaïque de l’antique diaconicon – baptistère, datant de 530/531 ap. J.-C. Entre la fin des années 1970 et le début des années 1980, il recueillit une immense documentation sur les principaux monuments byzantins de sites tels que Madaba, Khirbet al-Mukhayyat, Ma’in et ‘Ayun Musa, décrivant les dallages en mosaïque qui étaient découverts, dessinant les plans des édifices et photographiant inscriptions et sculptures. Il prenait part, de plus, en tant que numismate, aux fouilles du Studium Biblicum Franciscanum près de la place-forte hérodienne de Machéronte. Son projet le plus ambitieux débuta en 1986 à Umm er-Rasas, où les inscriptions en grec des mosaïstes, portant des datations précises, lui permirent de remonter une séquence chronologique caractérisée par une construction véritablement planifiée ; commençant par l’édification de l’église du Reliquaire (586 ap. J.-C.), elle s’achève avec l’église Saint-Étienne, érigée en 718 et restaurée en 756.
On doit en outre au père Piccirillo la conception de l’exposition “Les mosaïques de Jordanie”, ouverte à Rome au Palais de Venise. Le succès obtenu permit, au cours des années suivantes, l’organisation d’une tournée mondiale qui porta l’exposition en question à Vienne, Klagenfurt, Münster, Munich, Ettlingen, Berlin-Est, Lyon, Spilimberg, Bergame et Aarhus. Il obtint par ailleurs un important résultat en 1995 lorsque lui fut accordé le permis pour une visite sur la rive orientale du Jourdain, militarisée depuis 1967. À cette occasion, il identifia les restes d’Aïnon Sapsaphas, tenu par les pèlerins de l’Antiquité tardive pour le site du baptême de Jésus ; il proposa la création d’un parc archéologique, qui aurait pris vie après les fouilles nécessaires de la part du Département des Antiquités, lancées en 1997 dans le but de clarifier l’aspect des monuments paléochrétiens liés au site du baptême.
Brièvement retracées ces figures d’illustres archéologues du SBF ne sont qu’une partie d’un collectif dédié à la recherche, de savants qui, avec un grand engagement et une grande foi, s’occupèrent – et s’occupent encore aujourd’hui – des monuments qui leur sont confiés. Il s’agit non seulement d’auteurs de contributions scientifiques faisant autorité par des livres, des articles, des colloques et des conférences mais aussi, en habiles vulgarisateurs, de guides pour les pèlerins et tous ceux qui désirent s’approcher de l’histoire millénaire de la Terre Sainte, de sa complexité historique antique et moderne. Leurs figures polyédriques devraient sans doute être encore approfondies. Ce qui demeure gravé dans l’esprit de ceux qui les ont connus est leur humilité, leurs dons personnels et les histoires humaines liées à la terre même où ils ont œuvré et qui continuera de fasciner et d’inspirer les générations futures.
Dernière mise à jour: 14/03/2024 09:39