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Les trois Joseph

Claire Burkel
27 mars 2024
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Deux juifs pieux, Nicodème et Joseph d'Arimathie portent Jésus mort, descendu de la croix, jusqu'à son tombeau. Derrière viennent le jeune disciple bien-aimé, Marie sa mère et 3 femmes en pleurs. (Peinture de la paroisse des saint Nicodème et saint Joseph d’Arimathie de Ramleh, Israël). © Paroisse de Ramleh/CTS

Sur le premier les textes sont prolixes : 13 chapitres dans la Genèse et quantité de références. Pour le deuxième, une dizaine de brèves mentions dans les Évangiles sans qu’il prononce une parole. Le troisième est présent dans les quatre évangiles pour un seul acte rapporté. Tous trois, prénommés Joseph, accomplissent une mission essentielle dans le dessein de Dieu.


Joseph est mentionné comme père de Jésus par ses contemporains quatre fois dans les Évangiles : Jn 1, 45 et 6, 42, ainsi que Lc 3, 23 dans une longue généalogie, et 4, 22. En l’absence de nom de famille, dans l’Antiquité une personne est fréquemment désignée par son ascendance : “Jésus est fils de Joseph”.

Père de Jésus, époux de Marie

Au jour de la conception de Jésus l’évangéliste Luc nous relate la scène de l’Annonciation : “L’ange Gabriel fut envoyé à une jeune fille fiancée à un homme du nom de Joseph, et le nom de la vierge était Marie” -Lc 1, 27. Il est certain que c’est de son propre mouvement à elle seule que Marie a répondu, en toute liberté, au messager du Seigneur ; elle a dit oui à ce projet totalement inattendu : le Messie espéré par le peuple d’Israël ne serait pas seulement un prophète comme Moïse issu du milieu de ses frères, mais le don de Dieu lui-même incarné dans l’humanité par la puissance de son Esprit. Cependant elle se sait engagée avec un certain Joseph qui est artisan dans leur village de Nazareth, le mariage est prévu. Comment la “pleine de grâce” aurait-elle pu dissimuler l’annonce qui lui fut faite à celui avec qui elle devait partager sa vie, qui attendait d’elle pureté et fidélité ? Ne doutons pas qu’elle lui a révélé les paroles de “celui qui se tient devant Dieu”, l’ange Gabriel-Lc 1, 19.

Joseph tient son fils sur son bras ainsi qu’un rouleau de la Loi. C’est sous sa responsabilité que Jésus apprendra les commandements, les usages et l’Histoire de son peuple. (Icône dans la nef de l’église Sainte-Catherine de Bethléem). © MAB/CTS

C’est Matthieu qui nous donne à lire la suite de l’histoire : informé par sa promise, Joseph se trouve devant un choix totalement inimaginable et ne sait plus quel juste parti choisir ; si Marie a été élue par Dieu pour la mission toute particulière que lui a révélée l’ange, lui, Joseph, ne peut la prendre pour épouse comme si de rien n’était. Rivaliser avec Dieu ? Mais s’il rompt l’engagement du mariage et renvoie sa fiancée, il faut un motif pour cela, qui serait une grossesse honteuse. Cela revient à la condamner à la lapidation jusqu’à ce que mort s’ensuive pour elle et surtout pour l’enfant ! Joseph n’est pas dans le doute sur la sincérité de sa fiancée, mais devant le dilemme d’un choix cornélien. En toute justice, que décider ? C’est alors que l’ange revient vers lui.

Un ange et des songes

Un ange, dans la Bible, est toujours un messager, un annonciateur de nouvelle et celui qui, de la part de Dieu, vient dénouer les situations humainement insolubles. Le magnifique dialogue entre le futur juge Gédéon et l’ange du Seigneur en Jg 6, 11-18, ou l’annonce de la naissance de Samson accordée à la femme de Manoah en Jg 13, 1-25, donnent à nos scènes d’évangiles et le format et le vocabulaire. Dans le conte de Tobie, c’est l’ange Raphaël qui accompagne le jeune homme dans sa quête et permettra que son père aveugle recouvre la vue -Tb 11, 7-8. Quand le prophète Élie est découragé et se laisse tenter par la mort, un ange lui fournit le pain et l’eau qui vont refaire ses forces -1R 19, 1-8. Face à l’oppression, à la stérilité, à la cécité, à la faiblesse mortelle, Dieu envoie son secours grâce à des anges qui “se tiennent constamment devant lui”.

L’ange Gabriel vient conforter le projet matrimonial de Joseph et Marie. Oui, elle est ton épouse, “ne crains pas de la prendre chez toi”, même si la présence réelle de Dieu est maintenant implantée en son sein. Et tu garderas toutes tes prérogatives, en premier lieu celle de nommer l’enfant qui certes n’est pas de toi, mais pour toi. C’est au sein des initiatives humaines, ici le désir d’épousailles de deux jeunes gens de Nazareth, que Dieu parfait la bonté de sa création : “Avec ma bénédiction, vous serez féconds” -Gn 1, 28.

Mémorial du tombeau du patriarche Joseph au cœur de la ville de Naplouse, qui vénère particulièrement Jacob,le père des 12 fils qui formeront le peuple d’Israël. Le mont derrière est le Garizim. © MAB/CTS

Dieu avait besoin d’une mère pour son fils, mais aussi d’un père afin que Jésus grandisse dans l’obéissance de la Loi, dans la connaissance des Écritures et apprenne un métier. C’est bien le couple qui est totalement soumis à la volonté de Dieu ; et Dieu a entièrement remis son fils entre leurs mains à eux deux. Jean Paul II reconnaissait Joseph “dépositaire du mystère divin”. Joseph saura prendre les décisions nécessaires. Monter au Temple avec Marie pour consacrer l’enfant selon la Loi -Lc 2, 22-35 ; se retirer en Égypte quand le danger menace la vie de la mère et du nouveau-né -Mt 2, 13-15 ; et revenir au pays quand l’alerte sera passée -Mt 2, 19-23.

Le patriarche de l’Ancien Testament

Silencieux Joseph. En effet jamais il ne parle en dialogue direct, on ne connaît que quelques-unes de ses pensées. Silence qui est habité par des visions, des écoutes attentives. Et en cela ce Joseph de l’Évangile est à l’image du premier qui apparaît dans la Bible au cours d’un long récit (Gn 37 à 50). Tout jeune garçon il reçoit des visions qui le montrent différent de ses dix frères aînés et, parce que chéri tout particulièrement par leur père Jacob, il est jalousé par eux. Au point qu’ils veulent le faire mourir et parviennent à se débarrasser de lui en le vendant à des marchands en caravane vers l’Égypte.

C’est là qu’il aura un destin unique. Grâce à sa capacité d’interpréter les songes, il devient proche du Pharaon. Celui-ci le nomme intendant de tous ses biens, chargé de stocker les récoltes des bonnes années afin d’avoir des provisions pour les mauvaises qui s’annoncent. Il retrouvera ses frères venus quémander du grain pour subsister à cause de la sécheresse et, comprenant que leur cœur a changé, que son vieux père est toujours vivant, il leur pardonnera. Mais surtout il saura expliquer que c’est un dessein de Dieu qui, par leur forfait, s’est accompli : “Ne vous fâchez pas de m’avoir vendu, car c’est pour préserver vos vies que Dieu m’a envoyé en avant de vous… Dieu m’a envoyé en avant de vous pour assurer la permanence de votre race dans le pays et sauver vos vies pour une grande délivrance. Ainsi ce n’est pas vous qui m’avez envoyé ici, c’est Dieu.” -Gn 45, 5-8. Réprouvé, rejeté, mis à nu, presque assassiné, il devient le sauveur de son clan.

Si le patriarche Joseph a sauvé la tribu porteuse du plan de Dieu, le deuxième a sauvé un enfant, le Messie en qui s’accomplit la promesse. C’est aussi un corps que sauve Joseph d’Arimathie, le Corps qui devient l’Église. En effet, si Jésus avait été jeté dans une fosse commune, comme c’était le lot normal des condamnés, on n’aurait jamais pu constater le vide d’un tombeau, et par là la Résurrection.

On pourra comparer combien ce “sauveur” de son peuple est figure, au sens théologique du terme, de Jésus, lui aussi vendu, renié, trahi, emprisonné, déshabillé, (si Jn 19, 23 mentionne la tunique du Christ, n’est-ce pas pour évoquer la belle tenue que portait le jeune Joseph chéri de Jacob ?) et mis à mort.
Avec l’époux de Marie, le patriarche Joseph a en commun de recevoir des songes, cet art de l’écoute vigilante.

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Joseph d’Arimathie

Un troisième Joseph est présent dans chacun des évangiles, c’est le propriétaire d’un tombeau neuf à deux pas du Golgotha, où Jésus a été crucifié en avril de l’année 30. Il offre à ce condamné réprouvé (selon la Loi “maudit celui qui est pendu au bois” -Dt 21, 22-23) sa sépulture de famille “qu’il s’était fait tailler dans le roc” -Mt 27, 60. Grâce à lui s’accomplit pour Jésus la prophétie “sa tombe est avec le riche” -Is 53, 9. Il était allé “hardiment trouver Pilate pour lui demander le corps de Jésus” -Mc 15, 43- qui avait été constaté mort au soir de ce vendredi de la semaine de Pâque. Les textes disent peu de choses de lui, seulement qu’il était “membre du Conseil, et attendait le Royaume de Dieu” -Mc 15, 43, “homme droit et juste” -Lc 23, 50, et même “disciple de Jésus, mais en secret par peur des juifs” -Jn 19, 38. Le terme de “juifs” désigne, dans l’Évangile de Jean, les autorités juives et non le peuple en son entier, dont Joseph fait partie intégrante.

Son geste n’est pas moins modeste que celui de ses deux prédécesseurs. Si le patriarche Joseph a sauvé la tribu porteuse du plan de Dieu, le deuxième a sauvé un enfant, le Messie en qui s’accomplit la promesse. C’est aussi un corps que sauve Joseph d’Arimathie, le Corps qui devient l’Église. En effet, si Jésus avait été jeté dans une fosse commune, comme c’était le lot normal des condamnés, on n’aurait jamais pu constater le vide d’un tombeau, et par là la Résurrection.

Des visions envoyées par Dieu et que l’homme a la faculté d’interpréter, c’est ce qui fait les prophètes ; ce sont des visions qui relient les deux premiers Joseph. On pourrait dire que l’insistance de Matthieu à écrire que Joseph perçoit tout “en songe”, est bien le moyen de les associer au même dessein. Quant au salut des corps, il est l’apanage commun des trois Joseph, dont le mot, en hébreu, vient du verbe ajouter. “Dieu se souvint de Rachel, il l’exauça et la rendit féconde. Elle conçut et enfanta un fils… elle l’appela Joseph, disant ‘Que le Seigneur m’ajoute un autre fils !’” -Gn 30, 22-24. Un nom d’action de grâce et d’espérance.

Le pape François avait ouvert le 8 décembre 2019, en la solennité de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, une Année Saint-Joseph, afin de commémorer le 150e anniversaire de l’année où saint Joseph fut déclaré “Patron de l’Église universelle” par Pie IX en 1870 et le centenaire de sa proclamation comme “Patron des ouvriers” en 1920 par Benoît XV. Josef Ratzinger devenu Benoît XVI avait souhaité que son nom soit plus intimement associé à celui de Marie dans les préfaces liturgiques. Toute l’Église est invitée à “faire grandir l’amour envers ce grand saint, pour être poussée à implorer son intercession et pour imiter ses vertus”.

Dernière mise à jour: 27/05/2024 12:01