Comment un ouvrage qui n’est plus actualisé depuis 85 ans, qui comporte des erreurs, dont l’objectivité est parfois douteuse, rédigé dans un style un rien désuet demeure-t-il pour les passionnés de Terre Sainte une référence incontournable ? Dans la communauté des archéologues comme dans celle des guides, on a ou pas son Meistermann.
C’est que le Guide de Terre Sainte rédigé par le frère franciscain Barnabé Meistermann est un guide comme on n’en fait plus et qui, malgré tout ce que la science et l’archéologie ont apporté à la connaissance de la Terre Sainte depuis un siècle, demeure une mine d’informations.
Quand il le publie en 1907, frère Barnabé s’aventure dans ce qui va devenir une tradition pour les franciscains de la Custodie. Avant lui le frère Liévin de Hamme (1822-1898) avait publié en 1876 le premier guide pratique en langue française sous le titre Guide indicateur de la Terre Sainte. Jusque-là les pèlerins catholiques francophones n’avaient pour seule boussole que Chateaubriand et son Itinéraire de Paris à Jérusalem paru en 1811.
La différence entre les guides de Liévin et de Meisterman est notable. Le dernier en parle ainsi dans sa préface : “Tout en rendant hommage au mérite du premier guide de Terre Sainte, il ne nous coûte nullement de reconnaître, que depuis trente ans, l’étude des pays bibliques a réalisé de grands progrès. Bien des localités anciennes ont été retrouvées ou déterminées avec plus de précision. Puis, au nombre des traditions dont il se fait l’écho, toutes ne revêtent pas le même degré de certitude. S’il en est que la production de documents, alors inconnus, corroborent, il en est d’autres qui sont basées sur de simples méprises ou appartiennent au domaine des légendes.”Et le fait est que Meistermann va parsemer ses pages d’informations sur les dernières découvertes archéologiques.
Ainsi au Dôme du Rocher : “Tout visiteur reste émerveillé de l’effet mystérieux, féerique, produit par le jeu des lumières dans le vaste édifice, où le luxe des décorations est loin d’affaiblir l’harmonie des lignes.”
Faire entrer la discipline dans la modernité c’est aussi devenir précis. Entrons à sa suite dans le tombeau du Jésus au Saint-Sépulcre : “A l’extrémité de la chapelle de l’Ange, une porte cintrée haute de 1 m 33 (agrandie depuis 1113), ouvre dans le Saint-Sépulcre proprement dit, qui a 2 m 02 de longueur de l’E. à l’O. sur 1 m 94 de largeur. Trois personnes, 4 au plus, peuvent s’y tenir à la fois”.
Chaque bâtiment sera ainsi scrupuleusement décrit, mais le souci des détails ne le dispense pas de se laisser transporter par la beauté d’un lieu. Ainsi au Dôme du Rocher : “Tout visiteur reste émerveillé de l’effet mystérieux, féerique, produit par le jeu des lumières dans le vaste édifice, où le luxe des décorations est loin d’affaiblir l’harmonie des lignes.”
Ouvrir le guide de Meistermann, c’est aussi se laisser guider par les pèlerins des premiers siècles, comme ceux du Moyen Âge ou de la Renaissance. Il les cite tantôt pour montrer que rien n’a changé depuis, tantôt au contraire pour relever les différences. Ici à Bethléem : “Sæwulf, le pèlerin anglosaxon qui visita la Sainte Grotte en 1102, la décrit en ces termes : “Presque au milieu de cette église, sous le chœur, est une crypte dans laquelle on voit le lieu de la Nativité de Notre Seigneur à gauche, et la Crèche à droite, un peu plus bas. Ici La description de la Grotte, telle qu’elle était constituée antérieurement aux Croisades, est encore aujourd’hui d’une vérité frappante.”
Tout au long des pages, le guide se fait aussi livre d’histoire. “Vers le milieu du XVe s., Philippe le Bon, duc de Bourgogne, obtint du pape Nicolas V une bulle qui l’autorisa à renouveler la toiture de la basilique (de Bethléem) pour sauver sa décoration intérieure d’une destruction imminente. Edouard IV, roi d’Angleterre, fournit le plomb nécessaire pour couvrir la nouvelle charpente, et les Franciscains dirigèrent les travaux.”
On se régale de trouver une variété d’informations toponymiques. “À cause de la sépulture de la sainte Vierge à Gethsémani, les Arabes ont donné le nom de Sitti Mariam à la porte de la ville (Porte des Lions NDLR), à la piscine située hors des murs, à la vallée tout entière et spécialement à sa célèbre fontaine, Aïn Sitti Mariam. On l’appelle aussi Aïn Oumm ed Daradj, fontaine de la Mère des Escaliers. Le nom biblique de cette source est Aïn Rogel, la fontaine de l’Espion.”
Ici ou là, Meistermann cite volontiers le Coran ou le Talmud ou plutôt La Géographie du Talmud œuvre de 1868 d’Adolf Neubauer. Quant aux bas de pages, ils sont couverts de références bibliques.
Bien que son livre soit largement épuré des fables que l’on trouve encore chez Liévin de Hamme il en glisse encore quelques-unes : “A l’angle N.-0. de la propriété-russe (de Sainte Marie Magdeleine au Mont des Oliviers NDLR), au bord de la route, on montre l’endroit où la sainte Vierge en montant au ciel aurait laissé tomber sa ceinture entre les mains de saint Thomas, pour le convaincre de sa Résurrection. – Les Actes les plus anciens de l’Assomption de Marie ne mentionnent pas ce fait.”
Mais il se fait aussi volontiers conteur de ces légendes locales dont raffolent les bons orateurs pour maintenir l’attention de leur public. “De la porte de David, on s’avance droit devant soi à une distance de 40 pas et l’on remarque à dr., contre une muraille, un tronçon de colonne plantée dans le sol. Elle rappelle le miracle qui eut lieu pendant les funérailles de la bienheureuse Vierge Marie, lorsque les Juifs tentèrent d’outrager sa dépouille mortelle. Celle tradition est très ancienne. Elle est rapportée par le livre apocryphe de saint Jean sur la Dormition de Marie, écrit au IIIe ou IVe siècle. Lorsque les apôtres transportèrent au tombeau de Gethsémani le corps vénérable de la Mère de Dieu, les Juifs arrêtèrent le convoi et se précipitèrent avec rage sur la dépouille mortelle de celle qui avait donné le jour à Jésus. Le malheureux, qui porta le premier la main sur le brancard eut le bras paralysé et tous furent à l’instant frappés de cécité. Saisis de frayeur, ils reconnurent dans ce châtiment la main du Seigneur et se repentirent de leur crime. Alors, à la prière du prince des Apôtres, Dieu les guérit, et ils se déclarèrent tous disciples de Jésus-Christ.”
Ainsi trouve-t-on dans ce guide des informations que plus aucun guide ne donnerait. Une profusion de mesures, de descriptions, de détails, d’histoires qui expliquent pourquoi le guide fait 610 pages lors de sa première édition et près de 800 dans les éditions suivantes. Son impression en petits caractères sur papier bible lui permet pourtant de garder un format pratique de poche. L’ouvrage fut un best-seller traduit en cinq langues, mis à jour et réédité deux fois en français jusqu’à ce que finalement les très nombreuses découvertes archéologiques du XXe siècle et l’évolution des pèlerinages nécessitent de passer à un autre type de publication.
Sa rareté aujourd’hui en fait un trésor. La magie du XXIe siècle fait qu’on le trouve en ligne en cherchant bien ou en nous écrivant !
Dernière mise à jour: 14/03/2024 15:44