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Mgr Michel Sabbah: « Aimer son ennemi, c’est l’aider à guérir de son mal »

Cécile Lemoine et Capucine Delaby
27 mars 2024
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©Capucine Delaby

Premier Palestinien à devenir patriarche des latins de Jérusalem en 1987, Mgr Michel Sabbah, s’est toujours prononcé contre l’injustice et l’oppression subie par son peuple, sans jamais exclure les Israéliens. TSM a voulu revenir avec ce fin connaisseur des réalités de la Terre Sainte, sur ce qu’être chrétien signifie dans un contexte de guerre.


À Bethléem, le pasteur luthérien Munther Isaac disait au moment de Noël que si le chrétien tendait l’autre joue après s’être fait frapper, il restait debout. Un discours qui tranche avec les positions des prêtres dans les paroisses arabes israéliennes, qui préfèrent ne parler que de paix, ou de choses qui unissent. Existe-t-il une “bonne” réponse chrétienne à cette guerre ?

En Israël, la bonne position, c’est de dire aux gens ce qu’ils sont : Palestiniens chrétiens et citoyens d’Israël. En Israël, la majorité des chrétiens a conscience de ce qu’ils sont, et s’engagent. D’autres sont plus éloignés, tout en ressentant le conflit. D’autres résolvent leur problème identitaire par l’indifférence. Ils disent : je suis chrétien et Israélien. C’est tout. D’autres pensent se désengager du conflit, en disant : nous sommes araméens. Mais si le chrétien est araméen, le musulman l’est aussi. Car nous sommes un seul peuple : nous étions tous chrétiens, araméens ou arabes, dans la Grande Syrie. Au VIIe siècle, avec la venue de l’islam, les uns sont devenus musulmans, d’autres sont restés chrétiens. Chrétiens comme musulmans peuvent avoir des origines araméennes ou arabes.

Et dans les territoires palestiniens ?

La position du chrétien est différente. Ici, tout le monde sait qu’il est Palestinien et chrétien. Pas de citoyenneté ici, mais l’Occupation militaire : il faut dire non à cette Occupation et à la privation de liberté. C’est un droit et un devoir de demander sa liberté. Le Christ nous a libérés pour que nous restions libres, pas pour que nous soyons des esclaves. On ne peut pas rester passif devant l’injustice. Que faire alors ? Le chrétien, comme tout Palestinien, est libre d’appartenir à n’importe quel parti politique. De plus, être chrétien, c’est connaître et suivre les enseignements du Christ. Le premier d’entre eux est d’aimer son prochain comme soi-même.

©Capucine Delaby

Comment aimer son ennemi ?

Aimer son ennemi, c’est lui vouloir du bien malgré tout. L’ennemi est une personne humaine. Lorsque Jésus dit : “aimez votre ennemi”, il dit aimez la personne humaine en lui, non le mal qu’il y a en lui, ou le mal qu’il vous fait. Donc, aimer l’ennemi c’est l’aider à se libérer du mal qui est en lui et qui opprime. Les moyens sont nombreux, parler, discuter, faire de la résistance pacifique

Des chrétiennes nous ont expliqué qu’elles ne se voyaient pas comme des ponts entre les communautés, mais qu’elles se plaçaient plutôt “à côté”, ou qu’elles essayaient d’agir à leur échelle plutôt que d’espérer changer le monde. Quel peut être le rôle des chrétiens dans cette guerre ?

Être avec son peuple et partager ses souffrances, ses difficultés. Il s’agit d’une guerre. Il s’agit d’une liberté à reconquérir. Tout le monde doit y contribuer. Se placer “à côté”, c’est refuser le sacrifice, et vivre sur les sacrifices des autres, ce qui n’est ni humain, ni chrétien. Un chrétien peut être un pont, agir pour la réconciliation. Travailler à son échelle, autant qu’on peut, c’est aussi contribuer. Mais jamais rester passif. On appartient à un peuple, on appartient à sa tragédie et à ses attentes.

Aimer son ennemi, c’est lui vouloir du bien malgré tout. L’ennemi est une personne humaine. Lorsque Jésus dit : “aimez votre ennemi”, il dit aimez la personne humaine en lui, non le mal qu’il y a en lui, ou le mal qu’il vous fait.

Qu’avez-vous pensé des textes et positions du patriarche latin de Jérusalem ?

Bien qu’il soit difficile, dans ce pays, de dire des paroles vraies aux puissants de la terre, S. B. le patriarche Pizzaballa a dit des paroles de vérité. Il dit la vérité qu’il voit. Son homélie de Noël n’a pas plu à tout le monde. Elle était une parole de foi et de vérité. Il n’est pas aisé d’être un chef religieux chrétien en Israël. Il faut être avec Dieu et parmi les hommes. Dieu guide. Les hommes eux, jugent selon leur point de vue. Mais je crois que notre patriarche est un homme vrai, solidaire de l’homme des deux côtés, et indépendant.

Lire aussi >> Mgr Sabbah: des pistes pour l’entente entre chrétiens et musulmans en Palestine

Quelles sont les racines de l’extrémisme religieux ?

L’ignorance. L’ignorance de ce qu’est Dieu. Dieu n’est qu’amour. Il ne dit à personne de tuer ou de faire du mal à autrui… Un individu qui tue poussé par “sa religion”, ou viole les droits d’un voisin, c’est un homme qui ne croit pas en Dieu, ni en sa religion. Il croit en ses propres intérêts. Aucune religion n’est épargnée : musulmane, chrétienne ou juive. Et c’est parce que cette terre est “sainte” qu’il y a la guerre : Dieu n’y est pas. Partout, c’est le culte de l’Homme qui donne naissance aux extrémismes, qui sont ensuite exploités et nourris par les puissances politiques.

Dernière mise à jour: 27/05/2024 14:58

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