Le flot est ininterrompu. Tapis de prière sur l’épaule et chapelet de perles à la main, des milliers de fidèles musulmans traversent d’un pas pressé la vieille ville de Jérusalem en direction de la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’Islam, où se déroulent la grande prière du vendredi.
La journée est particulièrement scrutée. La période du Ramadan, mois le plus saint du calendrier musulman, a eu tendance par le passé à attiser les tensions d’un territoire en conflit permanent. Plus tôt dans la semaine, le Hamas a appelé les fidèles à se barricader dans la mosquée Al-Aqsa pour la “protéger”, rhétorique habituelle de l’organisation qui a par ailleurs baptisée l’opération du 7-Octobre “Déluge d’al-Aqsa”. Les forces de l’ordre ont quant à elles largement mobilisé leurs effectifs, avec plus de 3 000 policiers en charge de quadriller la ville.
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Jamil slalome dans la foule qui remplit les ruelles de la ville sainte, avant que son élan ne soit brisé par une jeune soldate de la police aux frontières, à l’entrée d’une des portes de l’esplanade. “Enlève ton manteau”, intime-t-elle au jeune palestinien de 24 ans, qui s’exécute, le visage fermé. Poches tatonnées, sac inspecté, identité vérifiée : Jamil peut entrer. “C’est la première fois depuis le 7 octobre que je peux aller à al-Aqsa, explique ce résident de Jérusalem-Est à la barbe finement taillée. Tous les vendredis d’avant, ils m’ont refoulé, parfois violemment. Je m’attendais à ce que ça soit pire pendant Ramadan.” Mis à part ces quelques contrôles, les forces de l’ordre laissent passer tout le monde.
Restrictions pour la Cisjordanie
Après avoir un temps tergiversé sur la mise en place de restrictions d’accès supplémentaires, Benyamin Netanyahou s’est finalement rangé du côté de ses services de sécurité et a promis d’autoriser l’entrée les fidèles musulmans dans les mêmes proportions que les années précédentes, soit entre 50 000 et 60 000 personnes. Le Premier ministre a souligné qu’il tiendrait compte « des impératifs de sécurité » et que ceux-ci seraient réévalués au bout de 7 jours.
Une cinquantaine de bus ont été affrétés pour transporter les citoyens Arabes d’Israël vers la ville sainte et des permis ont été délivrés aux Palestiniens de Cisjordanie, mais seulement aux hommes âgés de plus de 55 ans pour les hommes (ainsi qu’aux femmes de plus 50 ans et aux enfants de moins de dix ans).
Hateem, 65 ans, fait partie des chanceux que l’armée a laissé passer depuis Bethléem. “Certains n’ont pas pu entrer. À la fin, ce sont toujours les soldats qui décident”, explique le retraité, avant de poursuivre, désabusé : “On devrait pouvoir venir prier à al-Aqsa tous les soirs de Ramadan. Pas seulement le vendredi. C’est notre mois sacré, c’est notre lieu saint.”
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Les permis ne sont valables que pour la journée, et Hateem devra être de retour à Bethléem pour 17 heures. “C’est la première fois que je reviens à Jérusalem depuis le 7 octobre, et on n’a rien le temps de visiter”, s’agace-t-il à travers sa moustache blanche.
L’esplanade est noire de monde. C’est la guerre des chiffres : le Waqf, fondation jordanienne qui administre le lieu saint, revendique 80 000 fidèles. La police israélienne parle de 45 000. La vérité se situe probablement quelque part entre les deux. À la fin de la prière, la foule se disperse, toujours dans le calme.
Comment se réjouir ?
“Voyez, quand vous respectez un peu les gens qui veulent juste prier tranquillement, tout se passe bien”, lance Fida. Assise à côté de l’une des sorties, cette cinquantenaire à la répartie bien sentie, tend une boîte pour récolter des donations en faveur d’une organisation qui s’occupe de jeunes en situation de handicap. Période de jeûne, d’abstinence et de réflexion, le Ramadan est aussi un temps de charité, mais “les temps sont durs », note Fida, le visage fin sous son voile brun. La guerre a appauvri les gens, il y a moins de travail.”
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Alors que le quartier musulman se pare d’habitude de mille lumières à l’occasion du mois de Ramadan, cette année est marquée par la sobriété. Pas de décoration, pas d’animation, pas de festivité… L’ambiance est aussi morose que les cœurs. “Comment se réjouir quand notre peuple est affamé et décimé à Gaza, devant les yeux du monde entier”, souffle Fida, née et élevée à Jérusalem.
Ce premier vendredi de Ramadan clôture cinq jours d’un calme qui contraste avec les années précédentes. Un jeune de 13 ans, Rami Hamdan al-Halhouli, a tout de même été tué lundi soir dans le camp de réfugié de Shuafat, quand le feu d’artifice qu’il a à peine eu le temps d’allumer a été considéré comme une menace par un policier. “On tente d’apaiser les esprits, surtout chez les jeunes, explique Wassim, propriétaire d’un bar à jus près de la porte de Damas. Personne n’a intérêt à ce que la situation dérape : on voit tous ce dont les Israéliens sont capables…”