Ramadan: des juifs solidaires face aux difficultés économiques des Palestiniens
Il faudra à peine cinq minutes à Anton Goodman, de Rabbins pour les droits de l’Homme, et ses deux volontaires pour décharger les trente colis de nourriture des voitures, aidés par les jeunes bédouins d’une communauté isolée du désert de Judée. Le soleil printanier tape déjà fort les collines du Wadi al-Quelt, où sont blottis leurs abris de tôles.
Tayil Kaabneh, pudique chef de la communauté sur la fin de sa quarantaine, soupèse les cartons du regard. « “Ramadan Kareem”, “joyeux Ramadan”, lui lance Anton Goodman, dans une fraternelle poignée de main. Juif israélien au sourire franc et à la petite kippa, Anton est le directeur des partenariats de l’ONG israélienne Rabbins pour les droits de l’Homme (RDH). Depuis octobre, il coordonne des livraisons d’aide aux communautés palestiniennes les plus isolées et dans le besoin.
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Les paquets, d’une valeur de 50 euros chacun, contiennent 5 kilos de riz, 7 kilos de farine, 4 kilos de lentilles, et d’autres produits de première nécessité. Ils seront répartis entre les 3 familles, réfugiées dans cette partie la Cisjordanie occupée (zone C) depuis qu’elles ont été chassées du Néguev en 1948.
« On n’arrive plus à respirer »
Leurs conditions de vie se sont dégradées depuis le 7 octobre. “Plus personne n’a de travail, lance Jihad, 34 ans et père de 4 enfants. On m’a viré de l’imprimerie israélienne où je travaillais depuis 10 ans, et nos permis pour entrer en Israël ont été annulés. On vit sur nos économies. On rationne tout.”
La vente du bétail, que les bédouins élèvent dans les collines, recouvertes d’un duvet vert tendre en ce début mars, leur permet à peine de joindre les deux bouts. “Les colons pâturent sur nos terres, ils effraient nos bêtes, nous menacent avec leurs armes en plein milieu de la nuit… La situation n’est pas bonne. On n’arrive plus à respirer”, souffle Tayil Kaabneh.
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L’économie palestinienne est au point mort. Près de 29% de la population de Cisjordanie était au chômage fin 2023, contre 13% avant la guerre, selon le Bureau des statistiques palestinien. L’Autorité palestinienne ne paye plus ses salariés, et rares sont les Arabes israéliens qui se rendent dans les Territoires occupés pour y faire des emplettes.
Construire des relations
“Il y a un océan de besoins, la pauvreté gagne du terrain et on peine à aider tout le monde”, soupire Anton Goodman. Son organisation a distribué plus de 2 000 colis depuis le 7 octobre. Grâce à une levée de fonds, 750 autres seront distribués pendant le Ramadan.
“Ce mois est sacré pour les musulmans. C’est un temps de réflexion, de purification, de réunions familiales. Mais comment jeûner sereinement quand il y a tant d’insécurité économique et alimentaire ? C’est là que notre aide, en tant qu’organisation confessionnelle, prend son sens”, explique Anton Goodman, qui a rejoint Rabbins pour les droits de l’homme il y a un an, par envie de reconnecter son judaïsme à une action “en faveur de la justice pour les Palestiniens”.
La démarche est loin de faire l’unanimité dans la société israélienne. “Je dis que je fais du volontariat, mais je ne précise pas où : aider les Palestiniens est toujours perçu comme déloyal ou déplacé”, explique Gary, guide touristique au chômage technique, bénévole régulier pour RDH : “Venir en Cisjordanie et y apporter de l’aide créé une situation d’inégalité avec les Palestiniens, mais c’est une manière de construire des relations, et un début de paix.”