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Après le 7 octobre, rester Main dans la main

Augustin Bernard-Roudeix
12 mai 2024
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©Yad B’Yad/hand in Hand

“Main dans la main” est un réseau d’écoles bilingues hébreu/arabe créé en 1997. C’était déjà un ovni dans le système éducatif israélien qui prône la séparation sur la base des appartenances communautaires. Le projet peut-il tenir après le 7 octobre et la nouvelle guerre qui l’accompagne ? Nous avons rencontré Efrat Meyer, principale du lycée Max Rayne de Jérusalem, pour le savoir.


“Nous avons déjà traversé notre lot de crises avec une guerre à Gaza tous les deux ans ou les tensions régulières lors des fêtes du Ramadan, mais cette catastrophe est inédite.” Efrat Meyer sait de quoi elle parle. Depuis 2019 elle dirige l’école Max Rayne de Jérusalem. Le lycée, fréquenté par des jeunes de 12 à 18 ans, est un des 6 établissements du réseau Hand in Hand, Main dans la main, répartis sur l’ensemble du territoire israélien.

“Le système d’éducation courant en Israël ne permet pas de rencontres intercommunautaires avant l’université, si tant est que les jeunes poussent leur formation jusque-là ! Nos écoles répondent à ce manque et accueillent plus de 700 élèves juifs et arabes qui ont l’opportunité d’apprendre non seulement la langue de l’autre mais aussi de découvrir sa culture” explique cette professionnelle des questions éducatives investie dans le projet Yad B’Yad, Main dans la main en hébreu, depuis 17 ans.

Cette approche fait figure d’exception au sein d’un système public calqué sur les divisions communautaires : au-delà de la séparation entre populations juives et arabes, la société israélienne est divisée en une pluralité de groupes (laïcs, religieux, ultra-orthodoxes, musulmans, chrétiens…) dont les chemins ne se croisent pas toujours.

Les familles de nos élèves comptent des morts des deux côtés, causées par les attaques du 7 octobre et de la guerre en cours.

Grâce aux valeurs de respect et de tolérance promues par le système Hand in Hand, Efrat Meyer espère construire des ponts entre communautés juives et arabes : “Par exemple, ici à Jérusalem, ville sainte pour trois religions et accueillant une grande population d’écoliers, les jeunes ne savent que peu de choses sur la culture de leurs voisins. Notre école propose des programmes consacrés aux cultures juives, musulmanes et chrétiennes avec leurs coutumes, leurs fêtes et leurs croyances. En parallèle de cet apprentissage à égalité des cultures juives et palestiniennes, les réalités de la société israélienne ne sont pas mises de côté dans nos programmes : nous étudions ses fortes inégalités et les solutions à mettre en place pour les résorber.”

©Yad B’Yad/hand in Hand

Cette approche pédagogique donne des résultats tangibles, avec de nombreux anciens élèves engagés dans des activités à empreintes sociales et l’obtention de récompenses israéliennes et internationales. En 2023, l’école Yad B’Yad de Haïfa a été gratifiée du prix du ministère israélien de l’Éducation et celle de Jérusalem a intégré la catégorie des “meilleures écoles du Monde” d’après le classement établi par le réseau international T4 Éducation.

Poser les fondations pour vivre ensemble

Rare espace de rencontre entre juifs et arabes, enfants comme adultes, les écoles Main dans la main ont subi le choc du 7 octobre et de ses suites avec une douleur particulière d’après Efrat Meyer : “Les massacres du Hamas et les ravages de la guerre à Gaza ont évidemment posé un immense défi pour toute la communauté enseignante. Les familles de nos élèves comptent des morts des deux côtés, causées par les attaques du 7 octobre et de la guerre en cours. Un de nos anciens élèves est mort à Gaza dans le cadre de son service militaire et, bien sûr, de nombreuses familles arabes y ont perdu des êtres chers.”

Une des spécificités du conflit actuel est de porter à son paroxysme l’incompréhension, la méfiance, voire la haine entre populations juives et arabes d’Israël, chacune confrontée à un deuil inédit. Interrogée sur les répercussions de cette déchirure dans son école, la principale ne se départ pas de sa détermination : “Nous faisons face à des communautés en souffrance mais qui ne perdent pas espoir. Professeurs, élèves et parents savent bien que ni les juifs ni les arabes ne disparaîtront du pays et que nous devons absolument trouver des solutions pour y vivre tous ensemble. L’école n’est pas la solution-miracle à ces problèmes, mais nous y posons les fondations pour que nos élèves et leurs familles puissent envisager de vivre ensemble ici, en Israël.”

L’école accueille plus de 600 élèves juifs et arabes,de la maternelle à la terminale, qui apprennent en hébreu et en arabe, avec des équipes pédagogiques conjointes d’enseignants juifs et arabes. ©Yad B’Yad/hand in Hand

Efrat Meyer voit dans la poursuite des cours et des activités organisées par l’école un motif d’espérer : “Nous vivons des temps si terribles que le simple fait d’être en mesure de continuer à accueillir nos 700 élèves à 8 heures du matin et de maintenir cette routine de réunir juifs et arabes quotidiennement me permet de rester optimiste.”

Les équipes de l’école Max Rayne ont dû s’adapter à la situation et ont rapidement mis en place des procédures à même de permettre aux élèves d’exprimer leurs ressentis. Chaque classe organise désormais un moment de dialogue hebdomadaire de deux heures où aucune question n’est écartée. Loin de provoquer des confrontations, Efrat Meyer a pu constater que ses élèves continuaient à se réclamer des valeurs de respect et d’écoute mutuels au cours de ces sessions. La situation n’est bien sûr pas idyllique et des tensions peuvent parfois s’y exprimer : “Si l’empathie ne s’impose pas toujours naturellement, ils sont au moins en mesure de comprendre le point de vue de l’autre et d’analyser la situation avec un esprit critique.”

…le simple fait d’être en mesure de continuer à accueillir nos 700 élèves à 8 heures du matin et de maintenir cette routine de réunir juifs et arabes quotidiennement me permet de rester optimiste.

Ce dialogue ne pourrait sans doute pas avoir lieu sans l’investissement constant d’une équipe de professeurs et d’accompagnateurs issus eux aussi des deux communautés : “Ils ont la capacité d’établir une vraie proximité avec des jeunes issus de deux cultures alors qu’une guerre terrible est en cours. Toute l’équipe a naturellement encouragé une écoute active et mutuelle même si c’est parfois difficile. L’un de nos anciens élèves est mort au combat à Gaza, il a fallu apprendre à distinguer deuil “intime” et deuil “national” et à en parler : élèves et professeurs palestiniens ont pleuré la mort du jeune homme mais ne pouvaient pas porter le deuil du soldat israélien.”

Faire du bien pour surmonter la peur

Si les élèves et leur bien-être sont au cœur des préoccupations de la principale, les parents ont aussi un rôle à jouer dans l’organisation propre au réseau Hand in Hand avec l’organisation de cours de langues et d’activités en commun : “Chaque école du réseau emploie à plein temps une personne chargée de relier les groupes de parents. Nous les avons réunis au cours des dernières semaines pour lever des fonds et envoyer des colis alimentaires en soutien à des familles, juives et arabes, que cette guerre a précipitées dans la précarité. Faire activement le bien tous ensemble est la meilleure manière de surmonter nos peurs et nos douleurs.” Efrat Meyer insiste sur le fait qu’aucun parent n’a décidé de retirer son enfant de l’école depuis le 7 octobre ni cédé à la tentation du repli sur soi.

©Yad B’Yad/hand in Hand

Interrogée sur la prise en charge des plus jeunes (de la maternelle à 12 ans), Efrat Meyer insiste sur l’importance accordée à cette classe d’âge dans les écoles Yad B’Yad. Elle s’appuie sur plusieurs études qui démontrent qu’une des manières les plus efficaces de lutter contre les préjugés racistes est de lier le plus tôt possible l’enfant avec un accompagnateur issu d’une autre culture : “Les plus jeunes ont tous deux enseignants, un juif et un Palestinien, ce procédé réduit fortement la tendance à voir l’autre comme un ennemi ou une menace en grandissant. Depuis le 7 octobre nous avons su nous adapter à leur niveau de compréhension en utilisant des mots simples. C’est finalement plus compliqué avec les adolescents mais nous ne renoncerons jamais à promouvoir une expression respectueuse des opinions et des ressentis liée à l’écoute de l’autre. Je suis fière que toutes les équipes de l’école aient réussi à maintenir un espace de dialogue serein malgré le contexte que nous traversons.”

La principale n’a rien cédé de ses convictions et de son engagement pour une cause qui l’anime plus que jamais, en dépit des obstacles et d’un contexte alarmant : “Il ne tient qu’à nous de construire une société où Palestiniens et juifs pourraient vivre ensemble ! Je me sens particulièrement chanceuse de consacrer ma carrière à être une part de la solution et non du problème. Ce pays ne manque pas de bonnes volontés et j’espère que d’autres gens se joindront à nos efforts pour construire cette solution.”

Dernière mise à jour: 12/07/2024 19:00

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