Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Au bon Samaritain

Claire Burkel
27 mai 2024
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Surplombant la route qui va de Jérusalem à Jéricho, comme perdu au milieu des collines de Judée, le musée construit par Israël sur le Khan-Hatrour, un caravansérail appelé par la tradition chrétienne l’“auberge du Bon Samaritain”. © Photos MAB/CTS

Le pape François s’y réfère très souvent, la parabole du bon Samaritain -Lc 10, 29-37- rapportée par le seul Luc, se visite ! ou plutôt, peut être méditée dans un lieu fixé à l’époque byzantine, comme beaucoup de sites de pèlerinages des premiers temps du christianisme. Remontons le temps.


Lors de la répartition des tribus israélites au temps de Josué une indication concernant le territoire de Juda précise : “La frontière montait à Débir depuis la vallée d’Akor et tournait au nord vers le cercle de pierres qui est en face de la montée d’Adummim, laquelle est au sud du torrent puis aboutissait à Aïn Roguel” c’est-à-dire au sud-est de Jérusalem -Jos 15, 7-8, au confluent des vallées du Cédron et de la Géhenne.

Traces bibliques

Au milieu du VIIIe siècle av. J. C., un épisode guerrier particulièrement violent oppose les armées du roi d’Israël Péqah, qui fut vainqueur, et celles du roi de Juda Achaz. De nombreux morts restent sur le champ de bataille et plus encore de prisonniers sont retenus par les Israélites (ainsi sont désignés les habitants de
l’Israël du Nord). Le prophète Oded en fait reproche aux troupes et recommande, au nom du Seigneur, la mansuétude pour les vaincus du royaume du Sud. “Des hommes désignés se mirent à réconforter les prisonniers. Prélevant sur le butin, ils habillèrent tous ceux qui étaient nus, ils les vêtirent, les chaussèrent, les nourrirent, les désaltérèrent et les abritèrent. Puis ils les reconduisirent, les éclopés montés sur des ânes, et les amenèrent auprès de leurs frères à Jéricho, la ville des palmiers. Puis ils rentrèrent à Samarie” -2Ch 28, 9-15.

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Par les routes de montagne il n’y a que 35 km de Jéricho à la capitale du royaume du Nord. Ce point de vue favorable sur des Samaritains est rare chez le Chroniste, tant cette population était honnie par les juifs qui se voulaient totalement séparés de ces “faux-frères”.

HISTOIRE

À l’origine des Samaritains

Triste histoire que ce rejet qui prend racine au moment du retour d’exil à Babylone, au VIe siècle av. J.-C. comme le raconte le livre d’Esdras. Au moment de reconstruire le temple de Jérusalem, des habitants du territoire de Samarie se proposent : “Nous voulons bâtir avec vous, car, comme vous, nous cherchons votre Dieu et lui sacrifions… les Israélites répondirent ‘il ne convient point que nous bâtissions, vous et nous, c’est à nous seuls de bâtir pour le Seigneur, le Dieu d’Israël’…” -Esd 4. S’ensuivent des obstructions au chantier, des calomnies qui touchent rapidement des points de morale religieuse et aboutissent à une séparation définitive tout à fait d’actualité à l’époque de Jésus, bien des textes en témoignent [Jn 4, 9 ; 8, 48 ; Lc 9, 52-53 ; Mt 10, 5]

Voilà bien des similitudes avec ce que recommande Matthieu dans le dernier discours de Jésus : tout acte de piété et de bienveillance fait aux plus petits des frères en humanité est béni par Dieu et amènera à reconnaître le Christ -Mt 25, 31-46. Mais restons avec le troisième évangile qui mentionne trois épisodes situés à Jéricho (un aveugle guéri, la rencontre avec Zachée et un discours sur l’argent et ses profits) quand les deux autres synoptiques n’en évoquent qu’un seul, juste avant que Jésus ne “monte” à Jérusalem pour l’ultime témoignage.

Jésus à Jéricho

Le maître vient de s’entendre posée la question “qui est mon prochain ?” et il va y répondre par une parabole en plusieurs moments. Les scènes se déroulent sur le chemin descendant de Jérusalem à Jéricho : une attaque d’un voyageur anonyme, des juifs hiérosolymitains qui se détournent de l’homme blessé, un Samaritain apitoyé et généreux qui charge “sur sa propre monture” – on imagine bien un âne – le malheureux, et enfin un hôtelier à son auberge. Cette dernière n’est bien sûr pas précisément située dans l’histoire, mais a sans doute existé, Jésus pouvait connaître l’existence d’une hôtellerie à mi-chemin ; il y a 30 km de Jérusalem à Jéricho.

Ma’ale adummim signifie en effet dans la langue locale “montée du sang”, ce qui se rapporte sans doute aux actes de violence perpétrés dans ce secteur assez sauvage, mais provient plus probablement de la teinte rouge des roches ferrugineuses du terrain.

Ce sont les pèlerins de l’époque byzantine qui ont fixé le lieu, élevé une église et un petit caravansérail à 270 m au-dessus du niveau de la mer. Selon une tradition, reprise plus tard par les Croisés, c’est là qu’était l’auberge évoquée dans la parabole de Jésus. Le chemin est ardu, c’est plutôt un sentier dans les collines sèches de Juda, qui suit un moment le wadi Qelt – c’est “le torrent” mentionné par Josué – puis trace sa montée directement jusqu’à Béthanie par la pente orientale du mont des Oliviers. Il n’est fréquenté que par quelques bergers avec leurs troupeaux et des pillards à l’affût d’une bonne occasion.

Le nom de la région évoque d’ailleurs le sang – dam en hébreu – : Ma’ale adummim signifie en effet dans la langue locale “montée du sang”, ce qui se rapporte sans doute aux actes de violence perpétrés dans ce secteur assez sauvage, mais provient plus probablement de la teinte rouge des roches ferrugineuses du terrain.

Au sommet de la colline émergent les ruines du château fort des Croisés appelé la Tour du Maudouint. Les Palestiniens appellent le lieu Telaat-ed-dam la colline du sang à cause du sable ferrugineux. De ce fait, le château-fort prit le nom de Kalaat-ed-dam : le château du sang. © MAB/CTS

Jésus a vraiment choisi l’environnement le plus crédible. Peut-être était-il même sur une portion de ce chemin quand il a raconté la parabole puisque l’épisode suivant le voit chez Marthe et Marie, censées résider à Béthanie avec leur frère Lazare -Lc 10, 38. Il a bien ciblé aussi les acteurs de la parabole : un prêtre, un lévite ne sont-ils pas tenus par la Loi de porter secours aux malheureux ? Quant au Samaritain, voilà des siècles que ses coreligionnaires sont décrétés absolument infréquentables pour les juifs.

EN VISITE

Découvrir le château rouge

L’ancien khan lui-même, comme partout dans le pays, avait été construit sur plus ancien, maisons, thermes, citernes de l’époque hérodienne. Au VIe siècle chrétien on avait aménagé une église de 21 m de long pour la nef, précédée d’une cour de 24 m sur 26 m au sol mosaïqué. Les Croisés n’en ayant trouvé que des ruines, ils avaient édifié une église plus vaste et un “château rouge” le Maldoim.

Le pèlerin Théodoric en 1172 y voit la citerne dans laquelle Joseph fut précipité par ses frères -Gn 37, 12-25, ce qui n’a aucune chance d’être là puisque l’épisode est situé beaucoup plus au nord dans la région de Sichem. On sait qu’au XVe siècle c’est un caravansérail en usage sous les Mamelouks, mais il s’est trouvé endommagé par une reconstruction ottomane au siècle suivant. Ce que nous voyons aujourd’hui est un musée, aménagé en 2015, où sont rassemblées des mosaïques des Ve-VIIe siècles rapportées de différentes synagogues ou églises chrétiennes du pays. Lesquelles, en Israël, à Gaza ou en Cisjordanie, ont donc été dépouillées de leurs trésors.

On verra par exemple un David habillé à la mode perse, dont la lyre qu’il pince entre ses doigts charme des animaux ; sont encore reconnaissables une lionne qui se courbe et un serpent qui se dresse devant le roi. Le mosaïste avait peut-être comme modèle les représentations d’Orphée, le musicien de la mythologie grecque qui attirait par sa musique et son chant la gent animale des campagnes. Plusieurs ménorahs dont une est soulignée de l’inscription en hébreu “paix sur Israël”.

Maints tapis de tesselles sont ornés de grappes de raisin, palmiers verdoyants, grenades et autres éléments de la flore locale, ou de la faune sauvage : girafe, louve, zèbre, gazelle, panthère. Ailleurs ce sont des poissons et des scènes de pêche. Dans l’espace à l’air libre les plus grandes mosaïques sont exposées au soleil, ainsi que des chapiteaux d’églises ; les motifs de croix mises en relief par intaille sont les plus fréquents.

Une salle du musée est réservée à l’histoire samaritaine et au particularisme dans lequel ce petit groupe sectaire maintient ses traditions. Les trois-cents Samaritains existant aujourd’hui résident exclusivement autour de Naplouse, et célèbrent leurs fêtes religieuses, essentiellement la Pâque, sur le mont Garizim qui domine la ville installée dans le creux de la vallée.

On visitera “l’auberge du bon Samaritain” surtout pour la variété et la beauté des mosaïques qui y sont exposées, mais ce sera aussi l’occasion de méditer sur la parabole de la charité. En chemin de Jéricho à Jérusalem une leçon d’histoire biblique et contemporaine, un regard sur l’amour porté aux frères, une parabole de Jésus actualisée.

Dernière mise à jour: 27/05/2024 15:29

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