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Il y a des chrétiens désireux de rester vivre à Gaza

Marie-Armelle Beaulieu
21 mai 2024
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Il y a des chrétiens désireux de rester vivre à Gaza
Le patriarche des latins, cardinal Pizzaballa, durant la conférence de presse donnée à son retour de Gaza, le 20 mai. ©MAB/Terre Sainte Magazine

De retour de sa visite pastorale à Gaza, effectuée du 15 au 19 mai, le Cardinal Pizzaballa a donné une conférence de presse. Dans une ville qu’il n’a pas reconnue, il a trouvé une communauté chrétienne résiliente.


« Résiliente, c’est le mot à la mode. Eh bien j’ai trouvé la communauté chrétienne résiliente. » C’est un homme souriant et d’humeur primesautière qui s’est présenté devant les journalistes lundi en fin d’après-midi pour s’entretenir de sa visite surprise à Gaza.

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« La situation s’est beaucoup améliorée par rapport à la période autour de Noël. » Lors de son récit, les conditions de son entrée dans la bande côtière sont volontairement entourées de silence, mais les propos du patriarche Pizzaballa, qui se rendait pour la première fois à Gaza depuis le 7 octobre, traduisent une forme de soulagement. De Noël à fin mars, la situation était catastrophique du point de vue alimentaire surtout pour les habitants du nord.

Après le 13 octobre et l’ordre d’évacuation, l’armée israélienne empêchait en effet toute forme de ravitaillement. Ce n’est que fin février, sous la pression américaine, que des camions de biens de première nécessité desservirent enfin Gaza-ville où sont restées 300 000 personnes dont la communauté chrétienne. Début mars, des largages aériens de vivres avaient également contribué à atténuer les graves pénuries alimentaires.

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« Comprenez-moi bien. Ils manquent de tout et la situation n’est pas bonne, mais il y a un approvisionnement. La question qui demeure est celle de sa distribution qui pourrait être mieux organisée. »

Parlant de nécessité à être honnête en signalant cette amélioration, le cardinal précisera quand même que l’absence de produit frais entraîne des carences alimentaires, mais le spectre de la famine semble s’être éloigné.

Visite des installations dans l’enceinte paroissiale où la communauté chrétienne a trouvé refuge depuis octobre 2023. ©lpj.org /Paroisse de la Sainte-Famille, Gaza

« Ce dont ils manquent le plus, c’est d’intimité. » Et le cardinal de décrire les salles de classes de l’école, adjacente à la paroisse latine, transformées en dortoirs avec deux ou trois familles selon la taille de l’une et de l’autre, l’organisation des activités par groupes, celui chargé de la gestion de l’eau, celui du ménage, celui chargé du bois car la cuisine – collective elle aussi – est faite « au feu de bois récupéré dans les ruines des bâtiments [bombardés] où les meubles ont volé en éclat ».

« Il n’y a pas le moindre recoin de libre » décrit le patriarche dont les yeux semblent parcourir encore ce campement de fortune. Dans les locaux de l’école et de la paroisse, ce sont 500 personnes qui sont encore réfugiées. Elles ont été jusqu’à 700 dans les locaux catholiques et 300 chez les Grecs-orthodoxes, où là aussi le nombre a diminué puisqu’il ne reste plus que 650 chrétiens en tout à Gaza contre les 1017 avant le 7 octobre.

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« J’ai rencontré et discuté avec chaque famille », explique le prélât qui a passé quatre jours sur place. « Ils sont courageux. Ils ne baissent pas les bras, mais bien sûr ils s’interrogent sur leur avenir, et surtout celui de leurs enfants. Ils viennent de perdre une année scolaire. Mais ils n’ont pas une parole de ressentiment, pas une. »

Le Patriarche s’interrompt un peu, toujours admiratif de la force rencontrée. « J’ai été touché que tous, des plus jeunes au plus vieux, disent avant tout vouloir la fin de la guerre. Ils ont exprimé ne pas comprendre cette violence dont ils disent qu’elle n’est pas dans l’ADN des chrétiens. Ça m’a plu. »

S’adressant au service de communication du patriarcat latin, le patriarche a aussi affirmé: « J’ai apporté avec moi la promesse d’une nouvelle vie, et j’ai été très surpris de constater que ce sont eux qui m’ont donné une leçon que je n’oublierai jamais : leur foi inébranlable, accompagnée de sourires réconfortants, m’a marqué, moi, pour toute ma vie. »

L’âge médian de la population de Gaza est de 17 ans. La moitié de la population a donc 17 ans et moins. Si ce chiffre est plus élevé s’agissant de la communauté chrétienne, il n’en reste pas moins qu’elle compte des dizaines d’enfants. Photo prise à Gaza entre le 15 et le 19 mai, durant la visite pastorale du cardinal Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem. ©lpj.org /Paroisse de la Sainte-Famille, Gaza

 

Ce qui a plu également au Cardinal, c’est que les familles se projettent dans l’avenir sur place. « Je peux vous assurer, pour avoir passé du temps avec eux, que beaucoup d’entre eux veulent rester. Ils ne sont pas impatients de partir malgré leur inquiétude pour l’avenir de l’école des enfants. Nous devons donc travailler à donner une réponse immédiate et concrète pour les assurer qu’il y a un avenir pour eux. »

Mais les défis à relever pour permettre cet avenir à Gaza sont colossaux, à commencer par celui des infrastructures qui sont toutes détruites. Et le patriarche de confier que la route vers la paroisse s’est faite en silence devant le panorama qui défilait. « Je n’ai rien reconnu. Pas un immeuble est intact. Les routes sont détruites. Nous sommes passés par des chemins improbables chaotiques, au milieu des ruines et de monceaux d’ordures. »

Depuis le toit de l’école, le cardinal Pizzaballa constate les dégâts causés aux installations solaires et autres, comme autour de l’enceinte paroissiale. ©lpj.org /Paroisse de la Sainte-Famille, Gaza

 

« Je n’ai pas de solution toute faite pour envisager cet avenir » dit celui décidé à en chercher. Mais la priorité n’est pas encore à la reconstruction quand les bombardements se poursuivaient durant la visite. « On entendait les drones et tirer et bombarder en permanence. Je dois dire qu’au début je n’étais pas très à l’aise. Parfois même sous l’effet des détonations tout tremble. Mais on s’habitue. Quant aux enfants eux, ils semblent ne plus les entendre. »

Pour autant, la demande la plus urgente exprimée par les chrétiens est celle du soutien psychologique. « Il va falloir répondre à cette urgence et y répondre en langue arabe. Je ne sais pas si on peut parler d’être capable de « digérer » cette situation mais il est certain que l’impact sur la population est énorme. »

 

Au dispensaire de la paroisse, les médicaments les plus demandés sont ceux pour le traitement d’irritations de la peau dues aux mauvaises conditions sanitaires et à l’eau insalubre. Photo prise à l’arrivée du cardinal Pizzaballa visitant les lieux. 15-19 mai 2024. ©lpj.org /Paroisse de la Sainte-Famille, Gaza

 

Le séjour du patriarche a été rendu possible, après de longs mois de négociations « avec les autorités qui peuvent donner accès », et s’est effectué avec le concours de l’Ordre de Malte.
A la veille de son entrée dans Gaza, le Patriarche Pizzaballa signait un protocole d’accord avec L’Ordre souverain de Malte visant à fournir de la nourriture vitale et une aide médicale à la population de Gaza. le convoi est entrée dans l’enclave avec des vivres distribués à la communauté chrétienne et partagé avec les musulmans du voisinage.

A l’occasion aussi de la visite, les Soeurs de la Charité de Mère Teresa ont pu opérer le remplacement de deux soeurs, tandis que la communauté du Verbe incarné accueillait une soeur de plus pour aider et que le père Gabriel Romanelli, l’embématique curé de la paroisse, retrouvait sa communauté. Est entré avec lui pour aider également, le père Carlos Ferrero, provincial de la même congrégation.

Il se pourrait que la visite du patriarche ait créé une brèche dans l’enfermement de Gaza. Espérons-le.

 

 

 

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