Tous les dimanches, frère Toufic Bou Mehri prend sa voiture et avale les 30 kilomètres qui séparent Tyr de Deir Mimas. Le village, chrétien, est situé à deux kilomètres de la ville israélienne de Metula. Malgré le feu quotidien de l’artillerie et de l’aviation israéliennes dans la zone frontalière, le supérieur du couvent franciscain de Tyr tient à y célébrer la messe pour les 11 familles de rite latin qui y sont restées.
Depuis le 7 octobre, le parti de Dieu libanais affirme former un «front de solidarité» avec le Hamas à Gaza, en détournant les capacités militaires d’Israël. En retour, l’Etat hébreu frappe les bases de la milice chiite dans le sud du Liban.
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Cette guerre à bas bruit a provoqué, côté israélien, la mort de huit civils, 19 soldats et l’évacuation de 60 000 personnes. Côté libanais, au moins 100 civils et 337 combattants du Hezbollah ont été tués, et plus de 90 000 personnes ont fuit la zone frontalière.
« À Deir Mimas, les gens n’ont nulle part d’autre où aller, par manque d’argent », explique frère Toufic, qui a noté, lors de ses trajets, que le village voisin de Kfarkela était « presque complètement rasé ». Le cimetière de Deir Mimas a été touché par un tir de roquette, provoquant l’ouverture de plusieurs tombeaux. « J’ai mis une dizaine de jours avant de pouvoir aller vérifier l’état du terrain, à cause des drones israéliens qui volaient toute la journée au-dessus, à la recherche des combattants du Hezbollah », raconte le franciscain.
Livraison de légumes
Deir Mimas domine le fleuve Litanie, qui s’écoule plus bas dans la vallée où sont cachés les miliciens. « Ceux qui soutiennent le Hezbollah, c’est ceux qui sont payés, explique frère Toufic. Le reste se désintéressent de la politique à cause de l’instabilité et des crises à répétition. Ils veulent seulement vivre et manger. Depuis 2019, la situation économique est très difficile, parce que tout est bloqué et fermé. Alors que dans le reste du pays, la vie est « normale », au sud les gens meurent de peur et la pauvreté s’installe. »
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Pendant plusieurs mois, frère Toufic a assuré, seul, la livraison de légumes frais à certains villages du sud. « C’est dangereux, je ne préférais pas risquer une autre vie que la mienne », sourit le frère. Le financement de cette aide a pu être assuré grâce à un appel de l’évêque latin du Liban, et au soutien de Pro Terra Sancta. En plus de l’alimentaire, les franciscains payent aussi certains loyers.
Installée à Tyr depuis 1860, la Custodie de Terre Sainte assure avant tout une présence auprès de la population latine locale. L’école du couvent a fermé ses portes en 2005, ne laissant aux franciscains que la responsabilité de la pastorale, et l’initiative de quelques activités sociales, comme du soutien scolaire.
À Tyr, nouveau clocher et maison d’accueil
Nommé supérieur de la communauté, qui ne compte qu’un seul autre frère, en 2022, frère Toufic s’est lancé dans des travaux de rénovations. Et, au milieu du sombre tableau du Sud-Liban, une bonne nouvelle nous parvient : les cloches de l’église Saint-Antoine de Padoue de Tyr sonnent à nouveau, après 30 ans d’immobilisation due à la rouille de la structure qui les soutenait.
Le clocher a quant à lui retrouvé une toiture digne de ce nom après qu’elle a été endommagée lors d’une tempête il y a plusieurs années. Les 30 000 dollars de la réfection ont été financés pour moitié par la FINUL (Forces intérimaires des Nations Unies au Liban). L’inauguration de ce clocher flambant neuf a eu lieu le 13 juin dernier, à l’occasion de la Saint Antoine.
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Grâce à la générosité d’un bienfaiteur de Monaco, frère Toufic a également fait de l’école une maison d’accueil, transformant les salles de classes en chambre à coucher. « Des sœurs ont déjà réservé pour y effectuer une retraire spirituelle, et on pourra accueillir des groupes de catéchèse », s’enthousiasme le supérieur.
Les franciscains sont également présents à Beyrouth, Harissa et Tripoli, auprès d’une toute petite communauté latine. Aucun recensement national n’a été effectué au Liban depuis 1932. Mais les chrétiens ne représenteraient aujourd’hui plus qu’environ un tiers de la population totale de quatre millions d’habitants. Les statistiques officielles du Vatican indiquent qu’il y avait 1 413 652 Maronites au Liban à la fin de 2006.