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Cuisson contre la montre : la fabrique du pain de la Pâque juive

Andrea Krogmann
11 juillet 2024
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Minuté - Au mur, le minuteur qui rappelle à chacun que le temps est compté avant que le pain ne lève. © Miriam Alster/Flash90

Tout levain est interdit pendant la semaine pascale juive.
Pour les boulangers de matsot, le pain sans levain consommé à cette période, cela signifie qu’il faut travailler rapidement et avec précision car il suffit de 18 minutes pour que l’eau fasse fermenter les céréales.
Reportage dans la boulangerie du caviar des matsot.


Chaque année, à Pâque, les juifs commémorent la sortie d’Égypte du peuple d’Israël. Cette fête, dit le rabbin Zev Slavin du mouvement hassidique de Chabad, “nous appelle à la liberté”. Pour les juifs orthodoxes, elle s’accompagne surtout du respect d’une série de commandements. Parmi eux, le bannissement de toute forme de levain de la maison et des menus pendant huit jours, selon le “décret de pureté”.

Sur les tables des repas familiaux, le pain est remplacé par les matsot. Des galettes plates et croquantes qui sont cuites sans levain. Parmi les pains de Pâque casher, les matsot dites schmura sont considérées comme les meilleures. Fabriquées à la main à partir de farine surveillée avec soin, elles sont aussi demandées que coûteuses du fait du rigoureux processus qui entoure leur production.

Un goût de Liberté © Andrea Krogmann

Une main glisse à travers un rideau de lamelles en plastique. Avec précision, une mesure de farine atterrit dans la cuve en métal. Puis une mesure d’eau. Des mains agiles pétrissent la pâte. Les gants sont de rigueur et le compte à rebours est lancé. Il faut qu’en moins de 18 minutes, des disques réguliers aient été façonnés et déposés de manière uniforme sur les pierres brûlantes du four. Sinon, tout sera gâché car la farine aura commencé à fermenter.
On s’affaire et on s’agite dans l’une des plus grandes boulangeries de matsot d’Israël, dans le village hassidique de Kfar Chabad. Des vitres permettent aux visiteurs curieux d’observer la chorégraphie des boulangers.

Rien n’est laissé au hasard

La première pièce abrite la farine. Moulue à la main à partir de grains spécialement surveillés depuis le moment de la récolte, elle est à nouveau tamisée à la main la veille de la cuisson. L’eau a été entreposée dans une pièce séparée. Elle provient d’une source près de la ville de Lod et a dû reposer toute la nuit dans des cuves spéciales pour garantir la fraîcheur de sa température. Rien, dans la fabrication des matsot schmura, n’est laissé au hasard.

Lorsque l’eau et la farine se rencontrent dans la cuve en métal du fournil central, le chronomètre est lancé. Le pain commence à lever 18 minutes après, et les boulangers doivent à tout prix l’éviter. “Pas plus de 11 à 12 minutes”, c’est la durée de la chaîne de production des pétrisseurs expérimentés, jusqu’à ce que la galette soit enfournée durant 10 à 15 secondes, explique le rabbin Menachem Gluckowsky, responsable de la boulangerie. “La farine moulue à la main nous joue des tours : chaque sac est différent”, ajoute-t-il. Les boulangers doivent alors ajuster les quantités de pâte, et il arrive que des matsot se retrouvent à la poubelle car le temps de rigueur a été dépassé.

La préparation de chaque nouvelle pâte nécessite des outils de travail neufs, pour éviter la contamination par les miettes ou reste de pâte fermentée. Au fond du fournil, la pâte est étalée en fines galettes tandis que de jeunes hommes en tablier plastique lavent soigneusement des tables de travail métalliques. Toutes les 18 minutes, la production s’arrête un instant. Après avoir méticuleusement lavé leurs mains et leur rouleau à pâtisserie, les étaleurs reprennent leur poste.

Un goût de liberté

À Kfar Chabad, la production de matsot débute après les grandes fêtes d’automne, et se poursuit pendant 6 mois, jusqu’à la Pâque. Une cinquantaine d’employés travaille ici, explique le rabbin Gluckowsky, et leur nombre augmente à l’approche de la fête. En moyenne, ils utilisent 450 kg de farine et produisent entre 600 et 700 kg de matsot par jour de cuisson.

Ce jour-là, des étudiants s’affairent dans la boulangerie. “Projet éducatif”, sourit le rabbin. “Aujourd’hui, on peut simplement aller au magasin et acheter des matsot casher pour la Pâque. Mais pour que la tradition fasse partie de leur vie, ils doivent d’abord la vivre eux-mêmes”, explique Gluckowsky en parlant d’une “expérience vécue”.

“Goûtez à la liberté”, est-il écrit sur la boîte des matsot schmura – bien sûr emballées à la main après un contrôle minutieux – qui sont expédiées dans le monde entier. Les juifs orthodoxes les payent parfois plus cher que la viande. À Kfar Chabad, les boulangers et leurs jeunes apprentis, goûtent à la sueur de leur front et aux ampoules sur leurs mains, le prix de cette liberté.

Dernière mise à jour: 11/07/2024 16:15