Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

L’archéologie, pioche de l’annexion en Cisjordanie

Cécile Lemoine
22 juillet 2024
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Des Israéliens visitent le site archéologique de Sébastia, en Cisjordanie occupée ©Flash90

Un projet de loi qui autoriserait l'Autorité israélienne des Antiquités à opérer en Cisjordanie inquiète le monde de l'archéologie. Contraire au droit international, la décision correspondrait à une annexion de facto de certaines parties des territoires palestiniens.


C’est peut-être un détail pour vous, mais ici, ça veut dire beaucoup. Le 10 juillet dernier, la Knesset a adopté par un vote préliminaire des amendements à la loi sur les antiquités, qui autoriserait l’Autorité israélienne des Antiquités (en anglais IAA) à opérer en Cisjordanie.

Que dit le projet de loi ?

« Bien que les régions de Judée et de Samarie soient le berceau de la nation hébraïque et malgré la présence de découvertes archéologiques d’importance nationale et internationale de diverses époques, la version actuelle de la loi sur les antiquités ne s’applique pas à ces régions », regrette la note explicative du projet d’amendement à loi sur les Antiquités, poussé par le député Amit Halevi (Likoud).

Le texte justifie que« ces découvertes archéologiques appartiennent au peuple d’Israël », et n’ont donc « aucun lien historique ou autre avec l’Autorité palestinienne », ce qui autorise qu’une autorité nationale, l’IAA, puisse opérer en Cisjordanie de la même manière que dans l’État d’Israël.

Pourquoi parle-t-on d’annexion ?

Actuellement, la loi sur les antiquités ne s’applique pas à la Cisjordanie. Territoire occupé militairement depuis 1967, la responsabilité des sites archéologiques y incombe au responsable archéologique de l’Administration civile (« Kamat », selon l’acronyme hébreu), sous contrôle de l’armée israélienne. Les lois internes à Israël ne peuvent théoriquement pas y être appliquées. Ces territoires, qui correspondent à la Judée et à la Samarie bibliques pour les Juifs, regorgent de trésors archéologiques de toutes les périodes de l’Histoire.

Lire aussi >> Avec Sébastia, Israël veut « revenir en Samarie »

S’il est adopté définitivement, ce transfert de pouvoirs de l’armée à une institution gouvernementale correspondrait à une annexion de facto, interdite par le droit international. « La législation reflète une campagne politico-archéologique menée par des groupes idéologiques et messianiques qui mélangent héritage, appartenance culturelle et suprématie ethnique, fustige l’ONG israélienne Emek Shaveh, dans un papier de position publié le 9 juillet. Son objectif sous-jacent n’est pas de résoudre un problème professionnel, mais de promouvoir l’annexion de la Cisjordanie. Les amendements réduiraient l’archéologie à une simple arme politique, vide de sens. »

Pourquoi ce projet de loi arrive-t-il maintenant ?

L’arrivée d’une coalition de droite radicale et religieuse au pouvoir en janvier 2023 a mis un coup d’accélérateur au projet colonial dans les Territoires palestiniens. Les mesures s’enchaînent à un rythme jamais égalé : légalisation et création de colonies, approbation de milliers de logements, accaparement de terres, transfert des pouvoirs de l’Administration civile de l’armée à des colons…

Lire aussi >> Les Israéliens ont-ils annexé la Judée-Samarie ? – TSM 607

L’archéologie n’est qu’un outil supplémentaire, pour renforcer le contrôle israélien dans les territoires palestiniens occupés sous couvert de « sauvegarde des antiquités » : les Palestiniens sont régulièrement accusés de pillage et de détérioration sur les sites archéologiques. Fin juin, le Cabinet de guerre a ainsi autorisé l’Administration civile israélienne à prendre des mesures coercitives sur les sites patrimoniaux et archéologique de la zone B : les sites de Sebastia, Shiloh, Susiya ou encore du Mont Ebal sont concernés. Une « mesure punitive » prise en violation totale des accords d’Oslo II.

Quelles sont les réactions ?

Dans le monde de l’archéologie israélienne, pourtant traditionnellement aligné sur les politiques gouvernementales, on rue dans les brancards : « Ce projet de loi est une tentative flagrante d’exploiter l’archéologie pour faire avancer un programme politique particulier (…) en violation du droit international », dénonce l’Association archéologique israélienne dans une lettre datée du 8 juillet qui demande l’arrêt du processus législatif : « Nous sommes préoccupés par le changement du statu quo, et les conséquences de ce projet de loi sur l’archéologie israélienne. »

Lire aussi >> 28 années de recherches de l’Ebaf à Gaza menacées

Le principal intéressé, le directeur général de l’Autorité des Antiquités, Eli Escozido, s’oppose quant à lui fermement à ces amendements en raison de leur illégalité, et affirme ne pas avoir été consulté à leur sujet. « Il est difficile pour nous d’accepter le fait qu’une question aussi importante n’a pas du tout été discutée avec les membres de la profession », proteste Guy Stibel, Président du Conseil Archéologique, dans une lettre adressée au ministre du Patrimoine, Amihai Eliyahu.

L’archéologue, spécialiste du site de Massada, estime par ailleurs que l’Autorité des Antiquités ne dispose « d’aucun remède » et ne serait pas plus pertinente que l’Administration civile dans la protection et le traitement des découvertes archéologiques, soulignant que le problème vient avant tout d’un manque de ressources humaines et financières.

Vendredi 19 juillet, la Cour Internationale de Justice a par ailleurs estimé, dans un avis consultatif historique, que l’occupation militaire israélienne était « illégale », que l’Etat hébreu imposait une « annexion » sur Jérusalem-Est et une partie de la Cisjordanie, notamment par « l’exploitation des ressources naturelles » et « l’extension de son droit interne ». Les juges ont souligné que « ces politiques et pratiques sont destinées à rester en place indéfiniment et à créer des effets irréversibles sur le terrain».

Sur le même sujet