Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible
100 SBF

Les hommes qui ont fait l’histoire du Studium Biblicum

Claudio Bottini, o.f.m., doyen émérite du Studium Biblicum franciscanum
11 juillet 2024
email whatsapp whatsapp facebook twitter version imprimable
Lire l’évangile du terrain - Les pères archéologues Stanislao Loffreda et Virgilio Corbo pendant les fouilles à Capharnaüm. ©Archives du SBF

Le Studium Biblicum franciscanum fête ses 100 ans.
Un homme en a vécu les 50 dernières années, le père Claudio Bottini.
Autant dire que ce professeur de grec biblique et exégète
du Nouveau Testament était le plus qualifié pour évoquer le souvenir des chercheurs qui ont particulièrement marqué les 100 premières années de la Faculté d’études bibliques et d’archéologie franciscaine de Jérusalem.
Nous lui avons donné la parole, et il l’a prise comme telle.
Claudio Bottini, o.f.m., doyen émérite du Studium Biblicum franciscanum


Vous me permettrez de commencer par évoquer les personnalités que j’ai connues seulement par ouï-dire ou par héritage familial, celles dont j’ai entendu parler et dont les lectures m’ont marqué. Je voudrais citer en premier lieu le Père Donato Baldi (1888-1965) : il fut pendant des années directeur de l’Institut et professeur d’exégèse de l’Ancien Testament, de géographie et de topographie. Il nous a laissé de nombreux écrits, dont le célèbre Enchiridion Locorum Sanctorum 1, un commentaire du livre de Josué, et l’Atlas biblique, publié en traduction française en collaboration avec le Père Paulin Lemaire (1895-1963), autre personnalité du SBF de première importance. Ce dernier, venu de Belgique, dirigea l’Institut pendant 6 ans, en fut le diligent bibliothécaire et y enseigna l’histoire biblique pendant de longues années.

 

Les fondateurs

Une autre personnalité à rappeler est le Père Augustus Spijkerman (1920-1973), un Néerlandais et numismate renommé qui, pendant 20 ans, fut directeur du musée archéologique de la Flagellation. Il ne fit pas qu’utiliser ses compétences pour étudier les monnaies trouvées dans les fouilles de l’Hérodion, de Capharnaüm et de Khirbet Qumran, mais on lui reconnaît le mérite d’avoir résolument contribué à constituer et faire connaître le patrimoine numismatique des provinces de Palestine et de la Décapole, du Ier au IIIe siècle de l’ère chrétienne.
Regardons maintenant les portraits d’autres biblistes et archéologues que j’ai personnellement connus et qui se sont distingués par leurs fouilles ou leurs études, toujours dans le monde de la Bible.

Le Père Sylvester John Saller (1895-1976) fut d’abord élève puis enseignant au SBF. Son nom reste associé à la première exploration archéologique confiée au Studium, celle du mont Nébo, en 1933. Il découvrit les vestiges archéologiques du Mémorial de Moïse, au sommet de Siyagha (1941), et étudia les antiquités de l’ancienne bourgade de Nébo et des environs dans la localité voisine de Khirbet al-Mukhayyat (1949). À son nom sont aussi rattachées les fouilles et publications sur le sanctuaire de saint Jean-Baptiste à Aïn Karem (1946), le tombeau de Lazare à Béthanie (1957), et la tombe jébuséenne du Dominus Flevit à Jérusalem (1964). En bon connaisseur des langues bibliques et modernes, Saller enseigna diverses disciplines, dirigea le Musée archéologique du Studium et fut estimé des différents Départements d’Antiquités de Palestine, de Jordanie et d’Israël.

Profession : archéologues

Le Père Bellarmino Bagatti (1905-1990), qui fut pour Saller un aimable et précieux collaborateur, est la “personnalité la plus prestigieuse” du Studium. Ce franciscain originaire de Toscane, intelligent, polyvalent et agréable d’esprit, arriva à Jérusalem en 1935 avec une solide formation archéologique acquise à l’Institut Pontifical d’Archéologie Chrétienne de Rome. Il fut professeur de topographie de Jérusalem et d’archéologie chrétienne, et travailla dans trois directions : en publiant des itinéraires de Terre Sainte, en explorant l’archéologie de divers sanctuaires chrétiens anciens (le mont Nébo, le mont des Béatitudes, la Visitation, Emmaüs-Qubeibeh, Bethléem, le mont des Oliviers, Nazareth, le mont Carmel), et en les faisant suivre de publications ponctuelles sur la présence et l’influence des chrétiens des 4 premiers siècles, en accordant une attention particulière aux vestiges de la période pré-constantinienne.
En 1941 il lança avec Saller la série de monographies Collectio Maior du SBF et, en 1950, avec Baldi et les autres membres du Studium, collabora à créer la revue Liber Annuus. Il dirigea lui aussi le Studium pendant de nombreuses années et, au cours de l’année académique 1973-1974, il tint à ce qu’on célébrât le 50e anniversaire de sa fondation.

Le troisième personnage que j’ai connu personnellement fut le Père Virgilio C. Corbo (1918-1991). Il se trouvait déjà en Terre Sainte à l’âge de 10 ans. Les supérieurs l’envoyèrent étudier les Églises orientales à l’Institut Pontifical d’Études Orientales de Rome, mais ce qu’il cultiva toute sa vie fut l’intérêt pour l’archéologie. Le Père Stanislao Loffreda, collègue archéologue et ami fraternel, a écrit à son sujet : “Originaire d’Avigliano, prêtre franciscain de Terre Sainte, il voyait son travail comme une grâce et une mission, n’estimant rien de trop bas ou de trop haut. En tant qu’archéologue et chroniqueur, il fit parler les pierres pendant 40 ans, effectuant des fouilles à Bethléem, Jérusalem, Capharnaüm, au mont Nébo et à Machéronte. Il redécouvrit la maison de Pierre à Capharnaüm, et c’est là qu’il repose en paix désormais”. Ses collègues chercheurs et archéologues lui ont reconnu le mérite, plutôt rare et peu évident, d’avoir fait en sorte que tous ses travaux de recherches soient publiés rapidement.

Les contemporains

Les portraits qui vont suivre sont ceux d’un archéologue et de deux exégètes que je n’ai pas simplement connus de vue mais dont je me réjouis d’avoir partagé la vie fraternelle et académique en compagnon et en collègue.

Le Père Michele Piccirillo (1944-2008) est quelqu’un dont j’ai partagé l’existence pendant plus de 30 ans, à Jérusalem. Tout comme le P. Corbo, le P. Piccirillo était franciscain de la Custodie de Terre Sainte où j’étais entré à l’âge de 16 ans. Il avait fait ses études à l’Antonianum, au Biblicum et à l’Université La Sapienza de Rome (il était diplômé d’archéologie). C’est en été 1973 que lui furent confiés les premiers travaux de restauration des antiquités archéologiques du mont Nébo. Au SBF même, il fut professeur d’histoire, d’archéologie et de géographie biblique, et directeur du musée annexe. Il a travaillé et étudié avec une intensité exceptionnelle, et publié un nombre incalculable de livres et d’articles scientifiques ou de vulgarisation. Son activité culturelle en Jordanie et à propos de ce pays lui ont valu l’estime et l’amitié de la famille royale, et même le privilège d’être enterré au mont Nébo.

De génération en génération – Pères Pietro Kaswalder, Eugenio Alliata et Virgilio Corbo pendant les fouilles à Machéronte (Jordanie), 1981. ©Archives du SBF

Alviero Niccacci (1940-2018) était originaire d’Ombrie et franciscain également, mais il passa la plus grande partie de sa vie à Jérusalem où il fit des études et enseigna au SBF. Il avait acquis sa formation de bibliste et d’orientaliste à Rome, à l’Institut Biblique Pontifical et à l’Université La Sapienza. Une fois à Jérusalem, il eut la chance de pouvoir se mettre à l’école du célèbre orientaliste polyglotte Hans Jakob Polotsky (1905-1991). C’est auprès de lui qu’il approfondit sa connaissance de l’égyptien et du copte, ce qui lui fut très utile lorsque, devant enseigner la syntaxe hébraïque, il se fonda sur les nouvelles perspectives de linguistique textuelle pour élaborer une théorie d’étude sur la syntaxe du verbe hébreu – laquelle lui attira immédiatement l’attention des spécialistes. Niccacci fut lui aussi directeur du SBF pendant 6 ans. L’ample bibliographie qui le concerne comporte des manuels et articles d’étude de l’hébreu biblique, des commentaires et essais exégétiques, des études sur les relations entre l’Égypte et la Bible, ainsi que des recensions approfondies sur des sujets d’orientalisme. Il se faisait régulièrement guide d’excursions en Égypte pour les étudiants de la Faculté, en les y préparant avec soin et en leur obtenant de précieuses subventions de visites. Il a laissé le souvenir d’un frère amical envers tous, ouvert au dialogue et à la collaboration, et doté d’une grande humanité.

Vivre ensemble – Frère Michele Piccirillo (deuxième à partir de la droite) lors des fouilles archéologiques à Umm al Rasas en Jordanie. ©Archives du SBF

Le Père Frédéric Manns (1942-2021) avait en quelque sorte dans l’ADN la passion des voyages, une grande curiosité et la polyvalence en langues anciennes et modernes. Peut-être le devait-il à ses origines allemandes, à sa naissance à Windhorst (en ex-Yougoslavie) et à son éducation française reçue à Strasbourg. Il arriva au SBF à la trentaine ; il y compléta sa spécialisation en Études bibliques par un diplôme de théologie biblique (1976), des cours à l’Université hébraïque avec divers professeurs – dont David Flusser qui le marqua profondément – et en se préparant au diplôme d’Écriture Sainte qu’il obtint de la Commission Biblique Pontificale (1989). La bibliographie le concernant est littéralement inépuisable par son ampleur et sa diversité. Sa connaissance approfondie de la littérature juive ancienne lui permit de lire et de relire, à partir de cet éclairage, de très nombreuses pages et figures de la Bible, ainsi que des livres entiers de l’Écriture Sainte. Ce fut presque au terme de son mandat de doyen, et non sans qu’il y ait lui-même contribué, que le Saint-Siège éleva le SBF au rang de Faculté des Sciences bibliques et d’archéologie, en septembre 2001.

 

Le renfort

À ces portraits, j’ajoute la simple mention de quelques noms : Angelo Lancellotti (1927-1984), franciscain originaire de Lucques qui enseigna au SBF pendant quelques années l’hébreu biblique et l’akkadien : il a laissé une grammaire élémentaire de cette langue qui, 60 ans plus tard, reste renommée en Italie pour ceux qui doivent l’enseigner ; Lino Cignelli (1931-2010), franciscain d’Ombrie mais originaire des Abruzzes, qui enseigna l’exégèse patristique et le grec biblique au Studium pendant près de 30 ans, et permit une connaissance plus profonde de cette langue par diverses contributions didactiques ; Elpidius W. Pax (1912-1993), franciscain allemand, qui fut directeur du Studium pendant 6 ans, y enseigna durant une vingtaine d’années la philologie grecque, l’exégèse du Nouveau Testament et le judaïsme, et qui reçut le titre de Yekir Yerushalaim, “Ami de Jérusalem” ; Emanuele Testa (1923-2011), qui enseigna l’exégèse et la théologie de l’Ancien Testament, et fut l’infatigable collaborateur de Bagatti dans ses recherches sur le judéo-christianisme ; Pietro A. Kaswalder (1952-2014), franciscain de Trente qui, étant venu se former au SBF, y resta pour enseigner la géographie biblique et l’exégèse de l’Ancien Testament, et guida les jeunes avec vaillance lors des excursions d’études ; Virginio Ravanelli (1929-2014), lui aussi frère originaire de Trente, ancien élève du Studium qui, à un âge mûr, enseigna généreusement l’hébreu biblique élémentaire, l’exégèse de l’Ancien Testament, et fut un guide infatigable d’excursions et de groupes de pèlerins.

Tous ceux-là sont maintenant entrés dans la Jérusalem céleste, après avoir vécu et travaillé dans la Jérusalem terrestre. Le SBF en garde le vivant souvenir et leur conserve toute sa reconnaissance.

Un demi siècle

Je ne suis pas le seul à pouvoir encore témoigner des 50 dernières années de l’École biblique et archéologique franciscaine de Jérusalem. En fait, nous sommes 4 et je voudrais dire un mot du plus âgé d’entre nous qui est – sincèrement – le plus méritant, et donc aussi à juste titre le plus connu, y compris en-dehors du Studium : le Père Stanislao Loffreda, qui a vécu au SBF pendant 57 ans, y a enseigné l’archéologie et en fut directeur pendant 12 ans ; il a maintenant 92 ans et vit dans la Province franciscaine des Marques dont il est originaire. Son nom évoque les fouilles archéologiques de Tabgha et de Capharnaüm, de Kafr Cana et des forteresses hérodiennes d’Hérodion et de Machéronte. Il est estimé comme un spécialiste éminent des céramiques sur lesquelles il a rédigé plusieurs ouvrages fondamentaux destinés aux chercheurs. On peut en dire autant de sa monographie et de ses contributions sur les lampes byzantines porteuses d’inscriptions grecques. Qu’il soit assuré de notre estime reconnaissante et de ce souhait que nous formulons pour lui : ad multos et felices annos.

Il faudrait pouvoir rappeler aussi les divers professeurs invités, les nombreux collaborateurs et collaboratrices qui ont mis leur compétence et leur temps au service du SBF en travaillant à la bibliothèque, au secrétariat, au musée ou ailleurs, ainsi que les custodes et responsables de la Custodie qui eurent l’énorme mérite de créer et de soutenir cet institut tout au long de ces 100 ans. Mais, pour terminer sur une image biblique, nous sommes certains que tous leurs noms sont écrits au “livre de vie” qui se trouve auprès de Dieu.

1. Enchiridion Locorum Sanctorum. Documenta
S. Evangelii loca Respicientia, Jérusalem, 1955.

Dernière mise à jour: 11/07/2024 15:47

Sur le même sujet