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Séisme en Syrie: « Le Seigneur était là soutenant les murs »

Khokaz Mesrob, vicaire de la paroisse Saint-François d’Alep
20 juillet 2024
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Frère Khokaz Mesrob auprès des réfugiés d'Alep ©Andre Tedori/TawqMedia/Custody

Joint par Terre Sainte Magazine, frère Khokaz Mesrob raconte le quotidien des franciscains à Alep en Syrie depuis le tremblement de terre survenu le 6 février.


Le matin du 6 février à 4h17, nous avons ressenti un tremblement de terre qui a frappé la ville et fait trembler le couvent de fond en comble. Après cette violence secousse, nous sommes sortis et constations les dommages quand un autre tremblement de terre est survenu, moins fort mais plus long…

Dehors il faisait très froid, moins 5 degrés et il pleuvait. Nous étions devant la porte et les gens ont commencé à accourir au couvent, pour se protéger, dans l’église et dans le couvent. Ils accourraient avec la confiance que l’Église protège et accueille toujours en cas de danger.

Petit à petit, le couvent a commencé à se remplir. Une personne après l’autre, une famille après l’autre. Certains arrivaient pieds nus, beaucoup en pyjama. Certains pleuraient. Alors nous avons ouvert un premier hall, puis un second, plus grand. Nous avons essayé de calmer les gens. La foule grossissait et les répliques s’enchaînaient. Les gens avaient de plus en plus peur.

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À 7h du matin, nous sommes allés à l’église, bien qu’elle ait été endommagée par endroits, et nous avons prié le rosaire, puis nous avons eu la messe. Après quoi, je suis allé préparer le petit-déjeuner pour tout le monde. Nous sommes allés faire des courses et nous avons fait manger tous ceux qui se présentaient. À 1h30 de l’après-midi, il y a eu un autre tremblement de terre. Après cette secousse, une nouvelle vague de personnes est venue trouver refuge au couvent.

Accueil des réfugiés dans la salle paroissiale ©Andre Tedori/TawqMedia/Custody

Alors nous avons tout ouvert, les salles de catéchisme, de réunion, tout. Et nous avons commencé à offrir aux gens de la nourriture. Nous distribuions déjà une soupe populaire, nous avons augmenté les quantités et nous offert de quoi manger à toutes les personnes présentes.

Le soir venu, personne ne voulait rentrer chez soi. Il y avait encore des répliques. Nous nous demandions comment nous allions faire. Nous n’avions rien, mais les gens ont dormi sur des chaises. Certains ont apporté quelques couvertures et matelas et 300 personnes ont dormi là tant bien que mal.

Les trois premiers jours, pas le temps de dormir

Le deuxième jour, tandis que les secousses se faisaient toujours sentir, nous avons compris qu’il fallait organiser un nouveau petit-déjeuner, un nouveau déjeuner, un nouveau dîner. On s’est débrouillé, aucune aide n’arrivait de l’extérieur. On a fait ça ensemble, en église, comme des frères. Nous avons appelé le Terra Sancta College [un autre couvent franciscain plus au nord dans la ville NDLR], c’était pareil, en pire. Eux ont accueilli 3000 personnes [NDLR les uns dans le collège, les autres dormant dans leurs voitures garées dans la propriété].

Nous avons fait connaître notre situation et finalement, le troisième jour, de l’aide a commencé à arriver : des couches pour bébé, du lait, des matelas, des couvertures. Le père Bahjat (le supérieur des frères d’Alep NDLR) s’est démené pour contacter les gouvernements, les entreprises susceptibles d’aider, pour répondre aux journalistes et dès qu’il le pouvait, il venait auprès de tous ces gens qui ont besoin de notre présence. De mon côté, je suis occupé à rendre service et à organiser l’installation dans l’abri. Il faut aussi prendre le temps de consoler, soutenir, prier ensemble.

Frère Khokaz, présent auprès de chacun ©Andre Tedori/TawqMedia/Custody

Nous avons passé tout notre temps avec les personnes que nous accueillons au point que les trois premiers jours nous n’avons pas pris le temps de dormir. Nous sommes restés auprès de ceux qui avaient peur parce qu’ils avaient besoin de nous et ne voulaient pas rentrer chez eux.

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Après deux, trois jours, de nombreux jeunes ont commencé à venir, à collecter de l’argent, à acheter des vivres – des œufs, des pois chiches, du fromage, du lait – et des biens de première nécessité.

Le groupe de jeunes de la paroisse s’est installé chez nous pour se mettre à notre service, au père Bahjat et à moi, afin d’aider à plein temps. Il s’agit de 30 à 40 jeunes qui ont pris la responsabilité d’organiser l’accueil des réfugiés, enregistrer leurs noms, entendre leurs besoins, les soutenir, faire le tri des dons, distribuer les repas, apporter ce qui manque. Ils sont debout du matin au soir à servir les gens. Depuis une semaine [ces propos sont recueillis le 15 février NDLR], ils ne sont pas rentrés chez eux, nous aidons ensemble, prions ensemble, travaillons ensemble, dormons au même endroit. Le soir, nous nous réunissons pour faire le point, partager et chercher des solutions.

Plaisanter, rire, chanter

Tous ensemble, nous sommes devenus une famille et nous tenons à demeurer ensemble, à plaisanter, à rire, à parler, à chanter pour oublier les difficultés et cette détresse et cette peur et cette phobie. La présence de tous ces jeunes, c’est vraiment une consolation. Ils sont d’une grande aide. Ils courent ici et là pour faciliter notre travail, pour faire ce qui doit l’être et chaque matin ils mettent de l’ordre et font le ménage. Les réfugiés sont impressionnés par ce service, cette générosité, et l’esprit d’espoir, de prière, de force qui les habite.

De nombreux jeunes sont venus prêter main forte aux franciscains ©Andre Tedori/TawqMedia/Custody

Après 10 jours, ceux des réfugiés qui ont pu sont rentrés chez eux, les autres sont accueillis au Terra Sancta College. Nous organisons une nouvelle étape : la reconstruction. Nous avons envoyé des ingénieurs et architectes pour estimer l’état des maisons. Quelle maison doit être abandonnée, quelle est réparable.

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Nous mettons aussi en place un accompagnement psychologique. Beaucoup de gens ont peur de retourner dormir dans leur maison à cause de la persistance des secousses sismiques. C’est comme si vous ne pouviez pas avoir confiance dans votre propre demeure. C’est très angoissant. Personnellement, je n’ai jamais rien vécu de pareil. Je peux dire que la main de Dieu était avec nous, vraiment, sa miséricorde est grande parce que le pire aurait pu arriver… le pire… le pire.

Mais il nous a tellement soutenus, il nous a protégés, sa main très puissante et très tendre était avec nous et nous sommes en vie grâce à sa miséricorde, parce que ce tremblement de terre était vraiment très puissant. Comment et pourquoi sommes-nous vivants, comment sommes-nous debout ? Je ne sais pas. Mais je sais que le Seigneur était là, soutenant les murs. Il était là et avec son amour, sa providence et sa miséricorde, il nous a protégés.

 

 

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