Venez et voyez: céréales et légumineuses, un fameux cuisinier ce Jacob !
Un fameux cuisinier ce Jacob. Il arrive à contenter son frère, le grand chasseur Ésaü, d’un plat de lentilles fumantes : « Jacob prépara un jour un potage et Ésaü revint de la campagne épuisé. Il dit à Jacob : ‘laisse-moi avaler de ce potage, je suis épuisé’. Jacob dit : ‘vends-moi d’abord ton droit d’ainesse’… Jacob lui donna du pain et du potage de lentilles. » -Gn 25, 29-34. Elles ne devaient pas être seulement bouillies à l’eau !
Le « plat de lentilles » que Jacob prépare pour son frère compte parmi les passages les plus connus de la Bible. Savait-il, l’aîné, que cette légumineuse était riche en fer, calcium et magnésium et lui apporterait bien des nutriments que fournissait aussi le gibier qu’il chassait ? Aujourd’hui la soupe de lentilles est sur toutes les tables du Proche-Orient, de l’Égypte à la Turquie, de la Syrie à Israël, en Palestine comme en Jordanie.
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Il y a des millénaires l’agriculture et la domestication des animaux sauvages ont révolutionné la vie des populations ; c’est le Néolithique survenu dans ces régions dès le IXe millénaire, vers l’an 8700 av. J.-C., soit bien avant ce que connaîtra l’Europe. De prédateur, chasseur-cueilleur, l’homme devient éleveur et agriculteur. L’élevage est d’ailleurs plutôt pratiqué pour les produits laitiers qu’on va en tirer, les fromages, caillés et crèmes, que pour la viande, puisqu’on continue à chasser. Vers 8700 les ovins et caprins sont domestiqués en Anatolie, en 7000 en Syrie, en 6500 en Jordanie, en 5500 en Canaan.
Spécialisation et rivalité biblique
Tous les villages sont alors agricoles et cultivent des céréales, orge, blé, seigle, épeautre, avoine et millet ; et des légumineuses, pois, fèves, lentilles. Une vraie révolution, car ce mode de vie offre la possibilité d’engranger, et donc une sécurité alimentaire inconnue jusqu’à présent. Et aussi une possible différenciation des activités puisque chacun n’est plus obligé de se procurer sa nourriture quotidienne ; on peut en effet acheter viandes, fromages et légumes.
Spécialisation qui permettra notamment le développement de la vie religieuse et culturelle. L’un sera prêtre ou artiste à côté du commerçant, du boucher, ou du maraîcher. Un seul berger emmène au pâturage tous les animaux du village. Rapidement deux modes de vie se distinguent et souvent s’opposent, c’est ce qui constitue le fond de la rivalité entre Abel et Caïn (Gn 4, 1-8).
Au IXe millénaire en Assyrie les champs sont protégés pour que les nomades, non-cultivateurs, ne les pillent. Cela est aussi présent dans les évangiles où Jésus mentionne les tours de garde dans les vignobles : « Un homme propriétaire d’une vigne l’entoura d’une clôture, construisit un pressoir et une tour » -Mt 21, 33 ; Mc 12, 1. Il s’agit bien de systèmes de protection.
La richesse des céréales
À côté des légumineuses très nourrissantes, on cultive des céréales, que l’on connaissait sauvages, et dont on a appris à tirer un meilleur profit. Le charmant petit livre de Ruth nous en apprend beaucoup sur les céréales : « Booz dit à Ruth ‘mange de ce pain et trempe ton morceau dans le vinaigre ; la jeune femme s’assit à côté des moissonneurs de Booz, qui lui fit aussi un tas de grains rôtis… Ruth glana dans le champ jusqu’au soir et lorsqu’elle eut battu ce qu’elle avait ramassé, il y avait environ une mesure d’orge », un épha, c’est-à-dire 35 litres, ce qui est assez considérable pour du glanage.
Elle a certainement mis tout son cœur à l’ouvrage afin de se nourrir, elle et sa belle-mère Noémi… « Ruth resta parmi les servantes de Booz pour glaner jusqu’à la fin de la moisson des orges et de la moisson des blés » -Rt 2, 14… 22. Selon le calendrier, entièrement calé sur les saisons agricoles, la fête de Pâques correspond à la moisson des orges au printemps et Shavouot (Pentecôte) à celle des blés au début de l’été.
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Le livret de Ruth offre un contrepoint aux lois séparatistes qui ont été jugées nécessaires au retour d’Exil ; au VIe siècle le peuple avait besoin de se reconstruire, de se démarquer des nations idolâtres, même des Samaritains. Pour cela il a élevé des contraintes qui demeurent dans l’esprit pharisien : éviter les mariages mixtes en particulier. Avec la jeune Moabite et le notable de Bethléem, l’auteur magnifie la charité plus importante que des lois, dont la récompense ultime sera la descendance, puisque cette étrangère est censée être l’arrière-grand-mère du roi David.
Dans un épisode assez tumultueux de sa vie, où ce dernier traverse les régions d’outre-Jourdain, ayant dû fuir Jérusalem, David est régalé par des tribus locales : « Il y avait du froment, de l’orge, de la farine, du grain grillé, des fèves, des lentilles, du miel, du lait caillé et des fromages de vache et de brebis. » -2S 17, 28-29. Voilà un repas complet.
Ration quotidienne
Si la terre n’est pas, au premier abord, aussi plantureuse que la Bourgogne, elle offre largement de quoi vivre et les textes bibliques évoquent souvent l’abondance offerte : « Après vous être nourris de la précédente récolte, vous aurez encore à mettre dehors du vieux grain pour faire place au nouveau » -Lv 26, 10. « Toi Seigneur, tu prépares les épis… tu bénis son germe… les vallées se drapent de froment » -Ps 65, 10-14.
Alors qu’il est en exil à Babylone, le prophète Ézéchiel doit manger un « pain de misère » : « Prends du froment, de l’orge, des fèves, des lentilles, du millet et de l’épeautre ; mets-les dans un même vase et fais-t-en du pain… tu en mangeras 20 sicles par jour… tu mangeras cette nourriture sous la forme d’une galette d’orge. » -Ez 4, 9-12.
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Comme le sicle pèse 11 grammes, la ration quotidienne du prophète sera de 220g. Les galettes sont faites de farine pétrie à l’huile ; la recette en est donnée par un miracle d’Élie alors qu’on vit une période de sécheresse intense, donc de famine : « Je n’ai qu’une poignée de farine et un peu d’huile », dit une femme au prophète ; et lui : « Jarre de farine ne s’épuisera, cruche d’huile ne se videra jusqu’au jour où le Seigneur enverra la pluie sur la terre. » -1R 17, 14-17.
Le plus intéressant dans les céréales, c’est bien la farine qu’on en tire, base de multiples préparations, des plus simples aux plus élaborées. À côté des pressoirs à vin et à huile, on a retrouvé dans le pays quantité de meules à grains en basalte. Quelques graines, non-utilisées pour leur farine, sont aussi de la partie : « Le laboureur ne jette-t-il pas la nigelle, ne répand-il pas le cumin ? puis il met le blé, le millet, l’orge et l’épeautre en bordure… on n’écrase pas la nigelle avec le traîneau, on ne fait pas passer sur le cumin les roues du chariot ; c’est avec un bâton qu’on bat la nigelle et le cumin se bat au fléau ; lorsqu’on foule le froment on ne le broie pas. » – Is 28, 23-26.
L’agriculture dans les évangiles
Jésus dans ses paraboles ou ses métaphores évoque fréquemment les travaux des champs : « Un jour de sabbat Jésus et ses disciples passent à travers les emblavures » -Mc 2, 23-24. Très précisément ce sont les terres semées de blé, dont les épis sont formés, mais pas encore mûrs. Ce n’est donc pas la saison des moissons, ce qui nous renseigne sur le moment de l’épisode : on est au printemps, les blés sortis de terre sont encore verts.
Hors parabole, c’est Jean qui en donne l’image la plus riche : « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit » Jn 12, 23-24. Jésus révèle par cette seule phrase plusieurs vérités : une loi de la nature, il faut bien que le grain se dissolve, qu’il soit comme perdu en terre pour donner une plante nouvelle. Une prophétie sur ce qui va lui arriver et ce que sa mort produira : « beaucoup de fruit ». Enfin une invitation, que chacun peut entendre, à donner de lui-même, donner sa vie. « Tout ce qui n’est pas donné, est perdu » disait le jésuite Pierre Ceyrac, maxime qu’il tenait lui-même du sanskrit, vieille sagesse universelle.
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La parabole du semeur est aussi des plus connues : « Un semeur est sorti pour semer » et va lancer à la volée sur différents types de terrains : bords de chemins, rocailles, ronciers et quand même de la bonne terre -Mt 13, 3-9 et son explication (18-23) qui fait montre d’une observation des travaux agrestes et du paysage galiléen ; Jésus tire de son terreau familier un enseignement que ses auditeurs ont pourtant du mal à comprendre ; qu’est-ce qui est semé en définitive ? Quelle est cette graine qui tombe en terre ? Si c’est la Parole vivante de Dieu, ne serait-ce pas alors Jésus lui-même que le Père envoie sur la terre avec prodigalité, sans compter ? Jésus ne donne-t-il pas sa vie sans rien retenir ?
S’il n’évoque pas directement les paraboles et discours de Jésus, Paul connaît bien sa parole. Il tire aussi de « semer et moissonner » un enseignement : « Qui sème chichement, moissonnera aussi chichement ; qui sème en bénédiction, moissonnera aussi en bénédiction… Celui qui fournit au laboureur la semence et le pain qui le nourrit, vous fournira la semence à vous aussi, et en abondance. » -2Co, 9, 6… 10
Les images de moissons très fréquentes représentent, au-delà des récoltes, les jours de fin du monde où tout l’univers sera rassemblé et jugé. Enfin sera opéré le tri entre le bien et le mal, valorisation de l’amour seul.