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La Cisjordanie annexée à bas bruit

Giuseppe Caffulli
4 septembre 2024
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Un bulldozer blindé de l'armée israélienne en action dans une rue de Jénine, en Cisjordanie, le 2 septembre 2024. ©Flash90

Dans le fracas de la guerre à Gaza et sur le front nord, la détérioration de la situation en Cisjordanie se joue à bas bruit. Elle s’observe pourtant, se mesure et inquiète en dépit du silence international.
Giuseppe Caffulli, rédacteur en chef de la version italienne de la revue, rapporte les propos d’Hasan Dajah professeur d’études stratégiques qui observe la situation depuis Amman.


Lundi 2 septembre, les abords de la paroisse du Saint-Rédempteur de Jénine ont été détruits au bulldozzer par l’armée israélienne. Sami El-Yousef l’Administrateur général du Patriarcat latin a posté quelques photos sur facebook avec ce commentaire : « Alors que nous payons les dernières factures pour la rénovation et la réparation des dégâts causés par l’incursion de l’été dernier à Jénine, une nouvelle attaque est en cours, causant des dégâts massifs au complexe de l’église latine et du couvent dans le centre-ville de Jénine. Dans le processus, la rue principale a été rasée au bulldozer, détruisant toutes les infrastructures. Est-ce le début de la transformation de la Cisjordanie en un autre Gaza ? Quand la communauté internationale décidera-t-elle que ça suffit ? Quand Israël reconnaîtra-t-il que la puissance militaire n’apportera pas la paix, mais donnera naissance à davantage de haine et de résistance, et non à la paix et à la justice ? Continuons à prier pour un miracle ! »

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Vue d’Amman, la situation dans les territoires occupés palestiniens de Cisjordanie suscite une très grande inquiétude. Le 29 août dernier, Hasan Dajah, professeur d’études stratégiques à l’Université Al Hussein Bin Talal de la capitale jordanienne, a exprimé cette préoccupation dans le quotidien The Jordan Times.

« Tandis que le monde est préoccupé par la guerre en cours à Gaza, le gouvernement israélien profite de la “distraction” pour intensifier sa campagne répressive contre les Palestiniens en Cisjordanie, où les assassinats, les arrestations et la destruction systématique des infrastructures sont en augmentation. Cette campagne ne se limite pas aux affrontements armés, mais inclut également des démolitions de maisons, des confiscations de terres et l’expansion des colonies, ce qui exacerbe la souffrance des Palestiniens et augmente la pression sur eux pour qu’ils quittent leurs terres. »

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu s’exprime lors d’une conférence de presse à Jérusalem le 2 septembre 2024. devant une carte où les territoires palestiniens de Cisjordanie sont effacés dans un Grand Israël © Chaim Goldberg/Flash90

Alors que des incursions armées et des bombardements continuent sur des villes comme Naplouse et Jénine – explique le professeur Dajah – « les arrestations de masse sont devenues une caractéristique importante, car les forces israéliennes attaquent les villes et villages de nuit et arrêtent des jeunes hommes et femmes, dans le but de réprimer toute résistance potentielle. Parallèlement, les infrastructures en Cisjordanie sont systématiquement détruites, et il y a des démolitions de maisons, des déracinements d’arbres et du sabotage des réseaux d’eau et d’électricité, ce qui aggrave la crise humanitaire et rend la vie quotidienne des Palestiniens plus difficile. À travers ces mesures, le gouvernement israélien cherche à imposer une nouvelle réalité sur le terrain, profitant de l’état de chaos et de la préoccupation internationale à Gaza, pour étendre la zone de colonisation et réduire l’espace géographique disponible pour les Palestiniens en Cisjordanie. »

Que la guerre à Gaza, dès son début dramatique, ait contribué à jeter un voile sur les actions en Cisjordanie par les colons armés et l’armée, n’est pas une nouveauté. Aujourd’hui, il semble évident pour tous que « ces politiques compliquent encore davantage la situation dans la région et éloignent les perspectives de parvenir à une solution juste et pacifique ». De plus, « la Cisjordanie assiste à une escalade dangereuse de la violence de la part des colons israéliens et au déplacement systématique des Palestiniens de leurs terres. »

⇓ Les bulldozers en action à coté de l’église paroissiale de Jénine ⇓

L’exode massif des Palestiniens vers la Jordanie, une sorte de nouvelle Nakba, est le véritable cauchemar du royaume hachémite, qui a dénoncé à plusieurs reprises ce qu’il considère comme une véritable stratégie pour vider les Territoires au-delà du Jourdain de leurs habitants palestiniens.

« Les rapports sur les droits de l’homme – ajoute l’universitaire – indiquent que ces attaques ont souvent lieu sous la protection de l’armée israélienne, ce qui renforce le sentiment d’impunité des colons et les pousse à continuer leurs actions agressives. Le gouvernement israélien dirigé par Benjamin Netanyahu a annoncé des politiques et des mesures législatives visant à légaliser et à étendre les activités de colonisation. Parmi ces politiques, il y a une loi qui permet la confiscation de terres palestiniennes privées sous prétexte de “besoins de sécurité”, en plus de fournir des financements et un soutien logistique pour la construction de nouvelles colonies en profondeur en Cisjordanie. Ces mesures reflètent clairement l’intention du gouvernement israélien d’établir une nouvelle réalité de colonisation qui sape toute possibilité d’établir un État palestinien indépendant. »

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Les chroniques de ces derniers mois rendent compte d’une situation sur le terrain qui n’est pas nouvelle, mais qui se détériore rapidement. « Les autorités israéliennes – explique le chercheur – recourent à divers moyens pour faire pression sur les Palestiniens afin qu’ils quittent leurs terres, y compris le refus de délivrer des permis de construire aux Palestiniens et la démolition des maisons construites sans autorisation. En même temps, les colonies se voient accorder des permis de construction et d’expansion facilement et rapidement, créant un déséquilibre qui ne sert que les intérêts des colons. Dans certains cas, des familles palestiniennes entières sont déplacées de zones que les autorités israéliennes considèrent comme des “zones militaires fermées” sans leur offrir d’alternative de logement. »

Le déplacement forcé des Palestiniens de leurs terres – comme l’expliquent les rapports d’associations israéliennes telles que Peace Now et B’Tselem – ne se limite pas à la perte de leurs maisons, mais a de lourdes conséquences sur la vie sociale et économique. Les Palestiniens dépendent fortement de l’agriculture comme principale source de subsistance et, avec la perte de leurs terres, ils ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins quotidiens. « Le déplacement – précise le professeur Dajah – entraîne également la dispersion des familles et la désintégration des communautés locales, car les Palestiniens se retrouvent contraints de chercher de nouveaux lieux de résidence loin de leurs zones d’origine. Cette fragmentation aggrave la crise d’identité et d’appartenance parmi les jeunes générations qui naissent et grandissent dans un environnement d’instabilité et d’injustice. »

Des Palestiniens et des militants pour la paix protestent contre une colonie illégale sur la terre d’une famille chrétienne à Al-Makhrour, près de Bethléem, en Cisjordanie, le 3 septembre 2024. © Wisam Hashlamoun/Flash90

Cet aspect de la politique israélienne, qui a parmi ses défenseurs les dirigeants des partis d’extrême droite, Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, a pour corollaire un certain isolement d’Israël, « car les critiques de la communauté internationale à l’encontre de ces politiques qui violent les droits de l’homme et menacent la paix dans la région augmentent ».

Cependant, Israël semble ne pas s’en soucier. Au contraire : « Il semble continuer avec ses politiques sans tenir compte de ces critiques, ce qui complique encore la situation et éloigne les perspectives de parvenir à une solution politique future. La poursuite de ces politiques ne conduira qu’à plus de violence et d’instabilité dans la région, et les Palestiniens continueront à payer le prix le plus élevé pour ces politiques agressives. »

Sur le plan de la politique internationale, le professeur Dajah note l’absence d’un véritable engagement pour parvenir à la paix entre Israël et le Hamas et une normalisation de toute la région, à commencer par la Cisjordanie. « La communauté internationale reste tenue de prendre une position plus ferme et plus sévère. Il ne suffit plus de publier des déclarations de condamnation et de dénonciation ; plutôt, la situation exige une action effective pour activer les résolutions internationales qui affirment les droits des Palestiniens sur leurs terres et condamnent les opérations d’expansion des colonies qui constituent une violation flagrante du droit international. »

Et puis, il faut un engagement sérieux et effectif de la part des pays arabes et islamiques, qui « devraient également intensifier leurs efforts diplomatiques pour soutenir la cause palestinienne à tous les niveaux, en utilisant leur influence politique et économique pour faire pression sur la communauté internationale afin qu’elle prenne des positions plus fermes et expose les pratiques israéliennes à l’opinion publique mondiale. Ces efforts ne devraient pas être saisonniers ou liés à des événements spécifiques, mais devraient faire partie d’une stratégie durable pour soutenir les droits des Palestiniens. »

« L’escalade de la violence des colons et les politiques de déplacement en Cisjordanie – conclut l’universitaire – représentent une menace non seulement pour les Palestiniens, mais pour toute future possibilité de paix dans la région. Tant que la justice internationale continuera d’être absente, l’occupation et les colonies resteront les principaux obstacles à la réalisation des aspirations du peuple palestinien à la liberté et à l’indépendance. »

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