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La foi, une aide pour se reconstruire face à la guerre

Arnould Pépin
19 septembre 2024
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Appel à la prière À la tente des otages installée près de la résidence du Premier ministre à Jérusalem, les militants organisent tous les vendredis à 16h00 la prière de Kabalat shabbat, l’accueil de shabbat. Vendredi 30 août, à côté du slogan Let them home, Laisse-les rentrer à la maison, on pouvait lire Pray them home, Priez pour qu’ils rentrent à la maison. ©Andrea Krogmann

Quand une guerre éclate, se tourner vers la foi semble naturel, a fortiori en Terre Sainte, où les religions sont omniprésentes. Après l’attaque sans précédent du 7 octobre 2023 et un an de guerre, les croyants sont toujours là, l’air de dire : “Le monde s’écroule mais Dieu est avec moi”.


L’espérance est la fille de la foi. Si vous avez la foi, une foi enracinée en Dieu (…), vous aurez la clé pour affronter la situation actuelle”, ainsi le patriarche latin de Jérusalem, le cardinal Pizzaballa, exhortait-il les chrétiens le 22 juillet 2024 à garder espoir malgré la guerre à Gaza.

Les attaques meurtrières du Hamas qui ont fait 1 198 morts et 251 otages le 7 octobre 2023, ainsi que l’opération israélienne sur la bande de Gaza qui s’en est suivie et qui a fait plus de 40 000 morts, ont profondément ébranlé les différentes communautés vivant en Israël et dans les Territoires palestiniens, sapant la confiance dans les autorités nationales et l’armée d’une part, et la communauté internationale d’autre part. Tous se sont sentis abandonnés par le monde entier qui semblait laisser faire les massacres sans rien dire.

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“Que nous reste-t-il ?” auraient-ils pu se demander. Pour beaucoup, la réponse est simple. Nous avons Dieu.

Quand tout s’effondre autour de soi, que la guerre fait rage, chercher à retrouver des repères en exaltant sa pratique religieuse semble être un réflexe naturel comme l’indique une étude universitaire intitulée War increases religiosity (la guerre accroît la religiosité). En 2019 ses auteurs expliquaient, après avoir interrogé près de 1 800 personnes dans différentes parties du monde, que la guerre crée un accroissement de la foi religieuse en raison du besoin des victimes, directes ou indirectes, de se rapprocher du collectif en intégrant des groupes religieux qui leur offriront un support et des normes très stables. L’étude démontre aussi que tant les rituels que la foi en Dieu peuvent aider les individus à faire face à la détresse. Les rituels sont un moyen de soulager l’anxiété, le stress, et aident à atténuer les effets des expériences traumatisantes. De même, la foi en Dieu peut aider les individus à affronter le risque de mort imminente, la souffrance, et l’incertitude existentielle.

Des profondeurs… Des Gaziotes participent à une prière à côté de maisons détruites par des avions de guerre israéliens, dans la ville de Khan Yunis.© Abed Rahim Khatib/Flash90

En Terre Sainte, se tourner vers la prière, c’est souvent se tourner vers soi-même, tant ici la religion fait partie de l’identité. Le sacré a infusé depuis des siècles, aussi bien en temps de guerre que de paix, créant des habitudes si profondément ancrées qu’elles deviennent presque des réflexes naturels. “La foi est très importante, surtout pour les jeunes gens. Cette foi prend soin de nous et est essentielle pour vivre en Terre Sainte, surtout avec toutes les difficultés auxquelles nous sommes confrontés, la guerre, la situation économique, les problèmes sociaux”, abonde Nadine Bitar, secrétaire générale de l’association “Youth of Jesus’Homeland” (YJHP) Jeunesse de la patrie de Jésus, un mouvement de jeunesse palestinien qui organise des actions et des formations pour les jeunes chrétiens locaux.

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Face à la guerre, la foi permet de se sentir moins seul, décrypte-t-elle : “Elle nous donne la garantie que Dieu est autour de nous”.

“Mon sentiment est que la population israélienne a un intérêt de plus en plus profond pour la religion et son identité religieuse. Ils en retirent de l’encouragement, du sens, de l’espoir et aussi le sentiment qu’il y a quelque chose de plus grand qui se joue ici”, explique le rabbin Daniel Roth, directeur de l’association israélienne Mosaica, qui promeut la médiation et le dialogue religieux dans la résolution des crises. Selon une étude de l’institut de sondage Lazar Research, parue en février 2024, 33 % des Israéliens, en particulier les jeunes, ont renforcé leur foi depuis l’attaque. De plus, 63 % ont déclaré prier davantage et 45 % ont augmenté leur récitation des psaumes.

De même, selon le Yaqeen Institute, un cercle de réflexion sur les pratiques musulmanes basé aux États-Unis, 35 % des musulmans témoignent que leur relation avec Dieu s’est significativement améliorée depuis le 7 octobre.

Les responsables à l’écoute

Alors que les fidèles ont soif de réponses, les responsables religieux, y compris associatifs, sont sollicités.

“C’est un défi de préserver sa foi en temps de guerre, surtout quand vous êtes jeune et que vous demandez à Dieu beaucoup de choses sans recevoir de réponses”, pose Nadine Bitar, “mais notre travail, en tant que responsables dans l’Église, est de préserver la foi de cette jeunesse en expliquant comment les prières fonctionnent, ce qu’est la foi, comment Dieu agit, que son rythme n’est pas le nôtre, et que la pratique de la foi est essentielle dans la vie quotidienne”.

Repérer ceux qui sont les plus déstabilisés par la guerre et la perte de sens qu’elle implique est la “responsabilité” des responsables religieux, estime par ailleurs Daniel Roth. “Il va y avoir des traumatismes personnels, des fragilités psychologiques, des problèmes de santé mentale et les responsables religieux devront être présents. Leur rôle pour un accompagnement mental et spirituel est essentiel, d’autant que le travail sur la foi est ce qui fait vraiment la différence pour aider les gens à surmonter leur traumatisme et aboutir à une forme de stabilité”, note ce rabbin. Avec Mosaïca, il rencontre des croyants de toutes les religions et note que, du côté musulman, les responsables religieux travaillent avec des professionnels de la santé mentale pour appréhender les gens les plus lourdement traumatisés. Mais si plusieurs expérimentations ont d’ores et déjà été mises sur pied pour mêler religion et accompagnement psychologique, les difficultés sont “d’autant plus dures à gérer, que nous sommes dans un processus dont on ne voit pas le bout”, indique Daniel Roth.

Prendre modèle

En appelant dans leurs prières à la résolution du conflit, les croyants cherchent un horizon. Ils le trouvent parfois de manière très concrète, chez leurs coreligionnaires. L’imam palestinien Omar Suleiman, directeur du Yaqeen Institute, constate qu’un grand nombre de croyants et de non-croyants ont approfondi leur foi, inspirés par la résilience et le courage des habitants de Gaza.

De même les chrétiens de Gaza ont, dès les premiers jours de la guerre, décidé de rester dans leur paroisse où ils célèbrent encore des messes et prient chaque jour pendant de longues heures, malgré la famine qui étreint la ville et les combats tout proches.

Après sa visite dans la bande de Gaza en mai 2024, le cardinal Pizzaballa, a rapporté que ces fidèles lui avaient confié d’une seule voix : “Nous resterons ici, tant que l’Église nous soutient, nous n’avons pas peur”. Le patriarche lui-même s’est dit impressionné par l’attitude de cette petite communauté de la paroisse de La Sainte-Famille demeurée sur place, bouleversé par “leur foi inébranlable”.

À travers le monde, en particulier au Moyen-Orient, de nombreux chrétiens prient d’ailleurs pour eux et sont inspirés par leur foi qui illumine l’adversité.

Nadine Bitar observe qu’elle voit de plus en plus de prières publiques, manière de se serrer les coudes autour de l’espérance de jours meilleurs : “Ces moments de difficultés sont paradoxalement les meilleurs pour ressentir la présence de Dieu, on croit que les jeunes se détournent des églises mais, en réalité, c’est l’opposé, leur foi est plus solide.”

Faire corps a néanmoins ses limites après tant de violences, et le dialogue avec Dieu ne suffit pas toujours à apaiser les doutes de populations abreuvées d’images de guerre tous les jours depuis près d’un an.

“La foi des gens les amène à croire que les victimes de Gaza iront directement au paradis en tant que martyrs”, explique Montaser Amro, un habitant musulman de Dura en Cisjordanie occupée, près de la grande ville d’Hébron, “c’est ce qui les fait tenir et c’est ce qui alimente leur foi, mais le côté pervers, c’est qu’au bout du compte (après plus de 40 000 morts ! NDLR), cela entre en contradiction avec le principe religieux d’immense valeur donnée à chaque vie. Pour moi, la religion peut aider lorsqu’on ne va pas bien mais ça ne suffit pas.”

La religion reste malgré tout un soutien précieux malgré de fortes inquiétudes sur l’avenir et cette expérience partagée par toutes les confessions pourrait peut-être un jour servir de base commune pour dessiner la paix. Déjà à plusieurs occasions au cours de l’année, quelques petites poignées de croyants musulmans, juifs et chrétiens prient ensemble afin de maintenir vivant l’espoir commun.

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