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À la paroisse de Gaza, l’anormale normalité d’un quotidien dans la guerre

Cécile Lemoine
30 octobre 2024
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Après une rare livraison de mouloukhieh (sorte d'épinard à la consistance gluante une fois cuit) en juillet, préparation du plat du même nom, emblématique de la cuisine palestinienne. Le nord manque de fruits et légumes frais ©P. Romanelli

Dans une série de messages vocaux, le père Gabriel Romanelli, curé de la paroisse latine de Gaza, raconte le quotidien des 500 réfugiés qui y sont abrités alors que la guerre fait rage dans le nord de l'enclave. À travers les tentatives de mener une vie normale, c'est toute l'anormalité d'une situation qui dure depuis un an qui se dessine.


Pas facile d’avoir des nouvelles du père Gabriel Romanelli et de la paroisse de Gaza, où il est de retour depuis le mois de mai. Très sollicité, le curé trouve rarement le temps de répondre aux messages. Mais quand il le fait, il livre une mine d’informations. Ses derniers messages vocaux datent de lundi 28 octobre.

Située à Gaza-ville, dans le nord de la bande de Gaza, la paroisse est témoin du siège des quartiers voisins de Jabaliya, Beit Lahia et Beit Hanoun, mené par l’armée israélienne depuis le 6 octobre. « La situation y est dramatique. Les habitants ont tout perdu. Ils ont été contraints de fuir et sont arrivés à Gaza-ville, qui est elle-même coupée du reste de la bande de Gaza depuis des mois, relate le père Gabriel. À part quelques camions du Programme alimentaire mondial et de l’Ordre de Malte, rien n’arrive dans le nord. Tout est fermé. »

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L’opération de l’armée israélienne dans le nord, la troisième depuis le début de la guerre, est d’une intensité inégalée. Après avoir affirmé que « le Hamas reconstruisait ses capacités opérationnelles dans le camp de Jabaliya », l’armée a ordonné aux habitants de Beit Hanoun, Beit Lahiya et Jabaliya d’évacuer vers la zone humanitaire déjà surpeuplée d’Al-Mawasi, avant d’encercler ces quartiers.

« Jusqu’où cette guerre ira-t-elle ? »

Quelque 430 000 personnes au total sont bloquées dans cette zone, selon un décompte des agences de l’ONU. Les habitants qui y sont restés décrivent un quotidien fait d’explosions, de coups de feu et de tirs d’obus incessants, tandis que les secouristes et la défense civile ont été empêchés d’aider les blessés et de récupérer les cadavres. Au moins 640 Palestiniens auraient été tués depuis le début du siège selon un chiffre communiqué par les hôpitaux du nord de Gaza. Des ONG alertent sur “l’effacement de la présence palestinienne” en cours dans le nord de l’enclave. « Jusqu’où cette guerre va-t-elle aller ? Encore combien de temps ? », s’interroge le père Gabriel dans un soupir.

Le père Gabriel Romanelli est revenu à Gaza en mai, après avoir été coincé à Jérusalem pendant 8 mois ©Ilquddas Ara

À la paroisse, le curé, aidé de deux autres prêtres de la communauté du Verbe Incarné, tente autant que possible de maintenir un semblant de normalité dans le quotidien, et notamment dans la vie spirituelle. « On fait la messe tous les jours, on récite des chapelets, et on prie devant le Saint Sacrement. Une heure de méditation en silence. Enfin, pas vraiment, étant donné le bruit permanent des bombes et des enfants… On est 500 ici », détaille le curé, qui tient aussi à visiter régulièrement les malades et les personnes âgées qui vivent dans le complexe paroissial.

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Grâce au soutien du Patriarcat Latin et de l’Ordre de Malte, la paroisse dit pour l’instant ne pas manquer de nourriture. L’aide, qui arrive par camion, est aussi distribuée aux habitants du quartier, qui peuvent également bénéficier d’un centre pour les enfants, ainsi que d’un dispensaire. « Le mois passé, on a réussi à aider 5 000 familles », expose père Gabriel, en notant que « les besoins sont énormes » : « On manque de médicaments contre les maladies chroniques. La distribution de la deuxième dose du vaccin contre la polio a été suspendue à cause de l’opération israélienne. »

Petits morceaux de quotidien

Dans le chaos de la guerre, le père Gabriel œuvre pour que la foi reste un phare. Seize jeunes paroissiens ont ainsi décidé de se consacrer à Jésus à travers la Vierge Marie à l’occasion de la fête de Notre-Dame de Palestine, le 27 octobre dernier, après trois mois de préparation. « On est conscient d’être sur le Calvaire. Mais il n’y avait pas seulement la Croix sur ce calvaire, il y avait aussi notre Seigneur et la Vierge », rappelle le prêtre, qui suit avec attention le chemin spirituel de ses jeunes brebis.

Alors que toute forme d’éducation a été rendue impossible par la guerre l’année passée, la paroisse tente de remettre les enfants au travail : « On a organisé des cours et on prépare des examens pour tenter de sauver l’année scolaire », relate le curé qui dit pouvoir s’appuyer sur le Patriarcat Latin et la direction générale des écoles de Ramallah.

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Sur son compte Facebook, au milieu des centaines de photos qui dépeignent l’abondante vie liturgique, le père Gabriel donne parfois à voir des petits morceaux du quotidien : des jeunes garçons qui jouent au foot dans la cour de l’église, ou qui, armés de balai, la nettoie ; les sœurs du Verbe Incarné qui font danser les enfants, des scènes joyeuses d’anniversaire, la fabrication des hosties, du linge qui sèche sur les balcons des salles de classe… Une anormale normalité qui se perd dans le bruit saturé des destructions et des drames quotidiens à Gaza.

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