En Palestine, octobre rime avec olives. À Jeb’a, petite localité palestinienne collée à la barrière qui sépare Israël de la Cisjordanie occupée, on a sonné le début du mois de récolte. Les enfants virevoltent entre les oliviers, râteaux et bonne volonté maladroite à la main. Les plus grands s’activent entre les feuilles poussiéreuses, cueillant par poignées les fruits gorgés de soleil. Les olives sont belles, les arbres sont généreux.
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“La récolte sera bonne, si Dieu le veut”, sourit Ibrahim Tos, soulagé d’avoir pu commencer la cueillette ce jeudi 10 octobre, sur une parcelle de 200 arbres, sujette à des restrictions militaires. “Israël a construit sa barrière de séparation au milieu de mes terres”, explique le cinquantenaire, en pointant la clôture de métal et de barbelés, située quelques oliviers plus loin : “À cause de la guerre, l’armée israélienne nous en a interdit l’accès et nous n’avons pas pu récolter les olives l’année dernière. Pareil sur une autre parcelle, trop proche de la colonie de Bat Ayin.” Sur les 20 bidons d’huile qu’il presse habituellement, Ibrahim n’en a produit que 12 en 2023, grâce aux arbres situés dans le village.
Violences et restrictions
Entre 80 000 à 100 000 familles palestiniennes dépendent économiquement de la récolte des olives, estime l’OCHA, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU qui a calculé que 50% des agriculteurs palestiniens ont été dans l’impossibilité de récolter leurs olives à cause des restrictions militaires qui ont suivies le 7-Octobre. “La perte totale a été estimée à plus de 1 200 tonnes d’huile, ce qui équivaut à un préjudice financier de 10 millions d’euros”, note l’OCHA dans un rapport publié en février 2024.
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Ibrahim, ouvrier sur un chantier dans la ville israélienne voisine de Bet Shemesh, s’est vu retiré son permis de travail après le 7-Octobre, comme 180 000 autres Palestiniens des territoires occupés. “En un an, on a perdu 60% de nos revenus”, estime ce père de cinq enfants, qui mise sur le petit pécule qu’il pourra récupérer de la vente de son huile d’olive. Pour maximiser une récolte indispensable, il a accepté l’aide de l’ONG israélienne Rabbins pour les droits de l’Homme (RDH) sur la parcelle située près de la barrière.
Armed Israeli settlers entered land of al-Mughayir village on Yom Kippur to prevent Palestinians from harvesting their olives.
For the apartheid and dispossession regime, no day is holy. pic.twitter.com/AtNds6RjzJ
— B’Tselem בצלם بتسيلم (@btselem) October 13, 2024
Saison traditionnellement joyeuse où familles et amis se réunissent autour des oliviers pour la cueillette, la période a vu les violences des colons grimper en flèche ces dernières années : l’OCHA a recensé 113 incidents avec des colons entre septembre et novembre 2023, et la vandalisation de près de 10 000 oliviers en l’espace d’un an. “Avant, toute la famille était dehors. Les femmes et les enfants cueillaient les olives avec nous. Aujourd’hui c’est trop dangereux”, explique Ibrahim Tos. Rassuré par la présence des volontaires israéliens, il a accepté que ses neveux l’accompagnent dans les champs.
Solidarité juive
Cela fait près de vingt ans que RDH prête main forte aux communautés palestiniennes à l’occasion des récoltes, et tente de faire tampon quand l’armée ou les colons s’y invitent : “L’État d’Israël est confronté à un réveil sinistre et brutal. En Cisjordanie, les colons extrémistes ont fait de la violence une routine, menant des pogroms contre les Palestiniens sous couvert de la guerre, de la religion et encouragés par le gouvernement, dénonce Avi Dabush, rabbin et directeur exécutif de l’association. C’est pourquoi notre aide à la récolte est la réponse la plus claire, la plus nécessaire et la plus juive que l’on puisse offrir en ce moment.”
Une vingtaine de volontaires ont répondu à l’appel de l’ONG pour ce premier jour de cueillette à Jeb’a. “L’entente entre nos deux peuples me paraît être une évidence”, sourit Yacov, ancien traducteur qui occupe aujourd’hui son temps libre entre plusieurs ONG israéliennes des droits de l’homme. “En Israël, on m’insulte parce que j’ose écrire sur la paix. Mais je m’en fiche, je fait ce qui est juste.” Activiste endurci, il affirme qu’il n’hésitera pas à accompagner RDH dans les zones les plus tendues, près de Naplouse, où les champs d’oliviers jouxtent les colonies les plus radicales.
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La présence du petit groupe a fini par alerter l’armée israélienne qui surveille la clôture et le point de passage voisin, depuis une base militaire. “Ça ne va pas. Il faut nous prévenir de votre venue”, lancent des soldats aux activistes avant de rebrousser chemin. Pas de restrictions, pour l’instant. À l’ombre d’un olivier, Ibrahim Tos philosophe : “Ces Israéliens, qui viennent nous aider, ça montre qu’on peut travailler ensemble, être ensemble.”