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À Jérusalem, renforcer l’existence chrétienne en y bâtissant la nouvelle génération 

Cécile Lemoine
8 novembre 2024
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À mi-chemin entre l’encyclopédie et le data center, Usama connaît tous les chiffres, tous les problèmes, et veut penser aux solutions pour aider sa communauté. ©Cécile Lemoine

Sous la houlette de la Mission Pontificale de Jérusalem, Usama Salman travaille à un plan pour renforcer la présence chrétienne à Jérusalem, menacée de disparition, à travers l’éducation et l’orientation professionnelle. Un travail de titan, bien solitaire.


Si on devait décrire Usama Salman, il serait un savant mélange d’assistant social et de consultant en stratégie, entièrement dévoué à la communauté chrétienne de Jérusalem. Corps longiligne, cheveux blancs gominés et épaisses lunettes noires, ce chrétien né et élevé dans la ville sainte, dédie sa vie et son travail à un objectif : empêcher la disparition des chrétiens de Jérusalem.

Depuis son bureau de la vieille ville, il dresse un constat pessimiste : “En 1922, il y avait 14 669 chrétiens à Jérusalem sur 62 000 habitants. D’après l’enquête que j’ai menée en 2023, nous sommes aujourd’hui moins de 10 000 sur un million d’habitants. À ce rythme, et d’ici 50 ans, les chrétiens auront disparu de la ville.” Son regard se voile. “Fermez les yeux un moment. Imaginez. À quoi ressemblerait Jérusalem sans chrétien locaux ?”

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Cette question, il la pose aussi aux chefs des Églises. Pour sonner l’alerte. Pour éveiller les consciences. “Je veux leur ouvrir les yeux, par ce que l’absence de communauté chrétienne locale affectera l’Église en tant qu’entité, autant que tous les aspects de la vie des chrétiens : la vie religieuse, culturelle, sociale, économique, la sécurité…”

Le problème de la disparition des chrétiens ne date pourtant pas d’hier. “On a trace de cette tendance depuis l’époque ottomane. Depuis 1967, tout s’est accéléré. L’occupation israélienne et les difficultés socio-économiques qu’elle engendre poussent les chrétiens palestiniens vers l’étranger, en quête d’un avenir meilleur pour leurs enfants”, explique Usama Salman. Chaque nouvelle période de tension s’accompagne de son lot de départs : “Je sais que plusieurs de Jérusalem ont émigré depuis le début de la guerre”, souffle le chercheur.

La pâque orthodoxe célèbre l’identité chrétienne de la vieille ville de Jérusalem, bien que chaque année les restrictions imposées par la police israélienne augmentent. © Cécile Lemoine

Face à la situation, lui ne se laisse pas abattre. Au contraire. Il cherche des solutions. Méthodiquement. Après des études en archéologie biblique, puis en relations internationales, Usama s’oriente vers la philosophie après un détour en tant que guide touristique. Sa thèse, bouclée en 2017, il l’a dédiée à “[son] peuple”: “Je me suis concentré sur la manière dont on peut construire une nouvelle génération de chrétiens à travers un programme stratégique”. L’idée ? “Trouver quels sont les vrais problèmes des chrétiens à Jérusalem, les analyser un par un, et en sortir une solution stratégique.” Résultat : une multitude de problèmes identifiés, allant de l’absence de leaders politiques, au mur de séparation, en passant par un taux de natalité en baisse ou l’inaccessibilité des logements…; et un programme à 360 degrés pour les résoudre. Le premier du genre.

De la théorie à la pratique

Sa ligne directrice tient en un concept : renforcer le sentiment d’appartenance des chrétiens. C’est, selon Usama Salman, le point de départ essentiel : “Les chrétiens palestiniens ne connaissent pas leur histoire. Si vous ne savez pas ce dont cette terre est faite, ni d’où vous venez, vous perdez le sens de votre présence ici et vous partez”, expose le chercheur, qui poursuit dans une même lancée : “Je ne blâme pas la communauté, mais le système éducatif. J’ai analysé tous les programmes des écoles chrétiennes: il y a 600 ans d’histoire qui manque, toutes les premières années du christianisme ! Ils enseignent la religion, mais pas l’histoire”, regrette Usama Salman qui souligne un décalage avec le judaïsme et l’Islam : “La question de la terre y centrale, alors que nous, les chrétiens, on ne parle que de foi.”

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Ses travaux, repérés par la Mission Pontificale pour la Palestine où Usama Salman a un temps travaillé, ont trouvé le soutien nécessaire pour passer de la théorie à la pratique. Sous la houlette de cette institution fondée en 1949 par le Pape Pie XII et grâce au soutien de la Fondation Jean-Paul II, présidée par le franciscain Ibrahim Faltas, une structure a été montée, “Koinonia-Jerusalem”, un programme où le chercheur a carte blanche pour mettre en place son plan stratégique. Il travaille actuellement à l’écriture d’un manuel hors programme pour bousculer l’enseignement traditionnel de la religion dans les sept écoles chrétiennes de Jérusalem. “En attendant, on a des gens qui donnent des cours d’histoire chrétienne à tous les élèves de seconde, première et terminale, en reprenant tout depuis la Pentecôte.” Usama Salman le sait, les fruits de ces cours ne seront pas visibles avant 4 ans. Il espère toucher 1200 jeunes.

Question de priorité

Rationnel et pragmatique, le chercheur veut penser à tout pour ces jeunes, cette nouvelle génération en laquelle il mise tant. Une fois sortis de leur cursus scolaire, Usama Salman souhaite guider leur carrière. “On a bâti un test qui permet de déceler quelles sont les matières et les domaines qui intéressent les étudiants. À partir des résultats, on peut orienter vers la spécialisation nécessaire sur le marché du travail chrétien et de Jérusalem.… Aujourd’hui, tous les jeunes veulent devenir ingénieur, mais personne ne se spécialise dans des domaines où il y a des besoins, et personne ne trouve de travail”, soupire le chercheur. « Si on orientait des ingénieurs vers la rénovation, ça serait idéal : vous créez un sens de l’appartenance, parce que vous serez par exemple amené à travailler au Saint-Sépulcre, ou dans une des 77 chapelles ou églises de la vieille ville”, s’enthousiasme le chercheur, qui voit dans l’avantage comparatif, la solution aux maux socio-économiques des chrétiens. 

L’école Schmidt, l’une des sept écoles chrétienne de Jérusalem-Est, où Usama Salman prévoir de lancer ses cours d’histoire du christinianisme. ©Hadas Parush/Flash90

Convaincu du bien-fondé rationnel et pragmatique de sa vision, Usama Salman espère convaincre les responsables d’églises et les organisations chrétiennes de Jérusalem de l’aider à travailler à la mise en place de ce plan stratégique. L’équivalent d’un changement de logiciel pour ces institutions, plus habituées à fonctionner en « mode projet », et sur le court terme. S’il est si concentré sur le futur des chrétiens de Jérusalem, c’est qu’Usama Salman estime que la communauté chrétienne est trop fragmentée pour que la réponse apportée soit uniforme. “Nous vivons une crise d’identité aujourd’hui. Un chrétien d’Israël ne vit pas et ne pense pas la même chose qu’un chrétien de Palestine, ou de Jérusalem. L’occupation israélienne nous a divisé, et chacun a des problématiques propres, qui demandent des solutions propres.”