La première nomination de “Terre Sainte” s’entend dans une parole de Dieu. La voix du Seigneur, présent dans un buisson au désert, intime à un gardien de petit bétail, Moïse, de “retirer ses sandales de ses pieds, car la terre où il se tient est une terre sainte”.
Pour Moïse tout ce qui touche au sol demeure troublant : il est lui-même exilé loin de sa terre d’origine, l’Égypte, qu’il a dû fuir ; il vit en réfugié dans une famille dont il a épousé une des filles, il n’a pas de terre à lui… et n’en aura pas jusqu’à la fin de sa longue existence. Et voilà qu’un prodige pique sa curiosité, un épineux enflammé qui ne se consume pas et une voix qui en sort et se présente : “Je suis le Dieu de ton père, le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob” -Ex 3, 6.
On comprend que la terre en question est sainte parce que ce Dieu s’y est posé. La sainteté dans l’Ancien Testament, c’est ce qui n’est pas profane, comme une mise à part du monde dans lequel vit toute créature. Pour passer d’un domaine à l’autre, du quotidien au divin, du banal au consacré, et retour, il y a des rites à accomplir, le plus souvent des gestes de purification, des ablutions, et des offrandes. Ici, simplement, aller pieds nus ! Plus tard viendront d’autres commandements.
La terre est un lieu de vie
Le rapport de l’homme à la terre, c’est qu’elle le fait vivre, car il la cultive, il en tire des produits qui le nourrissent. “La terre, le Seigneur l’a donnée aux fils d’Adam” -Ps 115, 16- c’est-à-dire à toute l’humanité. Au début de la Genèse, elle est même un jardin protégé – c’est le sens du mot persan paradis – pour qu’y poussent toutes sortes d’arbres beaux et bons, et où l’humain est planté -Gn 2, 8.
L’homme religieux reconnaît que c’est Dieu qui est à l’origine de la création, toute la création, et pour cela il chante la générosité de ses dons : “Au Seigneur la terre et sa plénitude, le monde et tout son peuplement” -Ps 24, 1. “À toi les cieux et la terre, le monde et tout son contenu” -Ps 89, 12. “Le ciel est son trône et la terre l’escabeau de ses pieds” affirme Is 66, 1. Pour le prophète Daniel, un autre exilé, la terre c’est la nature entière et l’humanité : “Que la terre bénisse le Seigneur, qu’elle le chante et l’exalte éternellement” -Dn 3, 74.
De tous les habitants de la terre Dieu a fait le choix d’un clan à qui il se révèle et qui aura pour mission de le faire connaître au reste du monde. Ce groupe élu reçoit une terre pour y vivre : “Tu es un peuple consacré au Seigneur ton Dieu, c’est toi que le Seigneur ton Dieu a choisi pour son peuple à lui parmi toutes les nations de la terre” -Dt 7,6. “Soyez-moi consacrés, puisque moi, le Seigneur, je suis saint et je vous mettrai à part de tous ces peuples, pour que vous soyez à moi” -Lv 20, 26. ”Il donna leur terre en héritage à Israël son peuple” -Ps 135, 12.
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“Le Seigneur te conduit vers un heureux pays, pays de cours d’eau, de sources qui sourdent de l’abîme dans les vallées comme dans les montagnes, pays de froment et d’orge, de vigne, de figuiers et de grenadiers, pays d’oliviers, d’huile et de miel, pays où le pain ne te sera pas mesuré et où tu ne manqueras de rien… Tu mangeras, tu te rassasieras et tu béniras le Seigneur ton Dieu pour cet heureux pays qu’il t’a donné” -Dt 8, 7-10.
Au IXe siècle, Naaman, un général damascène, guéri par Élisée, déclare à son sauveur : “Permets que j’emporte la charge de deux mulets de terre, car ton serviteur n’offrira plus ni sacrifice ni holocauste à d’autres dieux que le Seigneur Dieu d’Israël”-2R 5, 17. Ce petit peu d’humus lui rappellera toujours qu’il a été purifié de sa lèpre et qu’il doit ce prodige au dieu d’Israël, tout en gardant l’apparence d’un païen aux yeux de ses compatriotes. Tenu par ses obligations politiques et religieuses envers son souverain, il n’obéira en son cœur qu’au Dieu d’Israël qui l’a guéri de cette terrible maladie. La terre qu’il emporte est pour lui chose sainte.
Terre donnée mais à partager
Au fil de son histoire, clan nomade plus ou moins accepté par les populations locales, le peuple “d’Abraham, d’Isaac et de Jacob” se dirige vers la terre pour lui, certes déjà habitée, mais où il pourra se faire une place, sans oublier qu’elle est un don de Dieu qui y réside avec son peuple. “C’est seulement au lieu choisi par le Seigneur, entre toutes vos tribus pour y placer et faire habiter son nom, que vous viendrez le chercher” -Dt 12, 5. En finale d’une longue description du temple de Jérusalem à reconstruire, Ézéchiel conclut “Le nom de la ville sera désormais : Le Seigneur est là” -Ez 48, 35.
Tout d’abord le partage se fait entre les douze tribus, issues de la famille de Jacob qui a eu douze fils. Quand le peuple revient d’un exil de plusieurs siècles en Égypte, le livre de Josué nous dit qu’il conquiert la terre qu’il lui sait promise. Selon les récentes découvertes archéologiques, cette installation s’est plutôt réalisée tribu par tribu, au fil de plusieurs décennies et, le plus souvent, sans combats.
Le territoire est compris d’est en ouest entre le Jourdain et la mer Méditerranée, et du sud au nord entre le désert du Néguev et les hauteurs du Liban. Trois tribus choisissent de rester outre-Jourdain, dans ce qui est actuellement le nord de la Jordanie et une partie de la Syrie. Chacun, selon la taille de son clan, prend possession des vallées et des collines, de la côte ou de la montagne centrale, faisant plus ou moins bon ménage avec les autochtones, ceux qu’on appelle à l’époque Cananéens. Mais de nombreux peuples sont cités : Girgashites, Perizzites, Hittites, Qénites, Amorites, Jébuséens, la plupart disparus.
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“Celui qui craint le Seigneur, son âme habitera le bonheur, sa lignée possèdera la terre” -Ps 25, 13. À la fin du VIe siècle av. J.-C., en prévision du retour de l’exil à Babylone, le prophète Ézéchiel dessine un cadastre rigoureux de la terre que le peuple va retrouver : “Voici le territoire que vous partagerez entre les douze tribus d’Israël… -Ez 47, 13 à 48, 35.
Ensuite, comme l’indiquent plusieurs versets du Deutéronome, il y a le partage entre frères. L’abondance de lait et de miel doit être pour tous : “Qu’il n’y ait pas de pauvre chez toi, car le Seigneur ne t’accorde sa bénédiction dans le pays qu’il te donne en héritage pour le posséder, que si tu écoutes vraiment la voix du Seigneur ton Dieu en gardant et pratiquant tous ces commandements que je te prescris aujourd’hui” -Dt 15, 4.
Car c’est Dieu qui garde la main. “Vous n’êtes pour moi que des étrangers et des hôtes, la terre m’appartient” -Lv 25, 23. Cela engendre des conséquences pratiques : ”Pour toute propriété foncière, vous laisserez un droit de propriété sur le fond” -Lv 25, 24. Les lévites, qui sont les bedeaux et les sacristains de la caste sacerdotale, n’ont pas de territoire en propre, mais les terrains sur lesquels ils vivent : “ils n’en pourront rien vendre ni échanger ; et les prémices du pays ne seront point aliénées, car elles sont consacrées au Seigneur” -Ez 48, 14.
Avec ou sans conditions ?
Le peuple est témoin d’un salut opéré en sa faveur, il sait qu’il doit son existence à Dieu seul qui a combattu pour lui, l’a tiré de l’esclavage et l’a toujours mené comme un père aimant : “Quand Israël était jeune, je l’aimai, d’Égypte j’appelai mon fils” -Os 11, 1. De nombreux commandements vont conditionner la permanence du peuple sur cette terre : des fêtes à respecter, en particulier les trois fêtes de pèlerinages, qui sont des “rendez-vous” avec le Seigneur là où il réside, sur la hauteur de Jérusalem ; des sacrifices et des prières que les prêtres, et à l’époque de Jésus les Sadducéens et les Pharisiens, vont souvent imposer trop nombreux aux juifs.
Mais il importe avant tout de se garder de toute idolâtrie et de ne vénérer que Dieu seul. “Gardez-vous de laisser séduire votre cœur, ce serait vous fourvoyer si vous serviez d’autres dieux et vous prosterniez devant eux ; alors la colère du Seigneur s’enflammerait contre vous, il fermerait les cieux, il n’y aurait plus de pluie, la terre ne donnerait plus son fruit et vous péririez bientôt en cet heureux pays que le Seigneur vous donne” -Dt 11, 16-17. “Si tu ne gardes pas pour les mettre en pratique toutes les paroles de cette loi… vous serez arrachés à la terre où tu vas entrer pour en prendre possession.” -Dt 28, 58-63.
Au contraire si le peuple montre à Dieu sa fidélité, quelle récompense n’aura-t-il pas en retour ? “Jérusalem, on ne t’appellera plus ‘délaissée’, et ta terre ne sera plus ‘désolation’. On t’appellera ‘mon plaisir est en elle’ et ta terre ‘épousée’ ; ta terre sera épousée, ton bâtisseur t’épousera” -Is 62, 4. On ne peut dire avec plus d’amour ce que Dieu désire pour son peuple, toute l’humanité qu’il chérit.
L’essentiel est donc de s’attacher à Dieu, et de vivre en frères dans une terre reçue gracieusement et partagée autant entre les différentes composantes du peuple qu’avec les habitants que ce dernier a rencontrés en y prenant place, mais pas toute la place.