Mustapha Abu Sway, doyen du collège des études islamiques à l’université Al-Qods, revient sur le sens, chez les musulmans, de la Terre Sainte. « Terre des prophètes », berceau de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, c’est un endroit chéri par les croyants du monde entier. Et cette « terre bénie » a une place bien particulière dans la tradition musulmane.
L’islam utilise-t-il l’expression « Terre Sainte » ? Quel en est l’espace géographique ?
En Islam, le concept de sainteté de cette terre existe à la fois dans le Coran et dans la sunna du Prophète, c’est-à-dire l’ensemble des traditions et des pratiques se rapportant au Prophète. Le Coran mentionne la Terre Sainte seulement une fois, lorsque le prophète Moïse invite ses disciples à entrer en Terre Sainte : « al ard al muqaddassah ». Mais le terme que le Coran utilise le plus souvent pour désigner ce lieu est celui de terre bénie. Par exemple, lorsque le prophète Abraham arrive en Terre Sainte, il est dit : « Nous l’avons délivré, lui et son neveu Loth, et les avons dirigés vers la terre que nous avons bénie pour les nations. »1
Pour ce qui est de l’espace géographique, n’associons pas ou ne confondons pas la Terre Sainte avec la géopolitique d’aujourd’hui ; la sainteté ne se tortille pas, ne change pas ses contours en fonction des murs, des barbelés ou des frontières géopolitiques… La Terre Sainte pour les musulmans, c’est Al-Sham qui, en arabe, est le nom de la Grande Syrie, c’est-à-dire plus ou moins le territoire sur lequel se trouvent aujourd’hui la Syrie, le Liban, la Jordanie et la Palestine.
Pour les musulmans, en quoi la sainteté de cette terre est différente de La Mecque ou de Médine ?
Pour les musulmans, cette terre est la « Terre des prophètes ». Presque tous les prophètes ont vécu en Terre Sainte ou ont eu une relation particulière avec elle, y compris ceux qui sont nés ailleurs. Mais Jérusalem renferme une sainteté particulière. D’ailleurs, elle est appelée dans le Coran « Bayt al-Maqdis », la maison des sanctifiés, et le prophète dit d’elle : « C’est la terre où les gens seront rassemblés et ressuscités. Allez et priez-y, car une prière dans cette terre équivaut à mille prières dans d’autres. »
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Mais la sainteté de cette terre est aussi liée à la seconde venue de Jésus-Christ. Dans la tradition islamique, il viendra de Damas jusqu’à Jérusalem et il y tuera l’Antéchrist, le Dajjal. Cette terre sera donc l’épicentre du scénario de la fin des temps.
Mais cet endroit est aussi un lieu saint pour les juifs et les chrétiens. Comment faire pour partager cette terre avec les autres religions ?
Ali Ibn Abi Talib, un cousin du Prophète, a déclaré que les gens sont de deux types, soit ils sont vos frères en religion, soit vos frères en humanité. J’aime cette pensée et cette tradition, cette idée d’une altérité douce où le juif ou le chrétien n’est pas totalement autre pour le musulman. J’aimerais qu’il y ait un paradigme de vivre ensemble comme celui-là ici, mais sans que personne n’exerce une quelconque suprématie.
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C’est ce que m’évoque Omar Ibn Al-Khattab qui, après être entré dans la ville, rencontra l’évêque de Jérusalem qui l’invita à prier dans l’église du Saint-Sépulcre. Omar déclina et s’éloigna de l’église pour prier. Il craignait que ses descendants transforment l’église en mosquée s’il priait dedans. Cet acte, je crois, a établi un modèle fort de relations interconfessionnelles, en particulier en ce qui concerne le respect de l’espace religieux de l’autre.
Pour l’islam, cette Terre Sainte apporte-t-elle la sainteté ?
Il est du devoir religieux des musulmans du monde entier de préserver la mosquée Al-Aqsa, tant physiquement que spirituellement. Mais le caractère sacré de la Terre Sainte ne signifie pas que la spiritualité ne peut être atteinte qu’ici. Dans une tradition, deux éminents compagnons du Prophète ont eu un échange de lettres au sujet de Jérusalem : Abu Darda a invité Salman Al-Farisi à venir à Bayt Al-Maqdis mais Salman a répondu en disant que la terre ne peut sanctifier personne, seules les bonnes actions peuvent apporter une véritable sainteté.
- Sourate 21 : Al-Anbiyâ’ (Les Prophètes), verset 71. ↩︎