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Ne m’appelez plus jamais sainte ?

Marie-Armelle Beaulieu
13 novembre 2024
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Vue sur la Terre Sainte ©MAB/CTS

Pas facile d’écrire « Terre Sainte » quand elle est à ce point ensanglantée, quand les croyants se la déchirent, quand la haine s’empare des cœurs. La guerre a-t-elle définitivement ringardisé l’expression ? La rédactrice en chef de Terre Sainte Magazine livre son opinion.


C’était de longue date une idée de dossier : interroger l’expression « Terre Sainte », son histoire, ses usages, sa vocation. Et voilà qu’en pleine guerre, elle se trouvait mise en accusation. En France, la charge était menée par Isabelle de Gaulmyn dans La Croix, Gaétan Supertino et Karim Kattan dans Le Monde.

Le dernier fustigeait les vœux présentés par le Président Macron « à tous les Chrétiens de Terre sainte. » « Vous nous nommez « chrétiens de Terre sainte ». C’est là un bien étrange abus de langage. Nous sommes des chrétiens palestiniens, qui participons à ce qui constitue la nation palestinienne. Cet abus de langage nous rend étrangers à notre terre et à notre pays.» 1

Écrit au lendemain de Noël 2023, cette tribune d’un natif de Bethléem, doit être lue à la lumière de la douleur incommensurable de ce que vivaient déjà Gaza et la Cisjordanie. Mais la diatribe est éculée, cela fait belle lurette que les chrétiens ne sont pas que Palestiniens, ce qui n’enlève rien à ce que le christianisme local leur doit au long de leurs 2000 années de présence continue. Ironie encore, le même argument est utilisé côté israélien : « Ce n’est pas la Terre Sainte mais la Terre d’Israël »…

En deux mots et douze signes

Isabelle de Gaulmyn dénonçait quant à elle : « Une expression commode, qui permet aux chrétiens de désigner les lieux où le Christ a vécu. Une expression aussi terriblement ambiguë : accoler le qualificatif de « sainte » à une terre est lourd de risques d’appropriation, quelle que soit la religion. » 2

Évidemment l’expression est commode. Surtout dans un magazine chrétien lu pour l’essentiel par d’anciens pèlerins. En deux mots et douze signes, les lecteurs se figurent un espace géographique dont ils connaissent les contours. Les journalistes des grands médias, pour évoquer le même espace, doivent mentionner : Israël, les Territoires palestiniens ou la Cisjordanie occupés et Jérusalem. Et tant pis pour Gaza qui n’était pas occupée mais asphyxiée par le blocus.

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Le dernier article mentionnant l’exposition « Ce que la Palestine apporte au Monde » parlait de cette section intitulée « Palestine : une Terre sainte ? Une terre habitée ! » qui entendait opposer deux visions, la première, « nostalgique et orientaliste, véhicule l’image d’une terre mythifiée, stéréotypée » et « faisant de la Palestine une Terre sainte, prisonnière d’un passé jamais révolu, promise à une quête infinie d’une gloire ancienne ». La seconde invitant à « se défaire de cette image pour prêter attention à ceux qui y habitent et essaient d’en faire un lieu de vie et de culture. »3

« Ecrire son nom m’a brulé le bout des doigts »

À croire qu’on ne peut pas vivre aujourd’hui sans concilier le message religieux hérité du passé et la vie quotidienne. À plusieurs reprises cette année parler de « Terre Sainte », écrire son nom, m’a brûlé les lèvres, le bout des doigts et le cœur. Pourtant, j’ai trouvé que ces remises en question manquaient leur cible.

On veut opposer le passé et le présent, le politique et le religieux, la sainteté et l’humanité, alors que Dieu a le projet de réunir. Lui qui a eu l’idée saugrenue de rassembler les croyants des trois révélations qui proclament son unité sur moins d’un kilomètre carré.

Isabelle de Gaulmyn allait jusqu’à dire : « Dans une terre dévastée par la guerre, il est bon de se refuser à annexer ainsi Dieu. Pour les chrétiens, appeler sainte une terre où le tombeau du Christ est désormais vide est même une sorte de non-sens. Dieu seul est saint, et il est sans doute préférable de parler de la « Terre de celui qui est saint ». »

Pardon chère Isabelle, mais le tombeau, c’est mon terrain. Et il ne m’a pas échappé qu’il est vide. Précisément, selon l’expression du père Sylvain Brison : « Nous ne sommes pas les gardiens d’un tombeau vide mais les gardiens du vide du tombeau ».

Ne pas oublier le drame des populations

La foi des chrétiens, c’est que du point GPS de la résurrection continue de jaillir une puissance de vie pour le monde. Ce vide fait de nous des témoins et il nous envoie. Si celui qui seul est Saint a sanctifié ce lopin de terre, un peu plus que le reste de la planète, il s’avère qu’il nous invite à l’imiter. Nous tous, habitants d’Israël/Palestine, sommes ensemble les dépositaires, les gardiens et les garants de cette sainteté.

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Plus que tout autre, nous devrions nous en montrer dignes et agir en conséquence. Alors oui, « avec nos pères, nous avons péché, nous avons failli et renié » – mais lui, le seul saint « se souvient de son alliance » (Ps 105, 6 et 45) et pour quelques saints parmi nous, même « s’il s’en trouvait seulement dix », il ne renoncera pas à son projet pour cette terre.

Reste que je serai plus prudente sur le contexte d’utilisation de l’expression. Elle ne doit pas servir à oublier le drame des populations.

  1. Karim Kattan, « Ne contribuez pas à notre effacement, ni à notre destruction. Dites : chrétiens palestiniens », Le Monde, 26 décembre 2023. ↩︎
  2. Isabelle de Gaulmyn , « Terre sainte : instrumentalisation », La Croix, 25 décembre 2023 ↩︎
  3. Gaétan Supertino, Aux origines de la « Terre sainte », ou la lente construction d’une Palestine « mythifiée », Le Monde, 20 décembre. ↩︎
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