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Porter une arme en Israël : droit inaliénable ou devoir citoyen ?

Antoine Cothier
5 novembre 2024
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3 Novembre 2024, Marché Ben Yehuda de Jérusalem, une soldate israélienne en congé portant son fusil en bandoulière.© Goldberg/Flash90

En Israël, le port d’armes est strictement contrôlé mais encouragé du fait de la multiplication des attaques depuis le 7 octobre. Le climat d’insécurité incite certains civils à s’armer, suivant les consignes du gouvernement, pour se protéger et réagir en cas d’attaque.


Arrivé en Terre Sainte, le pèlerin remarque, de nombreuses personnes en vêtements civils portant un pistolet automatique à la ceinture, voire un fusil d’assaut en bandoulière. Comment une jeune mère conduisant son enfant à la garderie en arrive-t-elle à porter une arme de guerre ?

En Israël, il n’existe pas de droit clair de porter une arme, contrairement aux États-Unis où ce droit est inscrit dans deuxième amendement de la Constitution. Malgré le caractère militarisé de la société israélienne, les lois sur la possession d’armes à feu dans le pays sont restrictives. En Israël, les civils peuvent obtenir principalement des armes de poing, tandis que les armes d’épaule, comme les fusils d’assaut, sont réservées aux militaires et aux professions ayant des autorisations spécifiques.

Une législation encadrée

Le gérant d’une armurerie et stand de tir privés explique : « C’est le seul pays au monde où c’est ainsi. C’est à cause de la situation politique. Si nous étions en sécurité, l’État nous reprendrait nos armes, et cela ne nous dérangerait pas. » Sa réponse sous-entend qu’à la différence des États-Unis, le port d’armes en Israël n’est pas un droit mais est autorisé par l’Etat Israélien qui exerce un contrôle strict sur leur possession et leur circulation.

Pour obtenir un permis, il faut avoir 21 ans, être citoyen israélien, et avoir accompli une partie de son service militaire – un an dans une unité de combat ou deux ans de service pour un homme, un an de service pour une femme. Des exceptions peuvent être accordées au cas par cas pour les civils vivant dans des « zones dangereuses ». Les candidats doivent également fournir un justificatif de domicile, un certificat de travail ou d’études, un casier judiciaire vierge et un certificat médical attestant de leur bonne condition physique et mentale. Ensuite, un responsable des permis du ministère de la sécurité nationale évalue l’aptitude de chaque candidat.

Civil portant une arme de poing à la ceinture ©Yonatan Sindel/Flash90

Si le candidat est approuvé, il reçoit un permis et se rend dans une armurerie privée où il suit une formation sur les règles de sécurité et le comportement à adopter avec une arme de poing. Un employé de l’armurerie compare cette formation à celle d’une auto-école : « Il y a un manuel accessible en ligne avec toutes les directives de l’État. Nous demandons aux candidats de se préparer, nous les formons selon ces normes, puis nous leur faisons passer des examens. S’ils les réussissent, nous pouvons leur vendre une arme. »

Selon la loi, un citoyen israélien ne peut posséder qu’une seule arme, déclarée à l’État en cas de vente, et ne peut détenir que 50 munitions. Ces munitions sont comptabilisées par l’État et ne peuvent être rachetées qu’après avoir été tirées dans un stand de tir contrôlé ou restituées à une armurerie. Le port illégal d’armes est passible d’une peine d’un à deux ans de prison.

« Ceux qui ont fait leur service militaire, je leur fais confiance. Il est rare que je les fasse échouer aux examens. Ce sont ceux qui ne l’ont pas fait qui m’inquiètent ».

Ce processus exige une quantité importante de paperasse. Dans l’armurerie des dizaines d’hommes de tous âges se bousculent avec des piles de documents pour les secrétaires débordées pendant que des écrans diffusent des publicités montrant des actrices dissimulant de petits pistolets dans leurs jeans. Dans une salle adjacente, un instructeur coiffé d’une casquette ornée du drapeau israélien donne un cours à un groupe de jeunes hommes, fausses armes en main. Il nous confie : « Ceux qui ont fait leur service militaire, je leur fais confiance. Il est rare que je les fasse échouer aux examens. Ce sont ceux qui ne l’ont pas fait qui m’inquiètent ».

Lire aussi >> Les effectifs de l’armée israélienne: comment ça marche?

La seconde idée évoquée par le gérant est que les Israéliens ne se sentent pas en sécurité dans leur pays. Interrogés dans les rues de la vieille ville sur leur ressenti, des citoyens israéliens affirment se sentir plus en sécurité en sachant que des civils sont armés. Leur argument est récurrent : lorsqu’une attaque terroriste survient, ce sont le plus souvent des civils qui abattent l’assaillant. Les attaques solitaires, aux couteaux ou à la voiture bélier se sont multipliées ces dernières années et connaissant une résurgence ces dernières semaines. Le 27 octobre, un camion a foncé dans une foule à Glilot, faisant un mort et trente-deux blessés. Le chauffeur a été abattu par des civils armés.

Explosion du nombre de demandes

D’après le Times of Israël, depuis les attaques du 7 octobre 2023, les demandes de permis de port d’armes ont explosé : 260 000 demandes ont été déposées au ministère de l’Intérieur, avec un traitement de 3 000 permis par jour contre 100 auparavant. Parmi ces demandes, 42 000 proviennent de femmes, dont 18 000 ont déjà été approuvées. L’armurerie rapporte que ses ventes ont été multipliées par 25. Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, encourage les civils israéliens à s’armer. En mars 2024, il se félicitait d’avoir dépassé le cap des 100 000 civils armés depuis le 7 octobre. Il reproche à la gauche israélienne, qui prône des restrictions, de s’opposer à une politique qui « sauve des vies ».

Sarah, une citoyenne américaine de Miami venue spécialement en Israël pour effectuer son service de réserve militaire après le massacre du 7 octobre, prie au Mur occidental, le lieu de prière le plus sacré du judaïsme dans la vieille ville de Jérusalem, le 30 août 2024. ©Chaim Goldberg/Flash90

Suite à l’attaque de Glilot, il a déclaré : « Ma politique d’armer les civils fait ses preuves. Policiers et civils neutralisent des terroristes. » En plus d’avoir abaissé l’âge minimum du permis à 21 ans, Ben-Gvir a distribué 10 000 armes à des groupes de « sécurité civile » dans les zones proches de Gaza, en Cisjordanie et dans les villes à forte population arabe. Toutefois, les risques encourus par l’armement de la population civile se sont révélés lors d’un attentat le 30 novembre 2023 ; Yuval Castleman, qui a tenté de neutraliser l’auteur de l’attaque, a été abattu par un soldat de réserve, Aviad Frija, le prenant pour l’assaillant.

La population israélienne de manière hobbesienne ne considère pas le port d’armes comme un droit et préfère laisser le monopole de la violence à l’État.

Concernant les armes d’épaule, telles que les fusils d’assaut, leur port est limité aux militaires en service ou aux civils qui en reçoivent l’autorisation pour des motifs spécifiques. Le port d’armes civil se limite en majorité aux armes de poing. Des exceptions existent pour d’autres catégories d’armes, mais elles sont justifiées principalement par des motifs professionnels et traitées au cas par cas. Les fermiers, guides touristiques, chasseurs, et membres d’entreprises de sécurité civile peuvent ainsi obtenir des permis de fusils d’assaut. La plupart des Israéliens portant ces armes d’épaule en civil dans la rue sont néanmoins des militaires en service ou des réservistes. Leur arme ne leur appartient pas, c’est une arme de service, fournie par l’armée.

Comme l’indique le journal The Times of Israel, dans un article comparant les législations américaines et Israéliennes sur le port d’armes, la population israélienne de manière hobbesienne ne considère pas le port d’armes comme un droit et préfère laisser le monopole de la violence à l’État. Cependant, la situation politique actuelle pousse cet État à armer temporairement sa population, profitant d’un fort sentiment d’insécurité.

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