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Rencontre

Sébastien de Courtois : « Mon obsession est de valoriser les porteurs d’espoir parmi les chrétiens orientaux »

Augustin Bernard-Roudeix
4 décembre 2024
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Écrivain, journaliste et chercheur, Sébastien de Courtois partage un dimanche sur deux sa passion pour le christianisme oriental avec les auditeurs de France Culture. Rencontre avec ce voyageur touche-à-tout qui nous partage son parcours et son regard sur des communautés fragilisées par les déchirures de la région.


« La providence a guidé mes pas sur les chemins de l’Orient et de ses communautés chrétiennes. Elle a pris la forme de signes successifs et progressifs. » Interrogé sur les chemins qui ont conduit un juriste établi à Londres, puis attaché parlementaire au Sénat à devenir l’un des spécialistes les plus reconnus du christianisme oriental, Sébastien de Courtois évoque l’aspiration à une vie guidée par l’aventure, le journalisme et l’écriture.

C’est à l’occasion d’un voyage en Turquie avec l’écrivain et historien Michel de Grèce, disparu l’été dernier, que cette vocation s’affirme avec la découverte des monastères du Tur Abdin, cette « montagne des serviteurs de Dieu », berceau de l’Orient chrétien et du monachisme syriaque.

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« J’ai cherché à mon retour de la documentation sur ce patrimoine et cette histoire, mais il n’y avait rien sur la période contemporaine. C’est ainsi que j’ai entamé un nouveau parcours universitaire. » Menées au sein de l’École pratique des hautes études, ses recherches aboutissent à la publication de son mémoire Une communauté syriaque en péril à la fin de l’Empire ottoman et à une installation en Turquie.

Le nouveau journaliste y travaille pendant huit ans pour des médias comme Le Figaro, Géo ou Le Point, avec un intérêt particulier pour les minorités de cette région. Une nouvelle étape qu’il inscrit dans la continuité de ses recherches : « Je n’aurais pas pu mener cette carrière de journaliste sans joindre l’apprentissage d’une méthode universitaire rigoureuse à l’émerveillement de la découverte. »

Entre Chypre et la Maison de la Radio

Son parcours se poursuit sur les ondes de Radio France. Sébastien de Courtois célèbre cette année les dix ans de son indispensable émission « Chrétiens d’Orient », qu’il produit un dimanche sur deux sur France-Culture, en alternance avec l’émission « Orthodoxie » animée par Alexis Chryssostalis.

Un rendez-vous radiophonique qui peut se targuer d’être le plus ancien du paysage audiovisuel français, si l’on considère sa précédente incarnation « Foi et Traditions des chrétiens orientaux », produite dès les années 1960 par son illustre prédécesseur Jean-Pierre Enkiri.

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Une originalité de la France laïque est d’inclure dans les missions du service public la diffusion d’émissions religieuses. « Un cadre unique qui stupéfie mes interlocuteurs étrangers et qu’il faut absolument préserver » pour cet homme de média, aujourd’hui attaché de coopération et d’action culturelle auprès de l’ambassade de France à Chypre.

Sébastien de Courtois retrouve la Maison de la Radio à Paris depuis Nicosie tous les deux mois pour pré-enregistrer plusieurs épisodes, avantage d’une émission qui donne la priorité au temps long et à la parole de l’invité sur l’actualité chaude : « “Chrétiens d’Orient” est une émission culturelle plus que cultuelle où s’expriment archéologues, historiens, voyageurs, théologiens et hommes de foi. J’y interviens le moins possible : une émission réussie pour moi peut s’articuler autour de seulement trois questions afin de laisser l’invité nous guider vers ses jardins orientaux. »

« La cause des chrétiens d’Orient est aujourd’hui une cause humanitaire, pour l’humanité et le respect des minorités dans une mosaïque confessionnelle. » Observateur de l’Histoire et du destin des chrétiens d’Orient depuis un quart de siècle, il peut témoigner de l’évolution du regard du grand public français sur cette question. Il se rappelle avoir été perçu comme « un extraterrestre » au début des années 2000 lorsque le sujet n’intéressait pas, quand il n’était pas assimilé aux franges les plus réactionnaires de la société française.

« Le regard a changé en bien, il s’est dépolitisé et humanisé. La cause des chrétiens d’Orient est aujourd’hui une cause humanitaire, pour l’humanité et le respect des minorités dans une mosaïque confessionnelle. » Le résultat d’une prise de conscience de la menace existentielle qui plane sur ces populations, avec une succession continue de drames.

Il évoque notamment l’exil des chrétiens d’Irak depuis 2003, avant le paroxysme des massacres de Daesh et la prise de Karakoch en 2014. Des épisodes terribles qu’il a relatés pour la presse au plus près du terrain. Sébastien de Courtois insiste aussi sur le rôle essentiel du discours des Églises, des journalistes et des universitaires face à une situation où ces minorités sont de plus en plus ciblées parce que chrétiennes, quand elles ne sont pas otages des guerres intra-musulmanes : « Ils sont les témoins d’une grande tragédie qui n’était que de l’ordre du possible au début des années 2000. Je suis moi-même surpris par cette accélération du temps et ne pensais pas qu’elle arriverait si vite. »

Une histoire et des valeurs partagées

Interrogé sur le rôle à jouer par la France auprès de ces populations menacées, l’ancien directeur de l’Institut français d’Ankara relativise l’image d’Épinal de la Protectrice des chrétiens d’Orient, « une idée un peu datée et liée à une ancienne proximité franco-ottomane ».

Il lui préfère celle d’une obligation morale de s’intéresser à leur destin au nom d’une histoire et de valeurs partagées. « N’oublions pas que les principes des droits de l’homme sont inspirés du message évangélique. Ces communautés nous ramènent aussi à ce que nous avons pu être, avec la pratique d’une foi simple, dévouée et entière. Une générosité que nous avons un peu perdue en Occident. »


Dernier ouvrage – « La marche et le sacré » –

120 pages – ISBN : 9782706726705 – 120 pages – ISBN : 9782706726705

Sébastien de Courtois est un marcheur au long cours, dont la carrière de voyageur a commencé sur les sentiers d’Anatolie et de Syrie à la fin des années 1990. Alors étudiant, il comprend que rien ne peut remplacer la marche pour découvrir d’autres cultures, dans un souci de respect et de compréhension, mais aussi pour faire une expérience spirituelle et même métaphysique. Amoureux de l’Orient, depuis la Méditerranée jusqu’à l’Asie (Chine et Thaïlande), il nous livre un récit original qui tient à la fois de la méditation « en éveil » et de la réflexion sur la rupture avec le temps quotidien pour retrouver le sens perdu du sacré. Ce livre est une sorte de manifeste qui s’adresse à ceux qui cherchent un sens à leur marche : se recentrer, s’élever et se souvenir.


Le chercheur souligne aussi la connaissance du christianisme oriental comme une spécificité française, bâtie sur un réseau unique d’universitaires, revues et bibliothèques. Un levier précieux pour mieux comprendre ces populations, complémentaire d’un soutien concret notamment en matière de santé et d’éducation : « Ce système de coopération est indispensable.

La France s’engage de plus en plus en matière hospitalière, de formations, de bourses et de soutien à l’éducation francophone. Ces actions permettent par exemple le financement d’écoles au Liban, dont il faut toujours rappeler que la majorité des bénéficiaires sont des enfants musulmans. Elles s’inscrivent dans une longue continuité politique qui n’a pas fait de l’anticléricalisme un produit d’exportation ! »

Un encouragement au savoir et à la culture plus nécessaire que jamais, notamment en Terre Sainte, où Sébastien de Courtois rappelle la place éminente de l’archéologie. Une discipline à l’impact inédit dans une région traversée par une guerre identitaire, où chacun revendique son ancienneté.

Faisant siens les mots de Benoît XVI sur les « pierres vivantes » que forment sa population chrétienne, il rappelle leur enracinement dans une continuité patrimoniale : « Les fouilles y révèlent régulièrement des églises paléochrétiennes et des inscriptions byzantines rédigées en grec. La Terre Sainte était partie prenante d’une entité impériale qui résonne avec nos propres origines. Jérusalem est à ce titre un centre du monde incontournable, avec le Saint-Sépulcre dont la visite constitue ma plus grande émotion après celle de Sainte-Sophie à Istanbul. »

Au-delà d’une histoire millénaire, se pose la question de l’avenir de communautés chrétiennes menacées de toutes parts. Pour Sébastien de Courtois, un début de réponse réside dans le besoin de renforcer les États à même d’enfin négocier la paix et d’exercer leur mission de protection : « Le fanatisme et la corruption prolifèrent sur leur effondrement général dans la région. Il n’y a pas d’autre solution, même si on peut toujours admettre les critiques sur leurs fondations post-coloniales. Les plans proposés ici ou là qui suggèrent la création de zones religieusement cohérentes ne sont pas réalistes pour ces communautés qui partagent les mêmes territoires depuis des siècles ! »

Malgré la réalité de l’émigration des populations chrétiennes, qu’il qualifie d’hémorragie à flux tendu depuis 20 ans, une « tragédie absolue » pour lui, et le conflit de très haute ampleur qui se précise, il n’admet pas d’alternative acceptable à l’optimisme : « Mon obsession est de valoriser les porteurs d’espoir parmi les chrétiens orientaux. C’est maintenant et plus que jamais que nous devons, à nos niveaux respectifs, être des porteurs de paix et de lumière. »

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