Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Aux origines de la vie monastique du désert de Jérusalem

Frère Abiel
24 janvier 2025
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Saint Georges de Qosiba Le monastère Saint-Georges dans le désert de Judée près de Jéricho a été construit au VIe siècle. Il ne fait pas partie des plus anciens mais c´est un de ceux qui est encore habité par des moines grecs-orthodoxes. © Nati Shohat/Flash90

Dès l’aurore du christianisme des hommes ivres de Dieu ont tout quitté pour suivre le Christ au désert et se laisser transformer par son feu dévorant. Qui sont ces hommes qui ont peuplé ces déserts d’Orient ? D’où vient cette vie déraisonnable choisie par ces amoureux du Dieu Un en Trois personnes ?


Durant les premiers siècles du christianisme, les martyrs ont exprimé par le don de leur sang, l’absolu de l’Évangile. Leur confiance totale aux promesses du Christ leur faisait braver même la mort. Ils pouvaient crier avec Paul : “Pour moi vivre c’est le Christ et mourir m’est un gain !” (Ph 1, 21)

Après eux, l’Esprit saint a suscité au cœur de simples fidèles un mouvement identique à celui qu’avait insufflé le Seigneur Jésus dans le cœur de ses premiers disciples de la communauté de Jérusalem : un retrait total du monde, l’abandon de toutes choses, pour courir sur les traces du Christ.

Multi-éclosion du monachisme en Orient

Aux IIIe et IVe siècle, une vie consacrée pour le Christ jaillit en Orient.
Traditionnellement celui qui cherche les origines de la vie monastique, tourne son regard vers l’Égypte, pour rencontrer saint Antoine, le père des moines. Un jour qu’il était à l’église, l’Évangile proclame la parole du Christ du jeune homme riche : “Si tu veux être parfait, va vends ce que tu as, donne-le aux pauvres, puis viens et suis-moi” (Mt 19, 21-23). Alors laissant tout, Antoine accepte de partir vivre seul au désert. Avant lui, Paul de Thèbes l’a précédé au désert de la mer Rouge en fuyant les persécutions. Après eux, l’Égypte, terre de désert, a offert à l’Église saint Pacôme, qui organisa les premiers grands monastères cénobitiques, mais aussi saint Macaire qui, dans le désert de Scété, a transmis cette vie solitaire vécue dans un corps commun.

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Simultanément, dans le monde syriaque, en Syrie et en Mésopotamie, nous découvrons les Bnei Qiama, les Fils du Pacte, ou Fils de l’Alliance, qui vivent dans la virginité, le célibat, l’ascèse et la prière continuelle. Ils sont aussi appelés les Ihidoyo, de la racine hébraïque Yahid, unique. Les écrits d’Aphraat, puis d’Éphrem, témoignent de leur ascétisme extrême et de leur vie tout orientée vers le Royaume de Dieu.

Un choix radical – Vivre à Dieu seul Et se tenir en sa présence, Tout quitter pour atteindre la paix, Choisir le silence Pour saisir la Parole, Pour être ce disciple aux aguets D’un mot, d’un ordre… © Hadas Parush/Flash90

Entre ces deux mondes, se trouve la Terre Sainte, héritière de ces deux courants monastiques, tout en laissant jaillir un courant propre. Mais, que savons-nous de ces débuts ? En Palestine, deux figures indépendantes émergent comme pionnières de la vie du désert : Hilarion, dans le désert du sud de Gaza, et Saint Chariton dans le désert de Judée, proche de la Ville sainte.

Saint Jérôme présente Hilarion (291-371), originaire de Gaza, comme un jeune disciple de saint Antoine le Grand, recevant la filiation spirituelle du père des moines d’Égypte. Rentrant dans sa patrie d’origine vers 307, il se réfugie dans le désert de Gaza pour y vivre le combat ascétique, et devient père d’un groupe de moines, parfois errants et zélés missionnaires dans cette zone encore très païenne. Il est souvent considéré comme le premier moine de Palestine, le transmetteur de la vie ascétique des déserts d’Égypte à la Terre Sainte.

Durant l’époque des persécutions, la tradition témoigne également de la présence d’ascètes vivant une vie de renoncement au bord de la mer Morte.

Toutefois, près de Jérusalem, un autre personnage, Mar Chariton (+/-275-350), est le témoin d’un autre surgissement. Après avoir subi la torture pour sa foi en Christ à Iconium en Asie Mineure, il arrive comme pèlerin à Jérusalem à la fin du IIIe siècle. Capturé par des brigands et miraculeusement, libéré, il commence sa vie de solitaire à Pharan, proche d’Anatot, la ville du prophète Jérémie. Notre confesseur fondera trois monastères typiques du désert de Judée appelés des laures. Une laure est une communauté d’ermites, réunis autour d’un Père spirituel.

Ces moines vivent en solitude durant la semaine et se retrouvent pour le dimanche dans une grotte-église, pour célébrer la Sainte Liturgie et partager un temps fraternel, dans une intense communion.
Chariton s’insère dans un environnement dont il n’est pas le précurseur. Avant lui, une longue tradition d’habitants du désert a déjà marqué cet espace sacré du désert judéen. Il semble que cet écrin monastique, blotti entre le mont des Oliviers et la mer Morte, ait une histoire propre, tout à fait unique, marquée par un climat eschatologique. Dans ce désert, la vie des ascètes chrétiens a été précédée et préparée depuis déjà bien longtemps, tout au long de l’histoire du peuple élu. Il est l’espace saint des patriarches et des prophètes, d’Élie le prophète du feu et de Jean le Précurseur, qui ont été les modèles de tous les moines de l’Orient à l’Occident.

Prémices et préparation pré-monastique du désert de Judée

De tous temps, le désert de Judée a été l’asile des prophètes, des craignant-Dieu, l’abri caché des persécutés, des hors-la-loi, des errants. En effet, cette région sillonnée de wadis sauvages, ravins profonds et étroits, creusés entre des parois rocheuses parfois verticales, a toujours été le refuge des zélés du peuple de l’Alliance. Depuis Adam, jusqu’à la révolte juive de Bar Kokhba en 135, la littérature et l’archéologie révèlent que des grottes du désert ont été leurs abris.

Nous connaissons tous les découvertes du monastère essénien de Qumran, qui montrent l’existence de communautés juives composées d’hommes pieux et craignant Dieu, zélés pour Adonaï. Dans une fièvre eschatologique, ils s’étaient séparés du Temple et de la hiérarchie officielle pour se réfugier au désert, sur les bords de la mer Morte, dans une vie de prière, scrutant jour et nuit les Écritures, dans l’attente de la venue imminente du Messie d’Israël.

Désert de Judée – Le désert de Judée offre des paysages à couper le souffle et cette beauté, en dépit de l’aridité, parle de Dieu. ©Yaniv Nadav/Flash90

Jésus-Christ lui-même demeura 40 jours et 40 nuits au désert, pour y commencer sa mission et y affronter le Tentateur. Après lui, ce désert de la Ville sainte n’a cessé d’attirer les assoiffés du Feu. Au début du IIIe siècle, nous avons le précieux témoignage de l’évêque Narcisse de Jérusalem qui choisit de fuir au désert durant de nombreuses années, dans l’Hésychia, le silence et la paix du cœur.

Durant l’époque des persécutions, la tradition témoigne également de la présence d’ascètes vivant une vie de renoncement au bord de la mer Morte, dans la région de Calamon.
À la lumière de ces témoignages, il est difficile d’imaginer que le désert de Judée ait un jour été vide de la présence de solitaires chercheurs de Dieu.

Le contexte historique de la naissance du monachisme de la Ville sainte

Mais avant tout, ce désert de Judée est le désert de la Ville sainte, son jardin secret. Telle une vigie, Jérusalem veille sur lui. Au IVe siècle la vie monastique hagiopolite (de la Ville sainte) se développe dans le rayonnement des lieux saints qui sont édifiés à Jérusalem. Alors que, pendant trois siècles, l’Église du Christ était une minorité persécutée, l’édit de Milan proclamé en 313 lui offre un nouveau commencement. Elle sort des catacombes et prend place d’une manière forte et officielle dans l’histoire de la cité et de l’Empire. La paix constantinienne permet à des milliers de chrétiens de se rendre en Terre Sainte pour vénérer les lieux saints. Cette attraction est spécialement motivée par la découverte de la vraie Croix, et la construction d’églises par Constantin et sa mère Hélène à partir de 325, suite au Concile de Nicée.

La Cité sainte appelée Aelia Capitolina depuis le IIe siècle, retrouve son nom de Jérusalem, avec sa vocation de Mère de toutes les Églises. Sous le pontificat de l’évêque Macaire Ier, qui mène le petit troupeau de l’Église-mère de Sion (313-333), les grandes basiliques de Terre Sainte jaillissent et se multiplient, stimulées par la conversion d’un grand nombre et l’arrivée massive de pèlerins. C’est lui qui consacrera aussi l’Église de la première laure de Mar Chariton. Eusèbe révèle que trois grandes églises ont été construites autour de trois grottes mystiques vénérées par les chrétiens depuis les origines : Le Nombril du monde, l’église de l’Anastasis qui garde le tombeau du Christ et le Golgotha, avec la grande basilique du Martyrios inaugurée en 335 ; la grotte de la naissance du Christ à Bethléem ; et enfin l’Éleona, la grotte des enseignements du Christ au sommet du mont des Oliviers. Ainsi se construit la Jérusalem chrétienne, qui devient capitale spirituelle de tout l’Empire romain.

L’arrivée en foule de pèlerins venant de tout le monde chrétien confère un caractère cosmopolite tout à fait unique à la ville. Beaucoup décident de demeurer à Jérusalem et dans son désert, donnant au monachisme palestinien une identité universelle. Tout au long du IVe siècle le nombre des baptêmes se multiplie en Terre Sainte parmi les païens et les juifs. La petite communauté chrétienne de Jérusalem devient petit à petit majoritaire.

Les moines gardiens des lieux saints

Les catéchèses de Cyrille de Jérusalem, et les récits des pèlerins témoignent de cette effervescence de vie et de ferveur autour de la Ville sainte durant le IVe siècle, avec l’émergence d’une liturgie proprement hagiopolite. Des monazontes (moines), des parthene (vierges), et des spoudaioi (zélés) engagés dans le culte, animent la liturgie des sanctuaires de Jérusalem dans une ferveur brûlante.

Certains de ces moines, gardiens des lieux saints, ayant soif d’un renoncement plus absolu, s’enfoncent dans les solitudes du désert, faisant le choix d’une vie ascétique tendue vers la prière continuelle et l’union totale à Dieu.

Le moine, tissé par la Parole de Dieu qu’il médite continuellement, tient le rôle de mémoire vivante des lieux bibliques, il devient le gardien de la géographie spirituelle des lieux saints. La pèlerine Égérie, qui parcourut la Terre Sainte de 384 à 387, certifie qu’elle rencontre un peu partout des moines et des ermites qui l’introduisent dans le mystère du lieu en lien avec les accomplissements bibliques. Sur le mont Nébo, les moines solitaires lui transmettent la tradition “immémoriale” reçue des anciens, et lui montrent d’un seul regard les lieux saints visibles, la faisant entrer dans le mystère contemplé.

Comme de petits Moïse contemplant la terre promise, ces moines jouaient donc le rôle de guide pour les pèlerins de Terre Sainte, les introduisant aux secrets spirituels dont les lieux saints sont porteurs. Que leur intercession soit sur nous !

Celui qui a erré dans ce Jardin aride le sait, la prière de ces moines du désert de Jérusalem reste toujours présente. Et que cette terre brûlée continue à faire germer ses Sentinelles de la Cité sainte, Veilleurs de l’aurore qui n’a pas de couchant. 🔴