Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Des légumes en théologie

Par Claire Burkel, Enseignante à l’École Cathédrale-Paris
17 janvier 2025
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Sur la terre des patriarches Des agriculteurs Palestiniens récoltent des concombres dans leurs fermes de la ville de Naplouse, en Cisjordanie. © Issam Rimawi/Flash90

Peut-on faire de la théologie avec des légumes ? Il semble que oui. Parcourons quelques textes dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament.


Les légumes de printemps apparaissent pour la première fois dans l’Ancien Testament sous forme de regrets : “Quel souvenir, le poisson que nous mangions pour rien en Égypte, les concombres, les melons, les laitues, les oignons et l’ail !” -Nb 11, 5. Voilà de quoi faire une plantureuse salade fraîche !

C’est pourtant ce qu’on appelle “une régression théologique” : le peuple hébreu qui a connu l’esclavage en Égypte, qui subissait des conditions de travail sévères et injustifiées, et des contraintes sociales encore plus dures (extermination programmée des garçons dès la naissance, ce qui revient à une épuration ethnique) vient d’être sauvé par Dieu “à main forte et à bras étendu” : “Est-il un Dieu qui soit venu se chercher une nation au milieu d’une autre, par des épreuves, des signes, des prodiges et des combats, à main forte et à bras étendu ?” proclame Dt 4, 34.

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Mais depuis sa sortie miraculeuse, que racontent les chapitres 12 à 15 du livre de l’Exode, il ne cesse de se plaindre. On dit qu’il “murmure”, ce qui ne signifie pas qu’il parle à voix basse, mais qu’il rouspète contre Moïse et surtout contre Dieu. Pire encore, il songe même à revenir en arrière pour satisfaire son ventre ! L’immédiateté de ses besoins primaires lui fait oublier la faveur particulière dont il a bénéficié.

Meilleurs quʻen égypte ?
De jeunes Palestiniens cueillent des oignons dans un champ près de Jéricho, en Cisjordanie.
© Yaniv Nadav/Flash90

Dans ses oracles, Isaïe tient pour quantités négligeables ces légumes très courants : “Elle est restée la fille de Sion comme une hutte dans une vigne, comme un abri dans un champ de concombres” -Is 1, 8. Plus tard, au VIe siècle, par une image audacieuse, le prophète Jérémie compare les idoles païennes à des épouvantails “dans un champ de concombres” -Jr 10, 5. Toutes les cucurbitacées sont largement consommées partout au Proche-Orient ; courges, melons, concombres sont sur toutes les tables, le plus souvent crus, mais parfois élaborés en savoureuses recettes cuits, farcis de multiples façons. Et l’on dispose de quantité d’herbes et condiments pour assaisonner ces légumes.

Quelques condiments vont entrer aussi en théologie…

Dans trois évangiles Jésus évoquera la moutarde pour sa petitesse. “À quoi vais-je comparer le Royaume de Dieu ? Il est semblable à un grain de moutarde qu’un homme a pris et jeté dans son jardin, il croît et devient un arbre.” -Lc 13, 18-19 ; et Matthieu : “Le Royaume des cieux est semblable à un grain de moutarde qu’un homme a pris et semé dans son champ.

C’est bien la plus petite de toutes les graines, mais quand il a poussé, c’est la plus grande des plantes potagères ; il devient même un arbre” -Mt 13, 31-32. Marc est encore plus détaillé : “Le Royaume de Dieu, c’est comme un grain de moutarde qui, lorsqu’on le sème sur la terre, est la plus petite de toutes les graines ; mais, une fois semé, il monte et devient la plus grande de toutes les plantes potagères et il lui pousse de grandes branches, de sorte que les oiseaux du ciel peuvent s’abriter sous son ombre” -Mc 4, 30-32. Cette graine était utilisée réduite en poudre et directement saupoudrée sur les plats comme condiment.

Les Israélites n’ayant plus de manne se nourrirent dès cette année des produits de la terre de Canaan.

Mais Jésus exagère ! en réalité elle n’est pas la plus petite des graines existantes, ce serait plutôt la petite graine noire de la nigelle ou le grain doré du sésame, très consommés aussi, notamment en boulangerie encore aujourd’hui pour décorer les pains. Mais, comme souvent dans ses paraboles, Jésus joue sur les contrastes et il veut aller jusqu’à la comparaison qu’offrait en son temps le prophète Ézéchiel : “Je planterai moi-même la cime du grand cèdre…elle poussera des branchages, elle produira du fruit, toutes sortes d’oiseaux habiteront sous lui” -Ez 17, 22-24.

Ainsi les auditeurs du Galiléen peuvent reconnaître l’œuvre de Dieu, puisqu’elle est annoncée par les Écritures : la Parole de Dieu se réalise vraiment grâce à la parole de Jésus. On notera qu’il faut quarante jours à la moutarde pour sortir de terre après avoir été semée. Quarante, c’est vraiment le nombre de la maturation, de la promesse d’un devenir.

À l’approche de la mort “la câpre perd son goût”, dit le livre de l’Ecclésiaste -Qo 12, 5. Mais ce passage ne nous dit pas comment ce petit bouton floral, cueilli avant d’être éclos, était consommé.

…et offrir à méditer

Lorsqu’au Calvaire Jésus est cloué sur la Croix, l’évangéliste Jean fait mention de l’hysope : “On mit autour d’une branche d’hysope une éponge imbibée de vinaigre et on l’approcha de la bouche de Jésus” -Jn 19, 29. Semblable à l’origan ou à la marjolaine, c’est une herbe au parfum assez fort bien connue (Ex 12, 21-23 ; Lv 14, 52 et Nb 19, 6), utilisée surtout pour des aspersions rituelles. Elle intervient pour purifier des impuretés (Nb 19, 18) car l’huile essentielle de cette plante très aromatique facilite la respiration en désobstruant les bronches. L’auteur du quatrième évangile associe donc, dans cet épisode de la Passion, la vertu thérapeutique, certainement déjà en usage, à l’idée religieuse de purification, comme on peut la lire dans le Ps 51, 9 : “Ôte mes taches avec l’hysope, et je serai pur.”

Le bulbeux fenouil est cité par Jésus dans une opposition au légalisme pharisien : “Malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites, qui acquittez la dîme de la menthe, du fenouil et du cumin après avoir négligé les points les plus graves de la Loi !” -Mt 23, 23 ; Lc 11, 42 a une liste plus petite : “la menthe, la rue et toute plante potagère”.

Ces végétaux sont consommés le plus souvent crus, en salade ou en complément gustatif et sont certainement des légumes et aromates quotidiens, présents dans toutes les cuisines du pays et pour lesquelles il fallait régler des taxes. Mais Jésus prévient, ils ne sont pas à mettre à égalité avec les commandements sur le vol, le meurtre, l’adultère ou l’idolâtrie. En bon observateur de la nature et des coutumes, il a toujours ce vocabulaire très concret qui s’adresse aux femmes et aux hommes de son temps.

Quant à la coriandre, dont on n’a que deux références dans le Pentateuque, elle n’est jamais utilisée que comme semence et non comme herbe aromatique. C’est aussi une graine minuscule qui sert de comparaison à la manne dont les fils d’Israël se sont nourris dans le Sinaï durant quarante ans ! “Cette manne, on eut dit de la graine de coriandre, c’était blanc et avait un goût de galette au miel” -Ex 16, 31 ; Nb 11, 7 ; une saveur doucement sucrée donc. Et le terme de manne, expliqué dans le récit, est en fait une interrogation : “man hou” se traduit littéralement par “qu’est-ce que c’est ?”

On va comprendre que les Hébreux au désert se sont nourris quotidiennement d’une question, et qu’il leur a bien fallu une génération de questionnement sur leur devenir et sur ce Dieu qui les a menés au désert avant de les faire entrer dans la Terre promise, où une tout autre nourriture leur sera offerte. Dès leur entrée, guidés par Josué, avant même la prise de Jéricho : “Ils mangèrent des produits du pays, pains sans levain et épis grillés. Il n’y eut plus de manne le lendemain où ils mangeaient du produit du pays. Les Israélites n’ayant plus de manne se nourrirent dès cette année des produits de la terre de Canaan” -Jos 5, 11. Sortis des steppes, ils se sont donc mis à l’agriculture.

Douceurs et poisons

On connaît aussi la saveur très prononcée du safran, cité parmi “les plus fins arômes avec le cinnamome, la myrrhe et l’aloès” qui embaument dans le jardin de la bien-aimée du Cantique des cantiques -Ct 4, 14. À l’opposé se trouve l’arroche, plante au goût salé, et même amer comme le pourpier maritime, qui pousse dans les désolations de la mer Morte : “Ils cueillaient l’arroche sur les buissons, faisaient leur pain avec les racines de genêt” se lamente Jb 30, 4 ; images de la détresse, des temps de famine. L’oseille sauvage est connue comme plante fourragère -Is 30, 24. L’absinthe, différente de celle dont le XIXe siècle européen fera des alcools ravageurs, est amère comme du poison. En témoigne l’Apocalypse dans la description des trompettes du Dernier Jour : “Le troisième ange sonna, alors tomba du ciel un grand astre brûlant comme une torche l’astre se nomme Absinthe” -Ap 8, 10-11 ; le sens de ce mot grec est : “sans douceur”.

Et voilà comment légumes, herbes et condiments nous invitent à des méditations théologiques. t

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