Actualité et archéologie du Moyen-Orient et du monde de la Bible

Frère Abiel, fou de Dieu et du désert

Cécile Lemoine
24 janvier 2025
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Unité des chrétiens - Un pied en Occident, l'autre en Orient. Par son amour pour les chrétiens de Terre Sainte, frère Abiel réussit la synthèse quotidienne de deux univers, dans la lignée de son ordre monastique. ©Cécile Lemoine

Bible en main et sandales aux pieds, frère Abiel a parcouru le désert de Judée de part en part, avant de se passionner pour la vie des premiers ermites chrétiens. Persuadé que seul un retour à cette source spirituelle permettra aux chrétiens de rester en Terre Sainte, ce moine du monastère de Bet Gemal œuvre à transmettre son expérience du désert. Là où tout a commencé.


Deux petits sauts souples. Frère Abiel atteint la source d’eau qui s’écoule au pied du monastère Mar Chariton, au fond d’un Wadi Qelt baigné de soleil. Deux gorgées plus tard, il s’émerveille : “Tout est parti de là.” Le moine pointe son doigt en direction de la falaise, et d’une grotte fermée par une porte bleue. “C’est ici que Chariton s’est installé à la fin du IIIe siècle, devenant le premier moine ermite de Terre Sainte.”

Tornade d’énergie, de connaissances et de spiritualité, le frère Abiel s’apprête à publier un livre sur saint Chariton, archétype des moines du désert de Jérusalem. Un sujet sur lequel il est aussi intarissable que la source à laquelle il s’abreuve en cette matinée automnale. Et qui est à l’origine de sa vocation : “Dans le désert, il y a toute l’histoire de l’Église.”

Avant frère Abiel, il y avait Albéric Prévot. Un jeune homme déjà en quête d’absolu et dont la vie est très vite traversée par le désert. En 2000 il part dans les hauts-plateaux du Hoggar algérien, sur les pas de Charles de Foucauld. “J’y ai vécu une expérience retournante avec les Touaregs. Une grosse claque. J’ai arrêté mes études d’architecture, j’ai dit bye bye à ma chérie, et je suis parti deux ans en Argentine et au Brésil pour m’occuper des enfants des rues, avec quelques échappées dans des ermitages”, raconte frère Abiel, à l’ombre d’un figuier.

De retour en France, il se sent appelé vers la Terre Sainte, cette autre terre de désert. En 2003, Bible en main et sandales aux pieds, il la traverse de la Galilée au Sinaï. “J’ai eu mon appel ici, là.” Il embrasse d’un regard le canyon qui l’entoure. “En traversant le désert seul. Je me demandais qui étaient les fous qui vivaient ici. À l’époque byzantine, plus de 10 000 moines ont peuplé le désert de Judée. Ça m’a fasciné.”
Dans la foulée, Abiel “lâche tout pour le Seigneur”, et rejoint le monastère de Bet Gemal, entre Tel Aviv et Jérusalem. Il y vit une vie monastique contemplative, ancrée dans la tradition orientale. En 2012 il est envoyé dans un monastère en France. “Ça a été mon traumatisme. En 2015 j’ai obtenu la bénédiction de mon supérieur pour faire un grand pèlerinage aux sources de la vie monastique.” Pendant deux ans, frère Abiel sillonne le Moyen-Orient : Turquie, Égypte, Éthiopie, jusqu’au Népal et l’Inde, avant de passer six mois au mont Athos. “Mes rencontres avec les moines de chaque pays, dont certains vivent encore en ermite dans le désert, m’ont bouleversé.”

“Branché à la source”

Nourri de traditions et de spiritualités chrétiennes millénaires, frère Abiel rentre à Jérusalem en 2017 avec le désir de partager son expérience et ses connaissances. “Mes voyages m’ont fait réaliser que les chrétiens de Terre Sainte sont déconnectés de leur histoire : certains n’ont jamais mis les pieds au Saint-Sépulcre, et beaucoup sont incapables de nommer un saint local”, regrette le religieux.

Lui vient alors une idée. Et s’il emmenait des chrétiens arabes dans le désert ? En 2018, il part avec une vingtaine de jeunes de Galilée en randonnée dans le Wadi Qelt. “Ils ont fait une expérience spirituelle assez dingue. Alors qu’on disait l’office de sexte dans les ruines d’un monastère, les trois-quarts se sont mis à sentir des effluves d’encens, alors que je n’en n’avais pas allumé. L’esprit des moines était toujours là… En Égypte, ces histoires sont monnaie courante !”

Après avoir perfectionné son arabe en Jordanie, Abiel vient de conclure son mémoire de master sur saint Chariton. En observant l’éveil spirituel de ces jeunes et à la faveur d’amitiés qui se tissent avec des moines des différentes Églises de Jérusalem, cet électron-libre sent les contours de sa mission en Terre Sainte se redessiner autour d’une conviction : “Il manque ici, un lieu monastique arabe. Comment les coptes tiennent-ils, alors qu’ils sont mille fois plus pauvres et persécutés que les chrétiens de Terre Sainte ? Parce qu’ils ont des racines ! Parce qu’ils ont des monastères ! Pour que les chrétiens restent en Terre Sainte, il faut qu’ils soient branchés à la source, qu’ils s’approprient cette géographie spirituelle. J’ai des jeunes qui ont voulu devenir moine, mais il n’y a pas de monastère arabe.” Frère Abiel plisse ses yeux rieurs et fourrage dans une barbe qu’il ne coupe quasi jamais : “Peut-être que je peux apporter quelque chose en ce sens.” Sa quête en faveur de l’unité des chrétiens continue. 🔴