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Livres confisqués, gérants arrêtés : perquisition à l’Educational Bookshop de Jérusalem-Est

Cécile Lemoine
10 février 2025
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La branche arabe de l'Educational Bookshop après la perquisition de la police israélienne dimanche 9 février ©DR

Dimanche 9 février, la police israélienne a saisi des dizaines de livres et arrêté deux employés de cette célèbre librairie palestinienne de Jérusalem pour “trouble à l’ordre public”. Leur avocat y voit une “violation de la liberté d’expression”.


Ils sont menottés et leurs traits sont tirés. Sur le banc des accusés, ce lundi 10 février au tribunal de Jérusalem, deux libraires renommés de Jérusalem : Mahmoud et Ahmad Mouna, de l’Educational Bookshop. Leur crime ? « Trouble à l’ordre public », selon l’accusation présentée devant le juge. Comprendre : vendre des livres.

La veille, des policiers israéliens habillés en civil ont effectué une descente dans les boutiques arabe et anglaise de cette librairie, institution de la rue Salah Eddin à Jérusalem-Est. Mandat de perquisition signé quatre jours auparavant à la main, ils affirment que les livres qui y sont vendus sont “provocateurs”.

Mahmoud et Ahmad Mouna lors de leur audition au tribunal de Jérusalem, lundi 10 février ©Capture d’écran d’une vidéo d’Oren Ziv

Sur les images des caméras de surveillance, ont les voit fouiller les étagères de la librairie anglophone, feuilleter les livres et en emporter par dizaines dans de grands sacs poubelles noirs. Les employés, Mahmoud et Ahmad Mouna sont arrêtés et placés en garde à vue jusqu’à lundi matin, date de leur audition.

Livre de coloriage

“Les policiers utilisaient Google Traduction pour traduire les titres arabes des ouvrages« , raconte Imad Mouna, directeur général de l’Educational Bookshop : “Ils en ont confisqué une centaine, dont ceux avec des drapeaux palestiniens… C’est ridicule”, s’insurge-t-il au téléphone, car en déplacement à l’étranger. Fondée en 1984, et riche d’une large collection d’ouvrages spécialisés sur le conflit israélo-palestinien, la librairie était une référence pour les chercheurs, diplomates et journalistes de passage à Jérusalem.

Capture d’écran des images de vidéosurveillance du magasin anglophone de l’Educational Bookstore lors de la perquisition du dimanche 9 février

La police a rendu tous les livres, sauf huit. Parmi eux : un livre de coloriage pour enfants intitulé “From the river to the sea” (Du fleuve à la mer, ndlr), dont la photo accompagnait un communiqué de la police israélienne lundi matin : “Les inspecteurs ont trouvé de nombreux livres contenant du matériel incitatif sur des thèmes palestiniens nationalistes (…) La police israélienne poursuivra ses efforts pour contrecarrer l’incitation et le soutien au terrorisme.”

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Lundi matin, une petite foule s’est réunie devant le tribunal de Jérusalem en soutien à Mahmoud et Ahmed Mouna, alors que la police demandait la prolongation de leur détention pour huit jours. Parmi les manifestants, essentiellement des membres de la gauche israélienne qui accusent le gouvernement de “fascisme” à travers leur haut-parleurs, mais aussi le député arabe Ayman Odeh, et l’essayiste israélo-américain Nathan Thrall.

Atteinte à la liberté d’expression

L’Educational Bookshop est une des institutions culturelles les plus importantes de Jérusalem-Est, expose l’écrivain, auteur de « Une journée dans la vie d’Abed Salama : Anatomie d’une tragédie de Jérusalem », prix Pulitzer 2023 .

Nathan Thrall devant le tribunal de Jérusalem. Sur sa pancarte : « Confisquer ce signe – Palestine (en arabe) » ©Cécile Lemoine

« L’arrestation de Mahmoud et Ahmad n’est que la continuité des actions entreprises par Israël pour écraser la vie des Palestiniens, et empêcher leur indépendance. Il faut vraiment qu’une idéologie soit faible pour être menacée par un mot, en l’occurrence, le mot “Palestine”, déterminateur commun de la plupart des livres confisqués« , poursuit cet ancien directeur du projet arabo-israélien à l’International Crisis Group.

Le tribunal de Jérusalem a finalement décidé de prolonger leur détention de 24 heures, pour une libération mardi 11 février, sous deux conditions : cinq jours d’assignation à résidence, et une interdiction de se rendre dans les librairies pendant 15 jours. Leur avocat, Nasser Odeh, a dit qu’ils allaient faire appel : “Leur détention est illégale. C’est une atteinte à la liberté d’expression qui fait partie de l’oppression politique exercée contre les habitants de Jérusalem-Est.”

Du côté de la communauté internationale, les réactions ont été à la hauteur de la réputation de la librairie chez les diplomates : une dizaine de représentants consulaires, dont un français, ont assisté à l’audition au tribunal de Jérusalem, exprimant leur “inquiétude” et appelant à la fin de ces “pressions”. Dans l’après-midi, des dizaines de personnes se sont rendues à la librairie pour y acheter des ouvrages et montrer leur soutien.

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