
Début Février, le patriarche de Jérusalem, Pierbattista Pizzaballa a reçu un groupe de pèlerins italiens venus dans le cadre du Jubilé 2025, « Pèlerins de l’espérance ». Ce fut le fil conducteur qui nourrit le dialogue entre le patriarche et les pèlerins.
Eminence, nous sommes dans une Année Sainte dédiée à l’espérance. Comment parler d’espérance dans une terre marquée par les violences et la guerre ?
En Terre Sainte, nous ne devons pas tomber dans la tentation de confondre l’espérance avec une solution politique au conflit, une solution que nous ne verrons peut-être jamais, ou seulement les générations après nous. Ce sont deux choses différentes. L’espérance n’est pas un slogan, mais une manière de voir et de vivre la vie. Quand je rencontre les gens, il est difficile de parler d’espérance dans le contexte actuel, car il faut être concret. Nous sommes les fils de l’Incarnation, notre foi doit pouvoir dire quelque chose de concret dans la vie réelle, et non d’abstrait.
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L’espérance ne peut pas être séparée de la foi, qui en est le fondement. Cela vaut aussi au niveau laïc. Un signe d’espérance, ce sont les personnes que je rencontre : il est vrai qu’il y a beaucoup de mal, pensons seulement à la violence de cette dernière année et demie, mais il y a aussi beaucoup de personnes qui continuent de donner leur vie. Il y a tant de justes pour qui cela vaut la peine de s’engager.
Il existe un autre signe d’espérance que nous ne devons pas oublier…
Lequel ?
Espérer, ici en Terre Sainte, signifie aussi garder la route ouverte pour l’avenir, avoir conscience de l’autre tel qu’il est, et non tel qu’on voudrait qu’il soit. En tant qu’Église, nous avons ‘vécu’ la guerre à l’extérieur et à l’intérieur, il y a différentes manières de voir le conflit.
Dans cette dernière guerre, nous avions des chrétiens à la fois dans l’armée et parmi la population de Gaza. Il n’a pas été simple de gérer cette diversité d’opinion. Nous avons utilisé un langage clair, honnête et sincère, mais sans fermer la porte au dialogue et aux relations.
Ériger des barrières ne sert à rien, car dans des contextes comme celui-ci, il faut dialoguer avec tout le monde. Il s’agit d’en être conscient sans pour autant renoncer.

La trêve à Gaza et au Liban semble tenir, mais comme vous l’avez répété à plusieurs reprises, une trêve n’est pas la fin du conflit. Que faut-il alors pour mettre un terme à cette guerre et apaiser les tensions en Cisjordanie ?
Nous avons besoin d’une nouvelle vision et d’un nouveau leadership. Aujourd’hui, je ne pense pas que nous soyons en mesure d’entamer des discussions sérieuses et constructives sur l’avenir. À court terme, il faut évidemment agir, mais il faut aussi travailler sur le long terme, car je ne crois pas que la fin du conflit soit proche.
Il faut aussi clarifier ce que l’on veut faire, où l’on veut aller et ce que l’on peut concrètement réaliser. Ces discussions ne peuvent avoir lieu sans de nouveaux interlocuteurs.
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Vous avez souvent souligné que, une fois la guerre terminée, il faudra un nouveau leadership politique et religieux, de nouveaux visages et un langage différent. Après environ 16 mois de guerre, pensez-vous encore que ce renouvellement soit possible ?
Sur la nécessité d’un nouveau leadership, il y a peu de discussions à avoir. Avec tout le respect dû, je ne crois pas qu’Abou Mazen et Netanyahou soient les hommes capables d’avoir une vision ouverte sur l’avenir. La politique repose aussi sur une vision et un récit religieux.
Les colons israéliens ont un récit religieux très clair. Nous avons besoin d’un leadership religieux capable d’élaborer une vision de la Terre Sainte qui soit solide, sérieuse et fondée sur les Écritures – un récit différent de celui des colons. Ce travail est essentiel pour permettre, au niveau culturel et interreligieux, d’avoir un discours différent et significatif.
Quelle est la situation au sein de la paroisse latine de la Sainte-Famille, qui accueille environ 500 réfugiés chrétiens ?
Avec la trêve, la situation à Gaza a changé. Les chrétiens respirent un peu, les bombes ne tombent plus. Ces derniers jours, les réfugiés de la paroisse ont pu sortir pour voir ce qu’il restait de leurs maisons.
Presque toutes ont été rasées au sol, les plus chanceux les ont retrouvées partiellement détruites et inhabitables, sans eau, sans électricité, sans système d’égouts. Ils sont donc tous revenus à la paroisse, où ils trouvent un toit, de la nourriture et l’école.
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Maintenant commence le temps des questions sur leur avenir et celui de la bande de Gaza. Dans les prochains mois, nous verrons plus clair. Mais tout ne dépend pas de nous. Même si nous avions les moyens de reconstruire, il faut comprendre ce qui peut être rebâti et où.
Reconstruire une maison quand il n’y a rien autour n’a pas de sens. Nous devons attendre de voir s’il y a un plan, si les frontières seront ouvertes, pour qui et à quelles conditions. C’est la phase la plus difficile : comprendre comment recommencer.

Avez-vous ressenti la proximité de l’Église universelle pendant cette guerre ?
Oui, certainement. Elle s’est manifestée de manière concrète, et nous l’avons rendu public. L’aide reçue nous a permis de faire des choses que nous n’aurions pas pu réaliser autrement, comme faire entrer de la nourriture à Gaza, non seulement pour les chrétiens, mais pour tous ceux qui étaient dans le besoin.
Quand nous avons lancé un appel pour Gaza, nous avons reçu une immense solidarité de la part des fidèles de notre diocèse et des Églises du monde entier – Afrique, Extrême-Orient. Pour nous, c’était un geste de proximité qui nous a profondément touchés.
Le 7 octobre a-t-il eu un impact sur le dialogue avec les juifs ?
C’est un fait : depuis le 7 octobre, nous n’avons plus réussi à nous rencontrer. Ce jour-là a tout changé. Nous devons maintenant reconstruire nos relations et chercher ensemble sur quelles bases les refonder.
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Face à l’avenir incertain, comment surmonter la peur au sein de la communauté chrétienne ?
Nous devons continuer à travailler, prier et dialoguer. À nos communautés, je dis toujours d’agir comme si la guerre n’existait pas. Même à Gaza, la paroisse de la Sainte Famille continue tout comme avant : liturgie, prière, école, assistance humanitaire.
Nous ne devons pas permettre à la guerre de dicter nos choix.
Dernière question : le pape François a exprimé le souhait d’une date commune pour Pâques. Qu’en pensez-vous ?
Les relations entre les Églises ici vont bien mieux qu’autrefois. Les travaux au Saint-Sépulcre, réalisés par l’Université La Sapienza de Rome en collaboration avec les trois communautés qui administrent la basilique, en sont un exemple clair.
Pour nous, la relation avec les autres Églises est une mission pastorale. Toutes les familles sont mixtes et veulent l’unification de Pâques, que nous avons déjà réalisée en partie en Jordanie et à Chypre.
Nous savons que face aux autorités civiles, nous devons parler d’une seule voix – que ce soit pour les impôts, la politique ou toute autre question.
Article traduit de l’italien et publié avec l’aimable autorisation de son auteur Daniele Rocchi envoyé spécial à Jérusalem de l’Agence catholique Sir.