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La foi derrière les barrières

Marie-Armelle Beaulieu
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Flambant neuves, de nouvelles barrières s’ajoutent aux points de contrôle qui quadrillent la Cisjordanie et paralysent son économie. ©Andrea Krogman

À la mi-janvier, le gouvernement israélien se rendit à la pression de l’administration américaine pour signer un cessez-le-feu avec Gaza. Au lendemain – littéralement – son entrée en vigueur, toute la pression militaire était reportée sur la Cisjordanie.\Nous nous sommes rendus sur place pour constater la situation et c’est la foi des chrétiens qui nous a sauté au visage.


Nous sommes le 21 janvier 2025, il est 14 h 49 à l’horodateur de ma messagerie WhatsApp. Le message du père Bashar Fawadleh, le curé de Taybeh, vient doucher le court répit de soulagement offert par le cessez-le-feu avec Gaza signé deux jours plus tôt, le 19 janvier, après 471 jours de guerre. Sur une photo, prise de nuit et volée à la vigilance des soldats israéliens, deux barrières métalliques orange barrent une route. Les mots du curé expliquent ce dont il s’agit : “Malheureusement, la situation en Cisjordanie est très mauvaise. Hier, des gens arrivés aux checkpoints à 16 h ne sont arrivés chez eux qu’à 2 h du matin. Avant-hier, des barrières ont été placées aux entrées de la ville de Taybeh. Nous voilà dans une grande prison. Priez pour nous et pour la paix.”

Le surlendemain, le père Firas Abedrabbo curé d’Aïn Arik, dans la périphérie de l’ouest de Ramallah, constate à son tour l’installation de barrières aux entrées et sorties de sa commune. Déjà quadrillée par zones depuis 15 mois, l’étau se resserre sur la Cisjordanie. Depuis le début de l’année, au moins 17 nouvelles barrières ont été installées pour bloquer les accès aux grandes routes depuis les villes palestiniennes. Cela porte à 898 leur nombre à travers les territoires palestiniens, selon un décompte de la Commission de résistance à la colonisation et au mur.

Bashar Fawadleh, le curé qui prêche la joie comme un remède à la guerre.©MAB/TSM

Une semaine plus tard, à notre arrivée vers 19 h à Taybeh, l’Ephraïm biblique, les barrières d’accès au village sont fermées dans les deux sens. Ni sortie. Ni entrée. On ne sait pas depuis quand ça ne dure ni pour combien de temps. Neuf minutes après notre arrivée, la douzaine de voitures qui nous précède est autorisée à entrer. Devant les 32 véhicules désireux de sortir la barrière restait fermée. Nous découvrirons auprès de nos interlocuteurs que le côté aléatoire des ouvertures et fermetures participent du caractère épuisant de la situation.

Soyons joyeux

En arrivant dans la cour de la paroisse, le gros nœud rouge, façon cadeau, sur le capot d’une voiture flambant neuve attise notre curiosité. Ce sera le départ de notre conversation avec le père Bashar. “C’est le gros lot de la tombola. Le ticket coûte 100 shekels (25 euros), tout l’argent qui sera collecté en plus du prix auquel nous l’avons achetée, sera pour la paroisse de Gaza.” Le prêtre coupe court à notre surprise. “Nous les arabes, nous avons des postures. Ainsi, comme le dit le proverbe : “Nous remplissons le verre de tristesse, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de place pour autre chose”. C’est donc résolument que le curé de 39 ans a décidé, avec et pour ses paroissiens, de prendre le contrepied. Depuis le début de la guerre et l’intensification des difficultés, il a organisé toutes sortes d’activités : concerts, spectacles, tombola, marché de Noël, avec deux objectifs, soutenir le moral des habitants du village et apporter du soutien à la paroisse de Gaza.

“Saint Paul nous le dit : “Soyez toujours dans la joie du Seigneur” (Ph 4, 4). Oui, poursuit-il avec force de conviction, il arrive des choses épouvantables à Gaza, oui nous sommes les témoins d’un génocide, mais il y a une corrélation entre joie et espoir. Même si nous sommes tristes, la joie finira par l’emporter.”

« Hier, des gens arrivés aux checkpoints à 16 h ne sont arrivés chez eux qu’à 2 h du matin »©Cécile Lemoine

La joie du père Bashar se transforme en passion dès lors que nous discutons de l’enfermement imposé. Passion amoureuse de sa nation, de sa terre, de ses traditions, de son enracinement chrétien mais aussi passion crève-cœur d’une situation qui n’en finit pas de se détériorer. “Nous sommes coupés de Ramallah – à 20 kilomètres – alors que nous en avons besoin pour tout. Pour les études, pour les emplois, pour les courses, pour les soins médicaux.” Pour un village de 1500 habitants, Taybeh a néanmoins réussi à développer une belle économie locale, le vignoble et sa cave, la brasserie, la maison de retraite. “Malgré tout, nous n’avons pas tout et notamment pas de banque. Mais surtout à Ramallah, nous avons des membres de nos familles et un réseau d’amis. C’est de tout cela qu’on nous coupe.”

“Depuis quelques années déjà, des villageois ont préféré déménager pour Ramallah pour ne pas vivre ces coupures régulières et l’isolement qu’elles entraînent.” Nous parlons de solutions politiques et le père Bashar insiste : “Dites bien à vos lecteurs que le conflit n’est pas religieux, nous n’avons aucun problème avec les juifs et le judaïsme, mais nous refusons de perdre notre terre.”

Le lendemain matin, les barrières de sortie de la ville sont ouvertes. Il n’y a même pas de soldat pour tenir le checkpoint. Nous suivons le GPS jusqu’à trouver la route barrée par un amoncellement de terre. Une vieille dame s’effraie de nous voir venir à elle. Quelques formules de politesse en arabe la rassurent. “Les soldats ont fermé la route il y a un an et demi déjà, à cause de la colonie.” Celle d’Ofra, à 2 km.

Vivre ici est un défi

Ce sera notre seul détour et la route vers Aïn Arik, à l’ouest de Ramallah aura finalement été assez facile ce jour-là, à cette heure-là. Le trajet, un des premiers sujets de conversation à notre arrivée avec le curé Firas Abedrabbo. “Le but est de réduire les interactions entre les Palestiniens et les colons. Dans leur esprit, cela permet de protéger les colons, mais ça nous rend surtout la vie plus difficile”, explique le prêtre qui poursuit. “Les nouvelles barrières sont fermées à l’heure à laquelle les gens se rendent au travail et à l’heure où ils le quittent.”

Hanna Fawadleh, le directeur de l’école paroissiale d’Aïn Arik surmonte dans la foi les difficultés.©MAB/TSM

Pour Hanna Fawadleh, directeur de l’école paroissiale d’Aïn Arik et originaire d’Aboud c’est le contraire. Chez nous, les barrières existent depuis cinq ans. Elles sont ouvertes tôt le matin et tard le soir, mais le village est inaccessible en journée. Ce qui lui pose un problème, ce sont les nouvelles barrières qu’il trouve sur sa route. Il devrait parcourir les 25 kilomètres qui le séparent de son lieu de travail en 30 minutes. Au lieu de quoi, c’est la loi de l’encombrement maximum. Il a le sentiment d’avoir passé les deux dernières semaines dans les embouteillages.Chaque trajet me prend maintenant d’une heure trente à deux heures. C’est pareil pour les élèves ou les professeurs qui viennent de l’extérieur.” Hanna raconte cet épisode ubuesque. “La semaine dernière, dans le taxi-service, à un checkpoint, les enfants ont souri aux soldats. Ces derniers ont pris ça pour de la moquerie. Le taxi et ses passagers ont été retenus une heure supplémentaire.” Hanna sourit et ses grands yeux bleus sont encore tout étonnés du caractère absurde de cette situation. Lui, comme tous les Palestiniens de Cisjordanie, essaie de gagner un peu de temps grâce aux groupes WhatsApp où l’on s’échange les informations sur le trafic.

Hanna ne se départit pas de son sourire. Il y a chez les Palestiniens cette politesse du désespoir qui les pousse à vous raconter les histoires les plus affligeantes avec le sourire. Son assurance aussi, il la trouve dans l’affirmation d’être le continuateur d’une histoire : “Nous, chrétiens qui vivons en Orient, nous sommes conscients que notre participation à la culture et au patrimoine de ce pays ne datent pas d’hier. Le Christ nous l’a dit : “Nous sommes le sel de la terre.” Puis il poursuit : “C’est ma terre.
Je suis d’ici. Ça ne sert à rien d’avoir peur. La peur est mauvaise conseillère. Vivre ici est un défi. Des défis, il y en a dans tous les pays, mais nous, nous ne vivons pas sur n’importe quelle terre, ici, c’est la Terre Sainte !”

Dernière mise à jour: 15/03/2025 00:44

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