
À plusieurs reprises, le pape François a évoqué son désir que la date de Pâques soit unifiée entre les chrétiens.
C'est à Jérusalem et au Saint-Sépulcre, le lieu par excellence pour célébrer la foi pascale, que la différence se voit le plus. C'est aussi le dernier endroit où les religieux désirent voir les choses changer malgré un oecuménisme actif. Alors ça coince où ?
La date de Pâques d’hier à aujourd’hui
Quand l’empereur Constantin Ier inscrit la question de la date de Pâques à l’ordre du jour du concile, cela fait déjà 170 ans qu’elle se pose. Abordée au concile de Smyrne en 155, elle revient sur la table de quatre conciles avant celui de Nicée.
Le souci réside dans le fait que les communautés suivent des méthodes de calcul différentes, entraînant des célébrations à des dates variées. Des chrétiens d’Asie Mineure célébraient Pâques le 14 Nisan, en suivant le calendrier juif et indépendamment du jour de la semaine. On les appela les quartodécimans. Les Églises d’Alexandrie et de Rome tenaient, elles, à ce que l’on célébrât le dimanche, mais tandis que l’Église d’Alexandrie utilisait un calcul basé sur le cycle lunaire juif et l’équinoxe de printemps, l’Église de Rome célébrait Pâques le dimanche suivant la pleine lune de printemps.
Finalement, le Concile de Nicée décréta que :
– La fête de Pâques devrait être célébrée partout à la même date.
– La célébration ne devait pas être liée directement à la Pâque juive (donc ne pas être fixée au 14 Nisan).
– Elle devrait toujours être célébrée un dimanche.
– Elle devrait être célébrée après l’équinoxe de printemps (fixé alors au 21 mars).
Le concile confia à l’Église d’Alexandrie – réputée pour ses compétences astronomiques – le soin de déterminer chaque année la date de Pâques, qui serait ensuite communiquée à Rome et aux autres Églises.
Au XVIe siècle le pape Grégoire prit conscience que le calendrier julien n’était pas astronomiquement précis et qu’une réforme était nécessaire. Avec le nouveau calendrier grégorien, instauré en octobre 1582, certains jours durent sauter pour corriger le décalage accumulé. Sainte Thérèse d’Avila, par exemple, est morte un 4 octobre et enterrée le lendemain, devenu le 15 octobre. Ce changement de calendrier a entraîné une séparation des dates de Pâques.
Frère Stéphane, supérieur de la fraternité franciscaine du Saint-Sépulcre, incarne l’esprit de fraternité et d’œcuménisme au cœur de la basilique. Pour lui, la basilique symbolise l’unité dans la diversité et prouve au quotidien qu’il est possible de coexister malgré les divergences. Il soutient pourtant qu’unifier la date de Pâques à Jérusalem pourrait créer plus de confusion.
Comment la fête de Pâques se déroule-t-elle au Saint-Sépulcre ?
Il faut d’abord dire que la fête de Pâques à Jérusalem n’est pas commune. Au Saint-Sépulcre, il y a en effet plusieurs formes de Pâques. La Pâque annuelle : sa date dépend du calendrier suivi par les Églises. Le calendrier julien ou le calendrier grégorien (voir encadré). Le décalage entre les deux peut entraîner un décalage entre nos célébrations d’une semaine, quatre semaines, voire cinq semaines. Le quatrième scénario est celui de cette année, nous célébrerons Pâques ensemble.
À cette célébration pascale annuelle, nous ajoutons la Pâque hebdomadaire. En effet, chaque dimanche nous faisons mémoire de la Résurrection du Christ, et ici, nous sommes en phase avec les Églises orientales. Enfin, il y a ce que nous appelons la Pâque quotidienne. Depuis la construction de la basilique, une procession quotidienne rappelle celle de la veillée pascale. Ces célébrations montrent que, malgré les différences, la Résurrection est au cœur de nos vies.
Peu à peu, les pays ont adopté le calendrier grégorien, mais de nombreuses Églises orientales, qui ne reconnaissent pas l’autorité du pape, ont conservé le calendrier julien. Cela a conduit à des divergences dans la célébration de Pâques. Malgré ces différences, les Églises vivent bien avec ce décalage.

Que pensez-vous de l’idée d’unifier la date de la Pâque annuelle en signe d’unité entre chrétiens ?
Il y a eu de nombreuses tentatives pour unifier les dates de Pâques. Personnellement je ne pense pas que ce soit une priorité. Ce qui compte, c’est la Pâque unique du Christ, peu importe le jour où elle est célébrée. Une Pâque commune serait souhaitable, mais ce n’est pas un problème majeur de la célébrer à des dates différentes.
Dans la majorité des régions du monde, la célébration de Pâques est cohérente. En Amérique, en Afrique et en Europe occidentale, il n’y a pas de conflit, car chacun suit son calendrier. Il n’y a qu’au Moyen-Orient que coexistent plusieurs traditions.
Des initiatives locales permettent déjà une certaine harmonie. Par exemple, en Égypte, certaines Églises célèbrent Noël avec les latins et Pâques avec les orientaux. Mais à Jérusalem et Bethléem, la situation est plus complexe.
Pourquoi, là où les différences sont les plus marquées, l’unification serait-elle moins nécessaire ?
L’Église de Terre Sainte est à la fois locale et universelle. Elle accueille des communautés liées à l’Occident, comme les Philippins, et à l’Orient, comme les Grecs et les Russes. Lors de la procession des Rameaux à Jérusalem, il faut s’adapter aux pèlerins occidentaux et orien-taux.
Certains pensent qu’unifier les dates à Jérusalem nécessiterait une unification mondiale, mais cela me semble utopique. Je crois qu’il faut une approche progressive et réaliste. Cela risquerait de diviser les Églises. Par exemple, est-ce que les communautés de Mgr Lefebvre accepteraient de changer la date de Pâques ? N’y aurait-il pas des catholiques, actuellement en communion avec l’Église, qui pourraient demander des dérogations ou même quitter l’Église pour conserver leur date traditionnelle ?
De plus, si une “troisième Pâque” était instaurée, est-ce que les moines du Mont Athos l’accepteraient, ou resteraient-ils fidèles à la seconde ? Toute la Russie passerait-elle à cette nouvelle date ? Ou bien verrait-on émerger des divisions au sein même de l’Orient ?
Convaincre toutes les Églises protestantes, notamment en Amérique, où il existe des centaines de dénominations, serait également un défi colossal. Même si certaines acceptaient, ce ne serait certainement pas universel. Le changement de date pourrait bien créer une division à l’échelle mondiale.
Mais un message d’union, visant à rassembler les chrétiens, ne serait-il pas séduisant ? Est-ce que la date en elle-même est si essentielle pour les Églises individuelles ?
Peut-être pas. Mais il faut aussi rappeler que la date de Pâques est liée à la tradition du calendrier lunaire et à la Pâque juive. À Jérusalem, par exemple, la semaine pascale julienne coïncide souvent avec la fête juive de Pessah. Cela replace Pâques dans un contexte historique et spirituel important.
Depuis le Concile de Nicée, il y a dix-sept siècles, cette tradition a perduré. Beaucoup d’Églises protestantes, unies dans leur diversité, célèbrent également Pâques selon le calendrier grégorien. Comment convaincre toutes ces communautés de changer ?
Une telle tentative pourrait causer davantage de confusion et de divisions. Les traditionalistes, qu’ils soient catholiques, orthodoxes ou protestants, refuseraient probablement ce changement. On risquerait alors d’importer des fractures dans chaque pays, avec des conséquences imprévisibles. En France, par exemple, si trois dates de Pâques étaient revendiquées – l’une pour les latins, une autre pour les grecs, et une troisième pour Jérusalem -, cela pourrait remettre en question les jours fériés chrétiens dans un contexte de sécularisation croissante.
Les latins participent-ils aux célébrations de Pâques des orientaux, et inversement ?
Chacun célèbre sa propre Pâque, mais il n’est pas rare de participer aux célébrations des autres traditions. Par exemple, je prends part chaque année au Feu sacré, qui est une célébration grandiose et extraordinaire. Mais cela ne signifie pas que les dates de Pâques doivent nécessairement être unifiées. Ce qui compte avant tout, c’est une communion des cœurs. Multiplier les échanges et les participations aux célébrations des autres confessions est essentiel pour l’unité, bien plus que de fixer une date unique pour tous.
Proposer une troisième Pâque commune comporte un risque majeur de division. L’équilibre actuel repose sur une volonté de communion, de respect mutuel et de vivre ensemble, comme on le voit en Égypte, en Irak, ou ailleurs. Cet équilibre est suffisant. Légiférer pour imposer une date commune serait perçu comme une contrainte excessive, et c’est là que le problème surgit.
Calendriers julien et grégorien
L’écart s’accentue
La différence entre les deux calendriers provient de la façon dont ils corrigent l’écart entre l’année civile et l’année solaire réelle (environ 365,2422 jours). Le calendrier julien introduit une année bissextile tous les 4 ans, ce qui donne une année moyenne de 365,25 jours, légèrement plus longue que l’année solaire. Le calendrier grégorien, instauré en 1582, élimine trois années bissextiles tous les 400 ans (les années séculaires ne sont bissextiles que si elles sont divisibles par 400), avec une année moyenne de 365,2425 jours, beaucoup plus proche de la réalité.
Cette différence de précision fait que le calendrier julien “prend du retard” par rapport au calendrier grégorien.
En 1582, lors de la réforme grégorienne, la différence était de 10 jours. En 1700, elle est passée à 11 jours. En 1800, à 12 jours. En 1900, à 13 jours. En 2000, il n’y a pas eu de changement, car l’année 2000 est bissextile dans les deux calendriers. En 2100, la différence sera de 14 jours, car cette année ne sera pas bissextile dans le calendrier grégorien, mais le sera dans le calendrier julien.
Nous avons quelques bonnes années devant nous !
Dernière mise à jour: 15/03/2025 18:19