
Jésuite américain, Garrett Gundlach redonne vie depuis 2023 à un espace délaissé de l’Université de Bethléem : l’Oasis.
Dans cette salle communautaire, celui qui est prêtre, mais aussi parfois psychologue et conseiller de vie, offre aux étudiants palestiniens son oreille et sa disponibilité.
Il range quelques chaises, rassemble des papiers qui traînent, salue les étudiants qui jouent sur les canapés, puis ouvre son bureau, sans manquer de retourner la pancarte accrochée à la vitre : “Ouvert, entrez”. C’est alors que le défilé commence. Un grand sourire, un petit geste de la main, une blague en arabe… Le père Garrett Gundlach prend le temps de saluer chacun des étudiants qui vient faire une pause au Waha (l’Oasis, en français). “Alors cet examen ?” ; “Ta grand-mère va mieux ?” ; “Tu en es où de ce projet ?”… Il a un mot pour chacun. Et s’il n’y a pas de mots, il a des friandises. “Ça permet de briser la glace”, sourit le jésuite de 39 ans.
Carrure de joueur de basket, sourire éclatant, lunettes cerclées de noir et catogan blond, le père Garrett est une figure de l’Université de Bethléem. À son arrivée en Palestine, en 2023, il a repris les rênes du Waha, une salle communautaire fondée dans les années 1980 et quelque peu délaissée. Son bureau est officiellement celui du “directeur des valeurs institutionnelles”. Un titre dont il a du mal à s’emparer, se voyant plutôt comme un animateur : “Ce n’est ni une cafétéria, ni une bibliothèque. C’est un tiers-lieu, un “safe-space”, un espace protégé, un lieu où une communauté peut se former”, explique le jésuite qui y a insufflé toute la créativité qui l’anime : “L’Oasis est un lieu d’expression.”

Tous les mois, un étudiant peut y exposer son art. Chacun est aussi invité à dessiner sur le grand tableau blanc où le jésuite lance des défis quotidiens. Celui du jour : “Dessine quelque chose d’origine palestinienne.” Toutes les semaines, Garrett pose une question et les étudiants peuvent partager leurs réponses sur des posts-it : “Qu’attendez-vous ?”, demandait-il par exemple en décembre. Parmi les réponses : “La fin de la guerre”, “Une autre nationalité”, “Trouver mon lieu de paix”, “Mon mariage, devenir maman, tante et grand-mère”, “De l’argent”… Et même un dessin de squelette. C’est toutes les angoisses, les interrogations et les défis de la jeunesse palestinienne que le jésuite catalyse dans son Oasis.
Disponibilité totale
“C’est une culture qui adore parler, s’exprimer. Vue la situation actuelle, si oppressante du fait de la guerre et de l’Occupation, ça leur fait du bien qu’un tel espace existe. Ils ont beaucoup de choses à l’intérieur, et envie de les exprimer”, souligne Garrett. Une mission à la croisée des chemins entre la psychologie et le travail social. Un domaine dont Garrett est diplômé. Originaire de la région des Grands Lacs, aux États-Unis, il rejoint la Compagnie de Jésus à l’âge de 23 ans et profite de son noviciat pour se former au travail social à Chicago. “J’ai vu ça comme une spécialisation qui donne des clés pour voir et interagir avec le monde”, expose le jésuite, très vite animé par la volonté de travailler avec les marginalisés : Mexicains, réfugiés africains, amérindiens… Pour communiquer, il apprend leur langue. Il en maîtrise aujourd’hui au moins cinq.
Une série de rencontres et ses études de théologie à Paris le rapprochent des jésuites arabes. Son regard se tourne vers le Moyen-Orient. Il découvre le Liban et y reste entre 2020 et 2023 pour apprendre l’arabe et finir son master. La Syrie l’attire, mais son supérieur le refroidit : “Ce n’est pas un pays pour les Américains. Tu as réfléchi à la Palestine ?” “J’ignorais complètement qu’il y avait des jésuites en Terre Sainte”, se souvient le père Garrett dans un rire. “Et c’est comme ça que je suis arrivé ici.”

En plus des cours qu’il donne à l’Université de Bethléem et de son engagement dans de multiples activités pastorales, celui que tout le monde appelle abouna Garrett s’est donné une mission : la “disponibilité totale”. “Quand je ne suis pas en classe, mon bureau est ouvert de 8 h à 16 h. Je n’y suis jamais trop occupé, pour être à l’écoute. L’idée, c’est que je suis là pour les jeunes, pour qu’ils se vident.” Et s’il a vraiment besoin de travailler, il propose aux étudiants de l’accompagner à la bibliothèque.
Comme un père
Une générosité de temps qui en fait un interlocuteur privilégié pour de nombreux étudiants et étudiantes, qu’ils soient chrétiens ou musulmans. “Une fois sur deux, ce sont des conversations en face-à-face. Beaucoup ne sont pas prêts à aller voir des psychologues, alors parler avec Garrett, ça va, sourit le prêtre. On vient me demander des conseils, me confier des interrogations, des peines, des problèmes… Parfois, on vient aussi me parler de Dieu. J’ai eu de magnifiques discussions avec des musulmanes.” “Elles n’ont pas l’occasion de parler à un homme, à un étranger, à un chrétien, je suis les trois !“ dit-il dans un de ses sourires reconnaissants. Certaines des discussions tournent à l’accompagnement spirituel y compris des musulmans. “Je ne cherche pas à convertir, il est arrivé que certains interlocuteurs musulmans en parlent. Mais je les préviens, on ne se convertit pas parce qu’on fuit sa religion, ou qu’on est en colère contre elle. Si quelqu’un demandait à recevoir le baptême parce qu’il a rencontré le Christ, je ne le refuserais pas. Mais je cherche plutôt à aider à trouver un chemin de vie pour chacun dans son milieu.“
Observateur et confident, le jésuite ne peut s’empêcher de noter la “fatigue” et la “pression généralisée” vécues par ces jeunes Palestiniens : “Si la guerre et les problèmes générés par les checkpoints font partie de leur quotidien, le moindre stress est ressenti de manière beaucoup plus forte et violente.”
Curieux, empathique, charismatique… La personnalité d’abouna Garrett fait l’unanimité chez les étudiants qui fréquentent le Waha. “Garrett est un guérisseur d’âme, s’enthousiasme Dalia Qaisi, étudiante en troisième année de commerce. Il sait écouter. C’est très facile de lui parler. On vit dans une situation difficile, et on n’a aucun endroit comme ça ailleurs.” “Peu importe votre parcours ou vos origines, tout le monde est toujours le bienvenu ici, c’est un endroit où on se sent bien. Garrett y a remis de la vie”, expose Mayar, qui étudie pour devenir sage-femme et qui a connu l’Oasis avant l’arrivée du prêtre. “Il nous encourage à faire ce qu’on aime, c’est comme un père”, abonde Ramez, qui a connu le Waha à travers les réseaux sociaux.
À l’aise avec les technologies et les codes des nouvelles générations, le jésuite a rendu son espace attractif et collaboratif. Il fidélise avec des rendez-vous hebdomadaires comme le “café gratuit du mardi”. Des idées pour le Waha, le père Garrett en a à la pelle. “On pense créer un club de méditation avec une professeur de psychologie, et… je voudrais une cuisine”, dit-il en désignant l’espace réservé aux toilettes. “Pour cuisiner ensemble des grands plats et les partager”, sourit l’ecclésiastique, qui tente aussi d’en faire un lieu pédagogique : “Je veux que les étudiants apprennent à respecter les espaces”. Grâce à de bons contacts avec la communauté de Taizé, le père Garrett a obtenu un financement de 2000 € pour aménager son Oasis : nouveaux canapés, vidéoprojecteurs… Autant d’éléments pour faciliter les échanges, stimuler la créativité et faire communauté.
La seule université catholique de Palestine
L’idée d’une université catholique à Bethléem est née lors du voyage du pape Paul VI en Terre Sainte, en 1964. Près de 10 ans plus tard, l’établissement ouvrait ses portes, sous la direction des Frères des Écoles Chrétiennes, aussi appelés Lassalliens. L’université de Bethléem, seule université catholique de Palestine, compte plus de 3 000 étudiants, dont environ un quart de chrétiens. Dans une ville minée par le chômage, l’université doit donner aux jeunes des compétences pour trouver du travail. Si la filière business souffre d’un manque de débouchés, le pôle “tourisme et hôtellerie“a la cote.
Dernière mise à jour: 15/03/2025 01:04