Mort du pape François: Israël présente des condoléances tardives et à reculons
Après quatre jours d'un silence obstiné, Israël a présenté ses condoléances officielles ce jeudi 24 avril. L'envoi d'un simple ambassadeur pour assister aux funérailles du pape François illustre la détérioration des relations entre Israël et le Vatican depuis le 7-Octobre.
Leur silence n’est pas passé inaperçu. Alors que les dirigeants du monde entier ont multiplié les messages de sympathie après la mort du pape François, les membres du gouvernement israélien sont volontairement restés muets.
Il y a bien eu un tweet, posté dès le 21 avril sur le compte du compte X du ministère des Affaires étrangères israélien : “Repose en paix, pape François. Que sa mémoire soit une bénédiction”. Mais le texte, accompagné d’une photo du pontife en prière devant le mur des Lamentations à Jérusalem, a été supprimé le jour même, sans commentaire, ni explication. Les ambassades israéliennes du monde entier ont reçu l’ordre de supprimer tout message similaire.
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Pendant quatre jours, seule une déclaration du président Isaac Herzog, qui a souligné la perte d’un “homme d’une foi profonde et d’une compassion infinie”, a fait office de message officiel, alors que celui-ci n’est doté que de pouvoirs essentiellement honorifiques. Ni le Premier ministre Benjamin Netanyahu, ni le ministre des Affaires étrangères Gideon Sa’ar, ne se sont publiquement exprimés. Le ministre de l’Intérieur, Moshe Arbel, a quant à lui appelé le cardinal Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem.
Le Pape dénonce la « cruauté » d’Israël
“Le comportement israélien est embarrassant”, soupire Hanna Bendkowski, directrice de programme au Centre de Jérusalem pour les relations judéo-chrétiennes, qui y voit une réaction à la manière dont le pape a critiqué l’attitude israélienne à Gaza : “Toutes ses références à la souffrance des Palestiniens de Gaza, qu’il s’agisse de la souffrance des enfants, ou de ses préoccupations pour les victimes innocentes du conflit, ont été vécues comme une délégitimation de l’État d’Israël. »
Depuis le 7-Octobre, François a régulièrement appelé à la fin de la guerre et à la libération des otages, recevant plusieurs fois leurs familles à Rome. Il était en contact quasi quotidien avec la petite paroisse catholique de Gaza-ville. Après plus d’un an de guerre, son vocabulaire s’est durci. Dans un livre publié en novembre 2024, il écrit : “Selon certains experts, ce qui se passe à Gaza a les caractéristiques d’un génocide.” En décembre, le souverain pontife a dénoncé à deux reprises la ”cruauté” d’Israël à Gaza.
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Des sorties qui ont crispé l’État Israélien. “Quiconque critique ou condamne Israël est considéré comme un ennemi, voilà l’état d’esprit actuel« , regrette Amnon Ramon, spécialiste des relations entre Israël et le Vatican. Chercheur à l’Institut de Jérusalem pour la recherche politique, il estime que « les relations entre les deux n’ont jamais été aussi mauvaises depuis la signature de l’Accord Fondamental de 1993, qui établit un lien diplomatique officiel. »
Une relation unique et complexe
Unique, la relation qui unit Israël au Saint-Siège est marquée par les rancœurs de l’histoire. Longtemps opposé au sionisme et à l’idée d’un Etat juif, le Vatican, inquiet du sort des lieux saints chrétiens, s’est posé dès 1947 en défenseur du statut international de Jérusalem. Les Israéliens perçoivent toujours l’Eglise catholique part le prisme de sa responsabilité dans la Shoah.
Dans les années 1970, après la publication de Nostra Ætate, la relation s’améliore. La déclaration clarifie les relations entre l’Église catholique et le judaïsme. Le Vatican reconnaît l’Etat d’Israël en 1993. Le lien diplomatique reste toutefois tendu, notamment autour de problèmes de droits de propriétés et d’exonérations fiscales des Églises en Israël.
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Dans les groupes WhatsApp internes au ministère des Affaires étrangères, des diplomates s’alarment du silence qui devient officiel, rapporte le journal israélien Haaretz : cette décision pourrait gravement nuire à l’image d’Israël, en particulier dans les pays à majorité catholique. “On ne devrait pas compter les points comme ça après un décès”, a déclaré Raphael Schutz, ancien ambassadeur d’Israël au Vatican, dans une interview au Jerusalem Post : “Il ne s’agit plus seulement d’un chef d’État, mais aussi d’un leader spirituel pour plus d’un milliard de personnes, soit près de 20 % de l’humanité. Je ne pense pas que le silence envoie le bon message.”
Isolement
Face à la bronca du corps diplomatique, le bureau du Premier ministre s’est finalement fendu d’un message : « Qu’il repose en paix”, a écrit le bureau du Premier ministre sur X, jeudi 24 avril, après avoir exprimé “ses plus sincères condoléances à l’Église catholique et à la communauté catholique du monde entier”.
Soulignant encore davantage le froid diplomatique, Israël n’enverra que Yaron Sideman, son ambassadeur au Vatican, aux funérailles de samedi. Un choix en rupture avec la tradition : ce sont habituellement des chefs d’État ou des membres de familles royales qui assistent aux obsèques papales. « Israël s’isole toujours plus du reste de la communauté internationale », déplore Amnon Ramon. À la mort du pape Jean-Paul II en 2005, le président de l’époque, Moshe Katsav, et le ministre des Affaires étrangères, Silvan Shalom, avaient tous les deux fait le déplacement.