Pendant notre entretien, son téléphone sonnera à deux reprises au moins. Une demande d’interview, une conférence à organiser… Samah repousse les appels, nous scrute d’un regard fatigué derrière ses lunettes. Les deux batailles qu’elle mène ne lui laissent pas de répit. Directrice de « Femmes au Centre », une association qui œuvre à protéger et défendre les femmes victimes de violences, elle s’occupe aussi de la communication pour le village israélo-palestinien Neve Shalom Wahat al-Salam où elle vit avec ses trois fils. Conférencière, éditorialiste, cette travailleuse sociale écrivait récemment rêver « de vivre dans un pays où (…) le seul objet de dispute avec mes voisins juifs serait de savoir à qui appartient le chien qui a fait caca sur la rue que nous partageons. D’ici là je vis à Neve Shalom Wahat al-Salam et non, je n’ai pas de chien ».
A la base de son engagement, il y a des slips. Ceux qu’à l’été de ses dix-huit ans, Samah coud dans une fabrique de sous-vêtements pour se faire quelques sous après son bac. « Le patron juif israélien n’engageait que des jeunes femmes palestiniennes, on bossait douze heures par jour. Quand je lui ai annoncé que j’entamais des études à l’Université hébraïque, il m’a dit : il y a autant de chances que tu ailles à l’université que ma grand-mère devienne danseuse de ballet », raconte-t-elle, un sourire en coin. On ne sait pas si la grand-mère est entrée à l’opéra mais Samah, elle, a obtenu un master en travail social qui lui a permis d’œuvrer efficacement pour ses idéaux. « La société m’a vite fait comprendre que je valais moins qu’un homme. Mais j’ai été encouragée par des parents qui voulaient me voir filles réussir, ce qui équivaut chez nous à faire des études », dit-elle avec fierté.
Sa conscience politique émerge lorsqu’elle prend conscience de faire partie d’un segment particulier de la population israélienne : les Palestiniens israéliens. Représentant 17,5% de la population, il s’agit des Palestiniens, réfugiés de 1948 ou non, ayant obtenu la nationalité israélienne puisqu’ils étaient restés vivre dans les frontières décidées en 1948. On les appelle souvent Arabes israéliens, mais Samah n’aime pas ce terme. « Dire ‘arabe’, c’est nier notre appartenance à cette terre, faire comme si nous venions d’ailleurs ». Trouver sa place, entre des concitoyens majoritairement juifs et une famille palestinienne réfugiée à l’étranger, n’est pas facile. « Pour mes proches vivant en Syrie ou aux Etats-Unis, le fait que je paye mes impôts et que j’aie le droit de vote dans l’Etat qui les a expulsés relève de la science-fiction ». Un défi identitaire qu’elle affronte en approfondissant ses racines et en se battant pour l’avenir. « Un de mes trois fils a dit une fois : ma mère activiste vit dans l’avenir, mon père historien vit dans le passé. Moi je veux vivre dans le présent ! », s’amuse Samah qui a épousé un historien spécialiste de la Nakba (« catastrophe » en arabe »), l’exil des Palestiniens à la création de l’Etat d’Israël en 1948.
Samah Salaime voit de nombreux concitoyens se décourager face à l’avancée de la droite nationaliste. « Je souhaite voir un Etat dans lequel tous les citoyens auraient les mêmes droits quelle que soit leur confession, mais les gens du camp de la paix ont baissé les bras », dit-elle. Elle est plus optimiste quant aux droits des femmes, son deuxième combat. « Au cours des cent dernières années, les progrès ont été constants ». Ce bilan l’encourage dans ses efforts pour les femmes palestiniennes israéliennes, davantage victimes de violences que leurs concitoyennes juives et moins bien protégées. Un chemin dans lequel elle se heurte souvent à un conservatisme religieux qui l’exaspère.
Que représente Dieu pour vous ?
Je suis convaincue qu’il y a Quelqu’un qui voit tout, et ce n’est pas Google ou Facebook, mais ma religiosité se porte très mal. A 20 ans j’étais beaucoup plus religieuse. Ma mère prétend que mon féminisme a porté atteinte à ma foi, c’est possible (sourire).
Pourquoi foi et féminisme ne font-ils pas bon ménage ?
Le fait de croire permet de se battre pour des valeurs, ce qui est très beau, mais je n’aime pas que l’être humain mâle tire ses privilèges de cette grande chose qu’est Dieu. Je suis musulmane, mais je me suis libérée du système : il est hors de question qu’on me dicte comment mener ma vie. Et si Dieu n’est pas content de moi et ne voit pas que je fais de mon mieux, c’est son problème !