Article paru daans Terre Sainte Magazine de Novembre décembre 2020
L’annonce, il y a quatre ans, de l’arrivée comme administrateur apostolique de Mgr Pierbattista Pizzaballa avait eu l’effet d’une bombe et suscité un tollé (1). La nouvelle, la veille de la fête de Notre-Dame de Palestine fin octobre, de sa nomination comme patriarche des latins de ce même diocèse de Jérusalem a été accueillie “avec joie et gratitude” par la majorité des chrétiens de Terre Sainte et pas seulement les catholiques de rite romain.
Comment ce franciscain italien, un peu froid, volontiers ascète, aussi impatient que son intelligence est fulgurante, exigeant et parfois sévère, profondément spirituel et réformateur né, est-il (presque) parvenu à faire oublier à la majorité des fidèles de son diocèse qu’il ne parle pas leur langue maternelle, l’arabe, tandis qu’il parle un hébreu que beaucoup d’Israéliens lui envient ? Comment lui-même, qui a tout fait pour éviter les deux nominations dont il a fait l’objet, rêvant de se retirer dans le silence et la prière d’un monastère, en est-il arrivé à s’adresser à ses fidèles à l’annonce de la décision romaine en les appelant : “Mes bien aimés” ? Rien n’était écrit dans le parcours de l’évêque dont la devise est : “Ma grâce te suffit”(2 Co 12, 9).
On s’attendait à un évêque arabe
Bien qu’il en ait cherché un longtemps, le pape François n’a donc pas nommé un arabe comme patriarche de Jérusalem. C’est ce point qui est le plus débattu dans le choix du franciscain.
Le territoire canonique du patriarcat de Jérusalem comprend la Jordanie, Israël, la Palestine et Chypre. L’histoire des chrétiens locaux est donc fortement marquée par le contexte géopolitique.
Le territoire canonique du patriarcat de Jérusalem comprend la Jordanie, Israël, la Palestine et Chypre. L’histoire des chrétiens locaux est donc fortement marquée par le contexte géopolitique. En 1987, dans un contexte tendu, le pape Jean-Paul II, pour la première fois depuis la réouverture du patriarcat en 1847, après une succession de patriarches italiens, nommait le premier palestinien de l’histoire Mgr Michel Sabbah. Cette haute stature de l’Église arabe allait avoir une parole forte, pour ses fidèles et devant le monde, durant toutes les années de soulèvement populaire, les intifadas de 1987-1993 et 2000-2005.
Après lui, en 2008, le Saint-Siège alla chercher l’évêque de Tunis, le Jordanien Fouad Twal, pour lui succéder. Les chrétiens du diocèse croyaient que le pli était pris. On ne reviendrait plus en arrière, encore moins dans le contexte actuel, où les Palestiniens, les gardiens de la foi sur la terre que le Christ a choisie, vont politiquement d’humiliation en humiliation.
“C’est un colon au service des sionistes !” vitupère Anwar Qumsyeh. “La décision du Vatican reflète une vision suprémaciste européenne. C’est du nationalisme religieux”, estime le journaliste palestinien Daoud Kuttab. Tandis que Johnny Mansour, un universitaire d’Haïfa en Israël, dénonce la vente par le nouveau patriarche – quand il était administrateur apostolique – de terres appartenant au diocèse.
Les erreurs de ses prédécesseurs justifient l’erreur du Vatican qui évite délibérément de nommer un arabe”, tranche l’universitaire jordanien Nasri Rabadi.
Les “erreurs de ses prédécesseurs” sont celles qui ont laissé le diocèse accumuler une dette de plus de 100 millions d’euros. Une dette sur laquelle le pape François a refusé de fermer les yeux et de l’éponger. C’est pourquoi, quand Mgr Twal atteint par la limite d’âge a remis sa démission, le Saint-Père envoya un administrateur apostolique pour comprendre comment on en était arrivé là et y remédier.
Voilà 30 ans que Pierbattista Pizzaballa, 55 ans, habite à Jérusalem.
Mais le pape François pour autant n’a pas confié la tâche à un gestionnaire étranger à la Terre Sainte. Voilà 30 ans que Pierbattista Pizzaballa, 55 ans, habite à Jérusalem. Ce professeur d’hébreu biblique, fin connaisseur de la société israélienne, accompagnateur spirituel de la communauté des chrétiens d’expression hébraïque, avant d’être nommé administrateur du diocèse, a été douze ans provincial des franciscains de la Custodie dont le territoire ecclésiastique, en plus des pays du patriarcat, compte aussi la Syrie et le Liban.
Administrateur efficace et convaincant
Trois semaines après qu’il a terminé sa charge de custode de Terre Sainte, c’est dans l’obéissance que Mgr Pizzaballa venait assumer une fonction où personne ne l’attendait et qui lui valut l’opposition d’une partie de son clergé au motif officiel qu’il n’était pas arabe. Le désir d’avoir un évêque Palestinien ou Jordanien est légitime. Mais trouver la perle rare sur un clergé diocésain d’à peine 80 prêtres eut relevé du miracle. Certains sont trop âgés, d’autres trop jeunes. Certains n’ont pas les qualités nécessaires, d’autres sont écartés pour une raison ou pour une autre.
Toujours est-il que Mgr Pizzaballa administrateur s’est montré aussi efficace qu’il a su convaincre. Non seulement il a réduit de 60 % la dette du patriarcat et mis en place une administration capable de réparer le tonneau des Danaïdes. (Les fuites d’où qu’elles viennent ont été traquées et sont maintenant sous surveillance).
Mais surtout il a sillonné le diocèse à l’écoute des curés, des fidèles, en apportant un soin particulier aux jeunes. Il faut entendre les raisons de leur désir d’émigration. Il faut comprendre combien le conflit israélo-palestinien, l’instabilité de la région sont une plaie ouverte. Il faut mesurer que plus ils sont minoritaires plus les chrétiens s’inquiètent. Il faut savoir que la montée de l’islamisme fait peur. Il faut constater encore que les divisions ancestrales entre les clans, les familles, les Églises sont autant de blessures que la chrétienté locale s’inflige à elle-même.
Lors de ses visites, interventions, homélies, méditations, discours de tous ordres, Mgr Pizzaballa a montré qu’il avait entendu le cri de cette portion du peuple de Dieu qui lui avait été confiée et compris sa soif de trouver à croire en elle et en l’avenir. Il a porté cela dans son action et dans sa prière, n’hésitant pas à faire entendre sa voix à plusieurs reprises pour dénoncer les entorses de justice et l’incapacité voire le manque de volonté de certains de faire la paix.
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Il sait qu’après le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, après – en Israël – le vote de la loi État-Nation qui “néglige de garantir constitutionnellement les droits des populations locales et des minorités (non juives ndlr)”, après l’insulte du plan Trump, la crise sanitaire du Coronavirus est venue donner un nouveau coup de poignard dans le dos de la communauté chrétienne et touche de plein fouet les institutions ecclésiales qui la soutiennent en matière éducative, sanitaire et sociale. Il sait que les chrétiens de Terre Sainte estiment être à court d’espérance.
Un homme de foi
Ce n’est pas un Italien que le pape a choisi, c’est un homme, un franciscain, un prêtre de ce diocèse à la vocation locale et universelle.
C’est un évêque lucide devant l’ampleur de la tâche qui accepte de se mettre “au service de tous, pour témoigner et apprendre la primauté de Dieu et de son temps, la patience des semailles, l’attente pleine d’espérance et en étant certain des fruits de l’Esprit”, comme il l’a écrit à ses fidèles le jour de sa nomination. Un pasteur qui au long des années a appris à aimer cette terre et ses peuples dans la variété de leurs composantes et qui affirme : “Au cours de ces quatre années, j’ai constaté que, outre les nombreux problèmes, nous avons aussi les ressources, le désir et la force d’envisager l’avenir avec confiance, capables de vivre l’ambiguïté de cette époque avec l’espérance chrétienne.”
Garder l’espérance contre toute espérance est plus que jamais un appel majeur adressé à l’Église de Terre Sainte et au premier chef à son nouveau patriarche. Pierbattista Pizzaballa, lui, aura un défi personnel à relever : perfectionner son arabe. C’est à sa portée.
(1). TSM 644, Juillet-Août 2016 pages 12 à 15.
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