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Tareq Oubrou : «  Le jeûne du ramadan est, dans son essence, une pratique anticonsumériste »

Propos recueillis par Cécile Lemoine
13 avril 2021
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Prière matinale à la mosquée Al-Aqsa de Jérusalem lors du mois de ramadan en 2016 © Sliman Khader/Flash90

Les musulmans fêtent ce mardi 13 avril le coup d’envoi du mois de ramadan. L’occasion de revenir sur la spiritualité qui accompagne cette période de jeûne et de privation avec Tareq Oubrou, théologien, essayiste et grand imam de Bordeaux.


Que signifie le mot ramadan ?

C’est le nom du neuvième mois lunaire du calendrier musulman, et le seul qui est mentionné dans le Coran. Il correspond à la période durant laquelle le Coran a été révélé au prophète Muhammad par l’archange Gabriel. C’est un moment d’expansion spirituelle, liée à la présence des anges sur Terre. Les racines étymologiques du mot « ramadan » renvoient à l’idée de chaleur forte et peuvent être associées à la notion d’endurance.

Le ramadan se caractérise par le jeûne. Ne peut-il se résumer qu’à cela ? 

Comme tous les rites, le jeûne du mois de ramadan porte plusieurs significations. C’est une imitation de Dieu lui-même, qui ne mange pas, ne boit pas, ne copule pas. C’est aussi une imitation des anges, c’est la pratique de l’esprit. Il faut établir un équilibre  besoin entre le besoin spirituel et le besoin du corps qui sont antagonistes. Plus on nourrit le corps, plus on affame l’esprit. Plus on jeûne, plus on nourrit l’esprit. C’est pour cette raison que le fidèle ne jeûne que s’il ne mortifie pas son corps. La privation de nourriture et d’eau doit permettre la libération de l’esprit par rapport à la tyrannie du plaisir et du désir. C’est une pratique anticonsumériste.

« Dans son essence, le ramadan n’est pas un mois festif mais une période de sobriété »

La rupture du jeûne n’est-elle pourtant pas associée à de grands moments de fête ? 

On mange le soir, mais à condition de ne pas rattraper ce qu’on n’a pas mangé la journée. Le mois de ramadan est le mois spirituel par excellence. Il faut différencier le jeûne sociologique du jeûne théologique. Les musulmans ont parfois tendance à plus consommer pendant le ramadan que pendant le reste de l’année. C’est paradoxal, car dans son essence, le ramadan n’est pas un mois festif mais une période de sobriété, de maîtrise de soi, de triomphe de l’esprit sur le corps. C’est une manière de cultiver cette liberté de dire « non » à l’instinct, de le brider. C’est une libération de soi-même.

Pourquoi le ramadan est-il appelé le mois de la charité ?

La privation n’est qu’apparente. On se prive pour donner. Ce qu’on n’a pas consommé, on le partage avec le pauvre le soir. Le jeûne porte en lui une très forte dimension sociale. C’est bien de dire qu’on a de la compassion à l’égard du pauvre. Mais encore faudrait-il faire l’expérience de sa privation. C’est ce que permet le jeûne. Lorsque le mois de ramadan s’achève, le fidèle doit s’acquitter de l’aumône de la rupture du jeûne, la zakât al-fitr, qui procure au pauvre de quoi manger le jour de l’Aïd.

« Le mois de ramadan est souvent une période intense durant laquelle beaucoup de musulmans renouent avec la pratique »

Célèbre-t-on le ramadan de la même manière à travers les époques et les pays ?

Le dogme ne change pas. Le culte, basé sur les cinq prières quotidiennes, le pèlerinage, le ramadan,  l’aumône, et la profession de foi, ne change pas non plus, car il est garant de la connexion avec le divin. On a besoin de ce langage symbolique qui fait entrer le croyant en communication avec le divin et unifie la communauté spirituelle de par le monde. C’est l’aspect permanent et cyclique de la religion. Par contre, depuis les débuts de l’Islam, des aménagements et des dérogations ont vu le jour pour faciliter cette pratique selon les circonstances, l’état de santé du fidèle… Une femme enceinte s’arrangera pour donner plus aux pauvres par exemple. Il y a toujours une manière de préserver la forme et le principe, mais en l’accommodant au rythme social du musulman.

Lire aussi >> Un vendredi de Ramadan au Saint-Sépulcre

Comment expliquer que certains musulmans peu pratiquants observent tout de même le ramadan ?

La notion de « pratiquant » est toujours relative. Celui qui est bon, généreux, charitable, travailleur, il est pratiquant ! On l’associe traditionnellement à l’observation des cinq prières quotidiennes, et à la foi. Quand on a la foi, on a l’essentiel. Le mois de ramadan est souvent une période intense durant laquelle beaucoup de musulmans renouent avec la pratique. C’est comme une saison de conversion. À la fin du ramadan, ils ont acquis quelque chose en plus dans leur rapport avec le divin.

Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux ©Droits réservés

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