Comment s’est arrangée cette rencontre avec le pape François?
C’est Mgr Aram 1er Kechichian, catholicos arménien de Cilicie au Liban[1], qui a demandé audience au pape. Suite à la réponse positive du Vatican, les chefs des Eglises libanaises se sont réunis le 8 juin dernier au patriarcat maronite de Bkerké, afin de préparer cette journée pour le Liban. Le pontife a fixé la date de la rencontre au 1er juillet.
Qu’avez-vous décidé lors de cette réunion du 8 juin?
Chacun s’est d’abord exprimé et nous nous sommes beaucoup écoutés. Nous n’avons pas coécrit de feuille de route, ni de texte final. Nous avons seulement mis sur la table les problèmes actuels de notre pays, et proposé des solutions pour sortir de cette crise… savoir dans quel Liban nous voulons vivre.
Savez-vous ce que le pape va vous demander?
Non, il faut attendre le 1er juillet. François est un pape plein de surprises, il se prononce là où on ne l’attend pas. Pour lui, l’Eglise est en devenir perpétuel.
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Pourquoi cette rencontre exceptionnelle?
Le pape François est très préoccupé par la situation catastrophique que traverse notre pays. Nous sommes en faillite. Aujourd’hui, un Libanais sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté: crise politique, crise économique, crise sociale, émigration massive. La présence des chrétiens au Liban est pourtant capitale. Non seulement pour notre pays, mais aussi pour tout le monde arabe. Ils sont un facteur de paix et de diversité nécessaires à l’équilibre de la région. Le Liban est le seul pays du Moyen-Orient où les chrétiens de sont pas une communauté juste tolérée sans pouvoir.
Quels sont ces problèmes?
La division et la corruption. Division, non seulement entre chrétiens et musulmans, mais entre chrétiens, où chacun défend son propre territoire sans se soucier du bien commun. C’est ce communautarisme confessionnel qui engendre la corruption, l’autre grand problème de notre pays. Une partie de la communauté a quitté le pays, mais une autre continue à lutter courageusement contre ces politiciens corrompus qui utilisent la religion pour s’approprier les richesses du pays.
«Ce confessionnalisme nous ronge.
Beaucoup de Libanais, chrétiens comme musulmans,
ne se reconnaissent plus dans ce système.»
Beaucoup de chefs religieux chrétiens craignent qu’en mettant fin à la répartition confessionnelle, ils perdent leur pouvoir face aux musulmans.
C’est un risque, mais, selon moi, un risque qu’il faut prendre pour sortir de ce bourbier. Ce confessionnalisme nous ronge. Beaucoup de Libanais, chrétiens comme musulmans, ne se reconnaissent plus dans ce système. Sortir de ces ghettos, de ces clans, c’est poser les bases d’un vivre ensemble réel, c’est penser un autre Liban.
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Vous évoquez le vivre ensemble, comment les Eglises libanaises peuvent-elles aider à le réaliser?
Nos Eglises doivent être plus unies, plus solidaires, plus synodales. Nous devons cesser de nous diviser et marcher main dans la main. C’est au prix de cette unité que nous règlerons nos problèmes en cessant d’attendre que les autres les règlent à notre place. Si la diplomatie vaticane peut nous aider auprès des instances internationales (ONU, Union Européenne), nous devons aussi œuvrer pour sortir de cette situation dramatique. L’exhortation apostolique du pape Jean Paul II en 1997, qui appelait les Libanais à travailler ensemble, est un exemple à suivre.
[1] La présence de cette Eglise au Liban s’explique par le génocide arménien de 1915, qui poussa le catholicossat à s’établir à Beyrouth. L’autre catholicos a son siège en Arménie, indépendante depuis 1991.