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Institut Chrétiens d’Orient : “Nous ne voulons pas être neutres”

Propos recueillis par Christophe Lafontaine
14 septembre 2021
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Antoine Fleyfel, directeur de l’Institut Chrétiens d’Orient. © Arnaud Meyer

Soutenu par l’Œuvre d’Orient, l’Institut Chrétiens d’Orient (ICO) à Paris fêtera son premier anniversaire en octobre 2021. Antoine Fleyfel, son directeur, explique pour Terre Sainte Magazine, en quoi l’ICO se veut un lieu d’influence engagé, contrairement au milieu universitaire en général. Défis et perspectives.


Article extrait du dossier Aux côtés des chrétiens d’Orient,
Terre Sainte Magazine Septembre-Octobre 2021

 

Pour quelles raisons est né l’Institut Chrétiens d’Orient?

Il se dit beaucoup de choses, pas toujours précises, sur les chrétiens d’Orient. Notre objectif est d’offrir une formation de qualité et de nature universitaire afin de faire comprendre de manière pertinente ce que sont les chrétiens d’Orient.

Je voulais aussi fournir aux décideurs, parlementaires, diplomates, économistes ou autres, un ensemble d’études sur les chrétiens d’Orient afin de leur permettre d’y voir clair et de prendre les meilleures décisions possibles en adéquation avec les perspectives de dialogue, de paix et de citoyenneté.

Aujourd’hui, je ne connais pas un seul institut qui ait été fondé pour se consacrer entièrement à l’étude de la question des chrétiens d’Orient. L’Œuvre d’Orient, dont je suis un membre actif depuis 11ans, nous a permis financièrement de démarrer, a apporté un soutien logistique, et mis à disposition son réseau et son savoir-faire.

Qu’offre l’Institut?

L’Institut propose des activités propres à toute faculté universitaire: cours, sessions courtes traitant d’une question d’actualité, formations à la carte pour des élus, des salariés envoyés au Proche-Orient, des volontaires d’ONG ou d’Église… Le but est d’offrir une compréhension de l’environnement dans lequel vivent les chrétiens d’Orient: islam, judaïsme, conflits, culture…

Nous organisons des colloques, des journées d’études, des conférences et des débats. De plus, notre département de recherche ouvrira ses portes en septembre avec un premier pôle dédié aux études arabes chrétiennes.

Sur le plan éditorial l’Institut comptera trois collections. Une collection bilingue de sources arabes chrétiennes, les “Cahiers de l’ICO” qui publieront les actes des colloques par exemple, et enfin une autre collection “Pensée religieuse et philosophique arabe” que j’ai fondée il y a plus de 10ans à L’Harmattan et qui sera officiellement rattachée à l’Institut.

Parallèlement nous avons des projets de partenariat avec des universités privées en France et à l’étranger. Nous sommes en passe d’officialiser notre partenariat avec l’université Saint-Joseph de Beyrouth. Enfin, l’Institut est doté d’un conseil scientifique dont la tâche principale l’an prochain sera de créer un parcours diplômant.

À court terme et long terme, quels sont les enjeux de l’ICO?

Le premier enjeu est de nous développer. Non pas multiplier les cours, les professeurs et les spécialistes, mais avoir de plus en plus d’étudiants et nous faire connaître.

Le deuxième enjeu vise à créer un mouvement. Aujourd’hui, il y a de très nombreux spécialistes sur les chrétiens d’Orient qui malheureusement ne se connaissent pas tous et ne travaillent pas ensemble. L’ICO qui se conçoit comme une plate-forme veut leur permettre d’échanger et de se rencontrer.

Troisièmement l’Institut veut devenir une référence. Et aussi un lieu d’influence. Nous ne voulons pas être neutres. Cela rejoint votre première question. Cette non-neutralité fait la spécificité de l’ICO, car en général un enseignement universitaire se doit d’être réservé en matière d’engagements. À l’Institut, nous voulons expliquer comment comprendre les choses et dire “voilà ce qu’il faut faire”.

Quelle est votre approche?

Tout en honorant les dimensions religieuses, celles de la théologie, de la liturgie, de la patrologie, de l’art sacré, des icônes et de la tradition, l’Institut se consacre à la géopolitique, à l’histoire, à la philosophie, aux sciences humaines, au patrimoine. Plus nous étudions les chrétiens d’Orient à partir de disciplines différentes, mieux nous comprenons le phénomène “chrétiens d’Orient” qui est multiple et qui concerne des communautés fort différentes. Ce que beaucoup de gens ne comprennent pas, c’est qu’il s’agit d’abord d’une réalité géopolitique.

Pouvez-vous alors préciser dans quel sens vous employez l’expression “chrétiens d’Orient”?

Je parle des chrétiens post-empire ottoman. Ce sont les chrétiens qui vivent grosso-modo dans l’aire géographique qui jadis était celle de l’empire qui leur a donné le statut de millet. Aujourd’hui, la Syrie, le Liban, Israël, la Palestine, la Jordanie, l’Égypte, l’Irak et la Turquie. Ce sens premier est lié à la question d’Orient au XIXesiècle qui concernait le démantèlement de l’empire ottoman et l’intervention des puissances pour ce faire. L’empire ottoman a disparu mais les chrétiens sont restés et se sont fondus dans les différents pays.

Quels sont les points particuliers de leur présence en Orient?

Les chrétiens d’Orient vivent presque tous avec un islam majoritaire. Ils vivent aussi tous avec une logique post-ottomane de droits particuliers accordés par l’empire aux communautés chrétiennes et qui persistent encore. Cela concerne notamment le mariage, l’héritage ou, le cas échéant, des sièges réservés au parlement.

Les chrétiens d’Orient ont également tous un rapport avec la culture, l’histoire, la mentalité, la logique et la langue arabes et ils sont tous affectés d’une manière ou d’une autre par le conflit israélo-palestinien. Autre élément commun, ils sont pour la plupart confrontés aux extrémismes – principalement islamiste – qui existent en Orient, et qui compromettent leur présence.

Sans oublier le caractère extrêmement pluriel de leur présence

Quand on pense aux chrétiens d’Orient nous sommes de fait face à des catholiques, à des orthodoxes, à des orthodoxes orientaux qu’on appelait autrefois “monophysites”, à l’Église de l’Orient (ceux qu’on appelait les nestoriens), aux protestants aussi. Tout cela découle de guerres, de schismes, de haine, de politiques. Les chrétiens se sont ainsi divisés et l’islam a pris le dessus en Orient. Leur diversité est aussi politique, anthropologique et culturelle. Les sociétés chrétiennes, quelles que soient leurs identités religieuses, se sont forgées des identités propres liées aux pays ou régions d’un même pays où elles vivent. Être chrétien au Liban, ce n’est pas être chrétien en Égypte, en Syrie, en Israël, ou en Irak. Être chrétien à Bagdad est différent d’être chrétien à Erbil. De même, à Gaza, Jérusalem ou Ramallah.

Est-ce pour tout ce que vous venez de dire que l’ICO propose un enseignement sur l’islam?

Tout à fait. Pour preuve, le premier cours que nous avons donné s’intitulait “Islam et christianisme”. On ne peut parler des chrétiens d’Orient sans parler de l’islam parce qu’ils vivent avec l’islam depuis que l’islam existe. Ils connaissent l’islam de diverses manières, à travers différentes périodes historiques et logiquement, leur avenir est avec l’islam. Certes, il y a la particularité d’Israël mais d’un point de vue large, le partenaire de vie c’est surtout le concitoyen musulman. Les chrétiens d’Orient ne sont pas des îlots isolés dans leurs pays. Leur présence n’est pas là pour marquer un point pour la chrétienté mais pour être au service de tous les citoyens à travers leurs établissements sociaux et éducatifs par exemple.

Quelle est justement la vision qu’a l’ICO de l’islam en France et en Orient?

Dans les deux cas, la vision qui existe est celle de la rencontre et de la sincérité pour regarder ensemble l’avenir. Il s’agit de se connaître, de débattre et de se mettre d’accord sur les éléments fondamentaux à partir desquels on doit envisager cet avenir. Sur ce plan, pour nous, cela englobe la dimension citoyenne et toutes les questions connexes, celle des droits de l’Homme, de la démocratie, de la liberté de conscience, de l’égalité de tous. Ce sont des principes inaliénables pour nous et je crois que les musulmans qui nous rejoignent sur ces principes sont nombreux. Sans doute cela fait partie des perspectives à développer au sein de l’Institut. Nous n’en avons pas encore eu le temps. Nous fêtons seulement notre premier anniversaire.


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