C’est un document « d’une grande importance pour l’avenir des chrétiens au Moyen-Orient », estime Michel Sabbah, patriarche émérite latin de Jérusalem. Louis Raphaël Sako, le cardinal patriarche chaldéen de Bagdad, le décrit comme « le début d’un dialogue pour le renouveau des Eglises au Moyen-Orient » et invite les dirigeants de toutes les Eglises du Moyen-Orient à participer à ce dialogue.
De fait, les auteurs espèrent que ce texte de fond, intitulé « Chrétiens au Moyen-Orient : pour un renouveau des choix théologiques, sociaux et politiques », pourra être signé par toute personne s’identifiant à son contenu, souhaitant qu’il serve de « point de départ à un dialogue réfléchi et ouvert sur l’existence et la présence des chrétiens au Moyen-Orient ». Change.org, la plateforme pour sensibiliser sur des causes, en est le support.
Le document a été officiellement présenté le 28 septembre à Antelias, au Liban et retransmis en direct sur plusieurs chaînes de télévision et de radio ainsi que sur les réseaux sociaux. Cette contribution est le fruit de plus d’un an de travail de l’équipe « Nakhtar al Hayat » – en français « Nous choisissons la vie en abondance » -, une référence à un verset du Deutéronome. Ce groupe réunit 11 femmes et hommes, orthodoxes, catholiques, protestants, ministres ordonnés ou laïcs, qui sont experts en sciences humaines, politiques et théologiques, originaires d’Allemagne, de Jordanie, du Liban, de Palestine et de Suisse.
L’agence Fides a relevé que cette initiative œcuménique était « sans équivalent dans l’histoire récente de la réflexion théologique et pastorale sur le présent et l’avenir des chrétiens au Moyen-Orient ». Le parallèle s’impose forcément avec l’exhortation apostolique issue du Synode spécial de l’Eglise catholique pour le Moyen-Orient qui s’est déroulé au Vatican du 10 au 26 octobre 2010.
Un document très dense pour changer les mentalités
Le document de « Nakhtar al Hayat » repose sur une approche critique du passé et du présent des chrétiens, en particulier depuis le début des Printemps arabes. « Les réalités sociales, politiques et théologiques du Moyen-Orient d’aujourd’hui, avec tous les défis qu’elles posent, placent face aux chrétiens des choix cruciaux qui exigent un changement profond de mentalité », énoncent sans ambages les auteurs.
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Le texte de 50 pages, avec pléthore de références historiques est divisé en trois chapitres et compte pas moins de 100 points de réflexion. La première partie du document est dédiée au contexte – historique et actuel – géopolitique, théologique et ecclésiastique dans lequel vivent les chrétiens au Moyen-Orient. La deuxième partie traite des défis actuels et futurs. La troisième est consacrée à des recommandations politiques à adopter pour préparer les prochaines décennies. « Notre objectif est de poser des bases pour discerner ce que Dieu veut pour son Eglise dans cette région et pour écouter ce que l’Esprit dit aux Eglises « ici et maintenant » », écrivent les auteurs.
Combattre la logique de la majorité et de la minorité
Face aux nombreuses vicissitudes de la région, « les chrétiens sont confrontés à toutes sortes de fragmentations, au déclin démographique à l’effacement progressif de [leur] présence et de [leur] témoignage », écrivent les signataires du document. Face à cela, certains ont adopté une « approche réductionniste basée exclusivement sur la logique de la majorité et de la minorité », expliquent-ils. Ce qui leur a valu de rechercher la protection de régimes autoritaires. « Certains de ces partis ont toutefois donné naissance à des régimes politiques dictatoriaux et répressifs, au détriment de la liberté, de la démocratie et de la justice sociale », dénoncent les auteurs. Ce qui fait que d’autres cherchent aujourd’hui à se protéger par le biais d’une « alliance des minorités ».
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Mais à long terme, alertent les auteurs, « cette option, (…), dénature un véritable témoignage chrétien » qui ne doit pas se fonder « sur l’utilisation de la religion comme instrument politique, ni sur la revendication de droits ou de privilèges spécifiques pour maintenir une identité rigide ».En clair, le christianisme n’est pas un mouvement politique. Et on l’a compris, d’après l’équipe « Nakhtar al Hayat » ces deux attitudes mettent en péril l’avenir de la présence chrétienne dans la région et empêchent la mission de l’Eglise de s’exercer dans cette partie du monde à rebours de ce que les auteurs souhaitent : une citoyenneté active pour renforcer notamment les fondements de la dignité humaine et de la justice sociale.
Conversion, œcuménisme et synodalité
Dans le document, les auteurs appellent aussi les Eglises à ce qui pourrait se nommer une véritable conversion. Certaines institutions ecclésiales tombent dans ce que les auteurs appellent « le double langage ». Et de citer des institutions ecclésiales qui, « afin d’obtenir l’aide de certains groupes chrétiens américains et européens, adoptent des idées qui militent contre la coexistence, exagèrent la souffrance des chrétiens et promeuvent la théorie de la persécution systématique par les musulmans ». Dans le même temps, ils tiennent un discours différent devant les musulmans, les félicitant de « protéger » les chrétiens et appelant à la communauté et à la coexistence.
Par ailleurs, les auteurs n’hésitent pas fustiger la corruption de certaines institutions ecclésiastiques, notamment dans les secteurs de la santé et de l’éducation. « Ce qui conduit inévitablement au déclin de leur rôle dans la diffusion de l’esprit de l’Evangile et des valeurs chrétiennes », déplorent-ils.
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Parmi les autres points d’importance, le document rappelle la diversité et la richesse de la présence chrétienne dans les pays du Moyen-Orient, la nécessité de raviver une coopération œcuménique et l’importance de l’éducation théologique et spirituelle. Pour ce faire, ils poussent les Eglises à collaborer pour formuler une théologie spécifique pour la région et à adapter leur discours théologique au contexte pour notamment mieux le faire comprendre aux jeunes.
A la signature de leur pétition sur change.org, les auteurs invitent ainsi « à raviver l’esprit de synodalité, à rejeter l’esprit de dissension et de compétition » entre et à l’intérieur des communautés chrétiennes. De fait, « la structure de la plupart des Eglises historiques du Moyen-Orient est fortement influencée par le principe de synodalité », rappellent les auteurs. « Les caractéristiques traditionnelles de la vie ecclésiale des paroisses fondées sur ce principe doivent être restaurées », insistent-ils pour apporter des réformes dans la gestion des ressources ecclésiastiques et humaines dans l’Eglise. Selon eux, il n’y a pas de principe de synodalité si « le peuple de Dieu – en particulier les femmes et les jeunes – est marginalisé dans les décisions importantes ». Les Eglises doivent le prendre en compte au risque de provoquer l’indifférence et même l’athéisme dont elles n’ont pas encore pris toute la mesure.
Ouvrir une nouvelle page dans les relations avec les musulmans et les juifs
Parmi les très nombreux points apportés, le document estime que « les Eglises du Moyen-Orient doivent affronter les problèmes de la région et de ses populations sur la base d’une théologie contextuelle, tant au niveau national que régional, en cessant de ressasser le passé, d’importer des stéréotypes ou de stagner dans les émotions et l’exagération métaphysique ». C’est sous ce prisme que les auteurs n’éludent pas la question des relations avec les juifs et les musulmans. « Les chrétiens sont invités à développer une approche théologique et intellectuelle qui nous permette d’ouvrir une nouvelle page dans les relations avec les juifs », signent-ils.
Les chrétiens sont alors invités « à les engager dans un dialogue sérieux basé sur les valeurs de la justice, de la paix, de la dignité de la création et de l’humanité, en prenant le contre-pied du dialogue poursuivi par certains chrétiens occidentaux qui ont un parti pris pour le sionisme, que ce soit à cause du complexe de l’holocauste juif, ou par sentiment de culpabilité découlant de siècles d’antisémitisme, ou encore… même pour plaire au lobby sioniste ». D’après eux, « un tel dialogue pousserait à la justice pour le peuple palestinien, en demandant des comptes sur la politique d’occupation et de colonisation envahissante, en cherchant à établir une paix véritable, et en réfutant le concept d’Etat religieux, qui empêche l’essor de l’Etat civil ».
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Quant au dialogue avec les musulmans, les auteurs soulignent que les chrétiens vivent dans des sociétés « imprégnées d’islam » et dans lesquelles « l’islam est devenu un facteur essentiel ».Pour autant, « il faut abandonner la langue de bois, la courtoisie dissimulée et l’attitude élitiste ».Et ce, « pour jeter les bases conceptuelles et pragmatiques du rôle que doivent assumer les deux religions dans la sauvegarde de la liberté de conscience et la construction de la paix locale, régionale et mondiale ».