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Israël interdit un événement culturel à la Maison d’Abraham

Christophe Lafontaine
27 octobre 2021
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Des élèves d'une école de Silwan ont assité à une représentation de théâtre mardi 26 octobre, à la maison d'Abraham, en compagnie du Consul Général de France, René Troccaz ©Compte twitter de René Troccaz

Le ministre israélien de la Sécurité publique a fait annuler trois jours de spectacles à la Maison d’Abraham. Au motif que le festival serait directement financé par l'Autorité palestinienne. Consternation et contestation.


« C’est un grand choc pour nous». Bernard Thibaud a réagi à la décision israélienne d’annuler un événement culturel à la Maison d’Abraham, située dans le quartier de Ras El-Amud à Jérusalem-Est, en face de la vieille ville. Pourtant, la manifestation ne visait qu’à la détente et la joie pour les enfants et les familles des quartiers voisins de Ras el-Amud et Silwan, dixit le nouveau directeur de la Maison d’Abraham.

Le ministre israélien de la Sécurité publique, Omer Bar-Lev, a en effet signé hier mardi une ordonnance interdisant le festival qui devait se tenir trois jours du 26 au 28 octobre. Il a été reproché aux organisateurs de profiter d’un financement émanant directement de l’Autorité palestinienne. Or, le ministère israélien met en avant une loi issue des accords d’Oslo qui interdit toute activité de l’Autorité palestinienne à Jérusalem qui pourrait relever d’une forme de propagande politique.

Pour le journal Haaretz qui dès hier a relaté l’événement, la décision qui vient d’être prise « semble marquer la continuité des prédécesseurs de Bar-Lev, Amir Ohana et Gilad Erdan, qui ont empêché presque tous les événements culturels palestiniens à Jérusalem-Est d’avoir lieu sous le même prétexte ». On se souvient qu’une opération policière avait eu lieu en mars 2019 contre l’Institut français Chateaubriand à Jérusalem pour les mêmes raisons.

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Si le festival culturel accueilli à la Maison d’Abraham a été organisé en coopération avec trois institutions culturelles palestiniennes, à savoir le théâtre national palestinien El Hakawati, le conservatoire national palestinien Edward Saïd et le Qafilah Moving Stage, un camion-théâtre, Bernard Thibaud rappelle que la manifestation culturelle n’a aucun lien avec l’Autorité palestinienne, aucun caractère politique et qu’elle est financée par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) via des parrainages autrichiens et finlandais, en coopération avec le Silwan Club, une association de quartier, et la Maison d’Abraham. Les représentations du matin étaient à destination d’enfants de 9 à 11 ans des écoles environnantes, et le soir à destination des familles du quartier.

Le Directeur de la Maison d’Abraham avait été prévenu la veille des représentations, de manière informelle. La police est finalement arrivée après les spectacles de la première matinée hier. Le reste des manifestations artistiques, de théâtre, de musiques et de marionnettes a donc été annulé.

Appel à la diplomatie et à la justice

La Maison d’Abraham, un lieu d’accueil pour pèlerins de toute religion et de rencontre pour les acteurs œuvrant à la justice et à la paix, est née sous l’impulsion en 1964 du pape Paul VI. Elle est gérée par le Secours Catholique – Caritas France. Elle se trouve à la fois sous la protection du Vatican et de la France. C’est à ce titre et pour que des protestations soient faites que Bernard Thibaud s’est adressé, en plus du Patriarche latin de Jérusalem, à Monseigneur Adolfo Tito Yllana, Délégué Apostolique à Jérusalem et en Palestine, ainsi qu’au Consul général de France, René Troccaz qui a d’ailleurs été présent au début de l’évènement et s’est dit, via son compte Twitter, heureux d’avoir partagé un « merveilleux moment » avec les enfants. La Maison d’Abraham et sa propriété sont sous la protection historique et diplomatique de la France, et il ne peut pas ne pas y avoir de réaction de la France, nous fait savoir Bernard Thibaud. Un avocat du Conservatoire National de musique Edward Saïd est également intervenu.

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Dans une logique « compliquée et sensible, mais la Terre Sainte est ainsi », Bernard Thibaud a estimé sage d’annuler un séminaire avec une quarantaine de personnes juives sur Nostra Aetate, déclaration de l’Eglise catholique datant de 1965 qui souligne la reconnaissance des racines et de l’héritage juifs du christianisme. « Les habitants de notre quartier ne comprendraient pas en effet que les autorités israéliennes puissent annuler un événement festif de culture palestinienne le mardi-mercredi-jeudi et que nous puissions fêter un shabbat à la Maison d’Abraham le vendredi-samedi suivant ».

La culture pour faire rencontrer les gens

Bernard Thibaud souligne qu’« il est important que la Maison d’Abraham puisse continuer à contribuer à promouvoir la rencontre entre tous, la paix et la culture aux enfants et familles du quartier – et à tous les hommes et femmes de bonne volonté et de toute religion ».

Il s’inquiète de savoir comment les jeunes générations vont intégrer, comprendre et décanter l’annulation des spectacles. « Les Israéliens doivent comprendre que les associations de la société civile n’ont pas pour objet de recruter des gens pour se révolter, mais bien de rassembler les gens pour soutenir leur développement social, économique, culturel et spirituel. La société civile, en créant des rencontres et en soutenant le vivre-ensemble, est de la plus haute importance pour construire la paix sur le terrain, au plus près des populations. Si la société civile est empêchée d’agir, ce sera toujours l’État contre le peuple», s’émeut Bernard Thibaud qui voit dans la culture un moyen essentiel decréer des ponts, des relations. Et de conclure : « Partout dans le monde quand on arrête des événements culturels, c’est un signe important de fragilité démocratique qui suscite à son tour la violence. Regardez dans l’histoire, quand on veut museler la société civile, les premiers avec lesquels vous commencez, ce sont les artistes et les gens de théâtre ».

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