Mercredi 19 janvier. Peu avant l’aube. Une douzaine de policiers font une descente au domicile de la famille Salhiya. Dans un froid glacial, les 15 occupants sont tirés dehors et leur maison démolie à la pelleteuse. La police a procédé à une vingtaine d’arrestations de militants israéliens et palestiniens venus en soutien sur place. L’expulsion est la première depuis 2017 à avoir été entreprise à Sheikh Jarrah, quartier sensible de la Jérusalem-Est occupée depuis 1967 puis annexée en 1980 par Israël, après avoir été contrôlée par la Jordanie. Il convient de noter que l’opération de mercredi n’est pas le fruit d’une prise de contrôle par des groupes de colons juifs, contrairement à d’autres cas locaux.
Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas a qualifié la démolition de « crime de guerre » et a averti que le gouvernement israélien portait la pleine responsabilitéde« répercussions dangereuses ».
Les forces de l’ordre avaient tenté une première fois d’expulser la famille déjà lundi. Cela a provoqué des affrontements entre les manifestants et la police. Mohammed Salhiya, avec d’autres membres de sa famille, sont montés sur le toit de leur maison avec un bidon d’essence, menaçant de s’immoler. La venue des médias et d’une délégation de diplomates européens – dont un grand nombre de pays ont une représentation dans le quartier – a fait échouer l’opération policière. « Les expulsions/démolitions sont illégales au regard du droit international et compromettent considérablement les perspectives de paix et alimentent les tensions sur le terrain », a twitté la Délégation de l’Union européenne auprès des Palestiniens, qui estime que de telles actions compromettent les perspectives de paix.
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De leur côté, dans un communiqué conjoint, les porte-paroles des ministères des Affaires étrangères de la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne ont demandé «instamment au gouvernement israélien de mettre un terme aux procédures d’éviction et de démolition des structures palestiniennes à Jérusalem-Est et en zone C, qui contribuent à alimenter les tensions sur le terrain ». Plus de 100 manifestants de gauche, dont le député du Meretz Mossi Raz, se sont rassemblés mercredi devant le domicile de Moshe Lion, le maire israélien de Jérusalem, pour protester contre l’expulsion des Salihya.
Un conflit de propriété juridique avec la ville
Un ordre d’expulsion a été émis en 2017. La municipalité israélienne de Jérusalem estimant que la famille palestinienne a fait construire illégalement sa maison sur un terrain public qui ne lui aurait jamais appartenu. Les Palestiniens reçoivent difficilement des permis de construire légaux à Jérusalem-Est. L’affaire a déclenché une bataille juridique avec la famille qui a refusé de consentir à l’avis d’expropriation, soutenant vivre sur place depuis les années 50, après avoir acheté légalement à Sheikh Jarrah leur terrain à des propriétaires privés arabes, quand les Salihya ont dû fuir en 1948 Ein Kerem, à une dizaine de kilomètres à l’ouest de Jérusalem.
Mais leur titre de propriété ne figure pas au cadastre israélien et ils n’ont pas été en mesure de prouver leur propriété. La mairie assure quant à elle avoir acheté le terrain à des propriétaires arabes et estime que la famille Salhiya occupe de manière illégale le terrain. L’an dernier, un tribunal de Jérusalem a donné raison à la ville.
La municipalité israélienne de Jérusalem prévoit de construire, à la place du logement désormais rasé, une école pour élèves en difficulté d’apprentissage et une crèche, à destination de tous les habitants de Jérusalem-Est. Mais les groupes de défense de la famille palestinienne avancent qu’il aurait été préférable, plutôt que de passer par l’expulsion de la famille, que l’école soit construite ailleurs sur un terrain voisin vide dans ce même quartier à majorité palestinienne. Mais la municipalité de Jérusalem l’a déjà cédé à une école ultra-orthodoxe…
Un quartier symbole du conflit israélo-palestinien
Entre 200 et 300 autres familles à Jérusalem-Est, dont 24 à Sheikh Jarrah et 86 à Silwan, risquent également d’être expulsées. Que les initiatives soient municipales ou privées, le résultat revient au même pour les Palestiniens qui veulent faire de Jérusalem-Est la capitale de l’Etat auquel ils aspirent quand Israël considère toute la ville de Jérusalem comme sa capitale. Pour eux, toutes les expulsions visent à efface leur présence à Jérusalem-Est.
La présence d’environ 200 000 colons juifs vivant actuellement dans la partie orientale de la ville sainte rend les choses pour le moins tendues. Si, on l’a vu, l’expropriation de mercredi a eu lieu sous l’autorité de la mairie de Jérusalem, plusieurs groupes de colons juifs sont en effet à l’initiative de nombreuses contestations judiciaires pour revendiquer des terrains qui, selon eux, ont été pris illégalement pendant la guerre qui a coïncidé avec la fondation d’Israël en 1948.
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Les résidents palestiniens contestent cela, affirmant que leurs terres leur ont été garanties par la Jordanie en échange de l’abandon de leur statut de réfugié avant qu’Israël ne prenne Jérusalem-Est en 1967. D’après la loi israélienne, si des Juifs prouvent que leurs descendants vivaient à Jérusalem-Est avant la création de l’Etat d’Israël, ils peuvent obtenir un « droit de propriété », mais la réciprocité n’est pas de mise pour les Palestiniens, qui ont dû quitter leurs terres après le déclenchement de la guerre de 1948. Sept familles palestiniennes, – les Salihya ne faisaient pas partie de ce groupe -, ont déjà fait appel à la Cour suprême contre des avis d’expulsion et quatre ont déjà refusé une solution de compromis.
Pour rappel, la guerre de 11 jours de mai dernier entre Israël et le Hamas au pouvoir dans la bande de Gaza, qui a fait 254 morts palestiniens et 13 personnes en Israël, et les émeutes violentes dans les villes mixtes (arabo-juives) d’Israël, ont été en partie causées par la colère suscitée par les ordres d’expulsion de Sheikh Jarrah qui laisseraient la place aux colons juifs.