« La librairie qui souriait aux passants est de retour ». L’affiche à l’humeur joyeuse donne le ton : l’inauguration officielle à Gaza city de la nouvelle librairie de Samir Mansour a lieu cet après-midi, après avoir rouvert ses portes samedi dernier.
Il y a neuf mois, le 18 mai 2021, lors du conflit de 11 jours entre le Hamas et Israël, qui a fait plus de 250 morts à Gaza et 13 en Israël, les deux étages de son magasin avaient été littéralement soufflés par une frappe israélienne. Si ce n’était pas la pire tragédie du moment, en l’espace d’un instant, il ne restait de sa vie professionnelle et de sa passion pour les livres qu’un tas d’éboulis et de souvenirs. « Quarante années de ma vie se sont écroulées en une fraction de seconde » avait alors confié à l’AFP, Samir Mansour, 54 ans, la voix cassée par l’émotion. Il avait commencé à travailler avec son père libraire et appris le métier au début des années 1980, à l’âge de 14 ans.
Caverne culturelle s’il en était, la librairie comptait 100 000 livres. Seul un dixième a pu être sauvé grâce à l’élan de solidarité des clients venus sur place, dans les décombres, aider Samir Mansour à récupérer les livres encore en état.
L’armée israélienne avait alors allégué que la librairie installée dans la rue Talatini, la plus animée du centre-ville, n’était pas sa cible, mais que le bâtiment où elle était installée abritait une installation du Hamas. Samir Mansour a, de son côté, toujours déclaré n’avoir aucun lien d’appartenance politique.
Une librairie très appréciée
Dans cette véritable institution culturelle, devenue un repaire vénéré par les bibliophiles, les amateurs de livres pouvaient s’y retrouver, voyager dans les livres et oublier la guerre et les blocus. Les étagères de la librairie étaient remplies de fictions et de littérature arabe, étrangère (souvent russe et américaine traduite en arabe), de manuels de philosophie et de développement personnel, de livres religieux ou scolaires, d’ouvrages pour enfants. La librairie comptait également une section anglophone : de l’oxygène pour échapper aux difficultés de la vie.
La librairie, l’une des plus grandes et des plus renommées de l’enclave palestinienne était plus qu’un magasin de livres. Pour « préserver la culture palestinienne pour les générations futures », elle éditait également, depuis l’an 2000, des livres de certains auteurs, poètes et universitaires originaires de Gaza, et les proposait à la vente. « Les manuscrits étaient imprimés en Egypte, des livres retournaient à Gaza, mais d’autres restaient en Egypte et circulaient dans le monde arabe. Ça permettait de lever le siège de Gaza par la littérature », avait expliqué en mai dernier à l’AFP Mossab Abu Toha, poète et fondateur de la bibliothèque Edward Saïd, créée après la guerre de Gaza en 2014.
Une nouvelle page à écrire avec des milliers de livres du monde entier
Malgré la destruction physique de la librairie, la maison d’édition a continué son travail. « Depuis juillet 2021, on a publié presque 70 nouveaux livres : des romans, des essais, de la poésie, des manuels de management et bien d’autres encore ! », a tenu à faire savoir au micro de France Info Mohamad Samir Mansour, le fils du désormais célèbre libraire gazaoui.
Le désir de poursuivre et de reconstruire n’a jamais manqué aux Mansour. Si les murs sont tombés, le feu de leur passion est resté intact. Et c’est finalement grâce au Gaza Book Project que le pari a été remporté. Plus de 250 000 dollars ont été collectés via une plateforme de dons (encore ouverte) dont les initiateurs ont été des avocats américains spécialisés dans les droits de l’homme, Mahvish Rukhsana et Clive Stafford Smith, basés au Royaume-Uni. Grâce à cette somme, la librairie entame une seconde vie en conservant le même nom « Librairie Samir Mansour » mais en déménageant à seulement 100 m de son ancien site. Le magasin se trouve dans un nouvel espace trois fois plus grand qui a été rénové de fond en comble et qui servira aussi de bibliothèque pour le prêt de livres. La campagne a par ailleurs aussi permis de faire l’acquisition de nouveaux livres.
En parallèle, 150 000 livres, neufs ou d’occasion, ont par ailleurs été offerts, affluant des quatre coins du monde, pour participer à la reconstitution du stock perdu, a fait savoir The Guardian.
A la mi-janvier, un premier chargement de 50 000 ouvrages est arrivé dans la bande de Gaza. Le libraire a en a été ému jusqu’aux larmes et l’a partagé au journal britannique : « J’ai été tellement content lorsque le premier chargement est arrivé. Je me suis senti comme un phénix renaissant […]. Je ne m’attendais pas à tout ce soutien. C’était au-delà de toute imagination, et plus que merveilleux. »
Au total, il y aura 400 000 livres. Le bouquiniste n’a formulé qu’une seule demande : que soient envoyés des tomes de la série Harry Potter, très appréciée par les enfants de Gaza.